KULTUR-TIPP: Soumission

(lc) – On peut se poser la question de savoir si, dans l’histoire de la littérature, il y a jamais eu une date de publication de bouquin aussi mal choisie que celle de « Soumission », le dernier-né du sulfureux Michel Houellebecq. En tout cas, le monde ne retiendra pas le 7 janvier comme un événement de haute volée dans la sphère intellectuelle germanopratine. Et même si Michel Houellebecq a bien sûr directement interrompu sa tournée dans les médias après l’attentat à Charlie Hebdo – dont il faisait d’ailleurs la une de la dernière édition avant le massacre -, ce qui s’est passé ce jour-là rue Nicolas Appert a éclipsé pour un moment l’intention de provoquer de « Soumission » et en a même détourné l’attention. Sans que bien sûr cela ait eu une incidence sur les ventes de l’hebdomadaire, toujours spectaculaires.
Pourtant, le livre de politique-fiction de celui qui décrit l’islam comme « la religion la plus conne du monde » est loin d’être le brûlot islamophobe que certains redoutaient, et que d’autres probablement espéraient. Non, en fin de compte, c’est l’islam qui tire son épingle du jeu assez habilement. La conversion – supposée, car ce chapitre est écrit au conditionnel – du protagoniste de « Soumission » ne présenterait que des avantages pour lui et serait même une suite logique de son expérience de vie. En effet, professeur de littérature à la Sorbonne – Paris 3, il a consacré ses années d’étude à un auteur majeur du 19e siècle : Joris Karl Huysmans. Et celui qui créa avec « À rebours » une des œuvres majeures de son temps eut, lui aussi, une sorte d’accès mystique quand il entra dans la force de l’âge. D’athée célébrant la décadence, il se convertit au catholicisme et alla même habiter dans l’abbaye de Ligugé, en Poitou-Charentes. Ce qui fait qu’Houellebecq utilise le procédé de la mise en abyme : tout comme Huysmans, son personnage va évoquer, sur un fond politique troublé, la possibilité de se convertir. Mais Huysmans cherchait une échappatoire à la société dans le catholicisme, alors que, pour le protagoniste de Houellebecq, c’est le contraire : en acceptant l’islam, il peut rentrer dans une société qui l’aurait exclu sans cette profession de foi. Car, dans la France imaginée par l’auteur, les forces politiques de droite comme de gauche se soumettent à un parti de l’islam modéré, pour éviter que Marine Le Pen accède au pouvoir. Ce parti est dirigé par un leader charismatique, le président Ben Abbas, qui se rêve en nouvel empereur européen et tente de faire entrer les pays de la Méditerranée dans le giron de l’Union européenne. Cette projection incongrue est certes hilarante, et les moments comiques ne manquent pas, comme l’accession de François Bayrou au poste de premier ministre, mais elle ne fonctionne pas. Même si les bases jetées par Houellebecq sont assez réalistes – la déchéance de l’élite politique française, la montée en puissance du Front national et la communautarisation accélérée de l’Hexagone -, l’auteur laisse de côté quelques facteurs importants qui, si la situation décrite se produisait, auraient aussi leur incidence sur les événements. Ne serait-ce que parce qu’il oublie quasi complètement la gauche de la gauche et tous les mouvements extraparlementaires, les activistes écologistes et tous leurs militants. Et aussi, mais c’est une tare qu’il partage avec beaucoup de ses confrères, parce qu’il considère la France comme un vase clos, sur lequel l’étranger et surtout ses voisins européens n’auraient aucune influence.
Finalement, « Soumission » est un livre très mou. Le personnage principal est comme d’habitude un cynique à la sexualité débridée, très machiste et misogyne – ce qui, sous un régime islamiste, n’est pas vraiment un désavantage – et présente une grande haine de soi. Ce qui fait que, en fin de compte, il est si peu souverain de sa propre vie qu’il accepterait n’importe quelle dominance, et pas uniquement l’islam, pourvu qu’elle le sorte un tant soit peu de son mal de vivre. Et ça, ça fait vraiment froid dans le dos.


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