CABO VERDE: Amis investisseurs

Cette semaine, une mission de coopération a conduit le grand-duc, le ministre Romain Schneider et la secrétaire d’État Francine Closener en République de Cabo Verde. L’occasion de s’intéresser de plus près à cet élève modèle de la coopération luxembourgeoise.

Les relations de coopération entre le Cap-Vert et le Luxembourg datent de fin des années 1980. Accueil de la délégation luxembourgeoise par des habitants de Santo Antão. (PHOTO : CHARLES CARATINI/SIP)

Le centre-ville de Praia, la capitale de la République de Cabo Verde, en début de soirée. Au milieu d’une petite esplanade située entre l’hôtel de ville et le palais présidentiel, deux gosses jouent au foot avec une bouteille d’eau en plastique. Deux vendeuses ambulantes de bananes, assises sur des caisses en bois, s’engueulent. Devant le palais, un militaire fait des allers-retours avec sa kalachnikov et siffle une chanson. Une dame qui rapporte ses courses à la maison s’arrête: « Vous faites partie de la visite ? », demande-t-elle. Elle ne connaissait pas le grand-duc avant d’avoir vu le cortège officiel déambuler dans la ville. Le grand-duché, elle connaît : « Je sais que le Luxembourg aide mon pays. »

Quelques heures plus tôt, une délégation luxembourgeoise, avec à sa tête le grand-duc Henri, suivi du ministre de la Coopération Romain Schneider et de la secrétaire d’État Francine Closener a atterri à l’aéroport de Praia et commencé cette nouvelle mission de coopération au Cap-Vert.

Avec sa population d’environ 500.000 habitants, la République de Cabo Verde fait partie des petits pays d’Afrique. Situé à 580 kilomètres des côtes sénégalaises, le Cap-Vert est composé de dix îles – dont neuf habitées – et de 13 îlots, qui forment ensemble une superficie d’environ 4.000 km2. La majorité (55 pour cent) de la population habite Santiago, l’île la plus grande de cet État. Parmi les habitants de Santiago, environ la moitié habite la capitale du pays, Praia.

Archipel inhabitable

Avant l’arrivée des Portugais au 15e siècle, le Cap-Vert était inhabité – et pas forcément habitable. Faisant partie de la zone sahélienne, l’archipel présente un climat tropical sec, avec peu de pluie, et une disponibilité très faible de ressources naturelles et de terres arables. Si le Portugal revendique la découverte de l’archipel, certains historiens s’accordent pour dire que des navigateurs grecs et arabes l’ont repéré bien avant. Quoi qu’il en soit, c’est en 1460 que les navigateurs portugais Diogo Gomes et Antonio de Noli débarquent pour la première fois au Cap-Vert, pour s’y installer deux ans plus tard avec leurs familles. De Noli fonde la ville aujourd’hui connue sous le nom de Ciudade Velha.

Au pied de Ciudade Velha l’antique, située sur une colline, se trouve un petit village au bord de la mer. La population locale vit principalement d’agriculture et de pêche. « La vie est devenue dure ici », explique un vieillard assis sur un banc. « Être pêcheur est de plus en plus difficile, il faut sortir de plus en plus loin en mer », poursuit-il. Même constat pour les agriculteurs : « Nous manquons d’eau », dit un jeune homme, assis sur le même banc que le vieillard. « Ils ont construit un barrage pas très loin d’ici », raconte-t-il, « mais il pleut tellement peu que même le barrage contient de moins en moins d’eau. »

A 100 mètres de la place du village, trois pêcheurs sont en train de réparer leurs filets, assis dans leurs petits bateaux. D’habitude, ils sortent en mer très tôt le matin, mais ça leur arrive de repartir l’après-midi s’ils n’ont pas assez pêché. « Près de la côte, les poissons se font de plus en plus rares », dit le plus jeune des trois, un gaillard d’à peine 18 ans. « Nous sommes obligés de sortir loin, jusqu’à dix milles marins de la côte. » Son collègue enchaîne : « C’est dangereux avec nos petits bateaux. »

Placées au carrefour de l’Afrique, de l’Europe et des Amériques, les îles deviennent rapidement une plaque tournante de la traite d’esclaves africains, « importés » depuis la Guinée et le Sénégal dans un premier temps. « Un des premiers marchés mondiaux d’esclaves », explique un attaché à l’ambassade luxembourgeoise du pays. La population cap-verdienne reste caractérisée par le métissage entre descendants d’esclaves et descendants des colons et des marchands d’esclaves portugais.

40 ans d’indépendance

En 1956, forts des mouvements indépendantistes qui voient le jour un peu partout en Afrique, Amilcar Cabral, – le héros national -, son frère Luís et quatre de leurs compagnons fondent le « Partido Africano para a Independência da Guiné e Cabo Verde » et entament la lutte pour l’indépendance. Des cellules clandestines sont formées à travers les deux pays. En 1959, une grève des dockers du port de Pidjiguiti en Guinée-Bissau et le massacre de 50 grévistes par les forces d’occupation portugaises ouvrent la voie à une lutte armée qui durera 19 ans.

Discrètement soutenus par le pouvoir cubain, les guérilleros du PAIGC gagnent du terrain et libèrent rapidement villes et villages. En 1966, la moitié du pays est sous le contrôle des indépendantistes ; en 1968, le territoire contrôlé par le PAIGC représente les deux tiers du pays. Avec la désignation du général portugais Spinola – qui a fait ses preuves en Angola auparavant – comme gouverneur de la Guinée et du Cap-Vert, la stratégie portugaise change : répression féroce contre les militants anticolonialistes d’un côté, aide aux plus démunis de l’autre. Malgré tout, le PAIGC tient bon.

Le 20 janvier 1973, Amilcar Cabral est assassiné par des membres de son propre parti, corrompus par les Portugais. La révolution des Œillets change la donne pour la Guinée et le Cap-Vert : le nouveau gouvernement portugais conclut un cessez-le-feu avec les rebelles et entame des négociations. En octobre 1974, la Guinée-Bissau devient indépendante. En juillet 1975, c’est au tour des îles cap-verdiennes. Le frère d’Amilcar Cabral, Luís Cabral, devient président de la Guinée. Au Cap-Vert, c’est Aristides Pereira qui prend les rênes. Pedro Pires, ancien guérillero, devient premier ministre.

Le principal objectif du PAIGC – après l’indépendance -, l’union politique entre les deux ex-colonies portugaises, échoue cependant suite au coup d’État en Guinée-Bissau en 1980. Le parti devient alors le PAICV, « Partido Africano da Independência de Cabo Verde », qui instaure un système de parti unique à orientation socialiste.

En mettant l’accent sur l’éducation, un système de santé performant et la lutte contre les inégalités, le gouvernement réussit pourtant à ne pas sombrer dans l’autoritarisme et à rassembler une bonne partie de la population derrière lui pendant près de 15 ans. Lorsque, avec la chute de l’Union soviétique, des voix critiques – émanant de milieux intellectuels et religieux – s’élèvent, le PAICV comprend vite qu’il faut s’adapter à l’air du temps. Ainsi, la Constitution est modifiée en 1990 et le pays devient une démocratie parlementaire sur le modèle européen.

Trois présidents se sont succédé depuis 1990. Après la transition démocratique, le nouvellement fondé Movimento para a Democracia (MPD), d’orientation libérale, gagne les élections. Dix ans plus tard, c’est à nouveau un président issu du PAICV qui reprend les rênes. Le président actuel, Jorge Carlos Fonseca, est membre du PAICV, alors que le gouvernement est formé par le MPD.

« Bonne gouvernance »

Outre le Luxembourg, un autre pays est très actif au Cap-Vert : la Chine. Lors de la visite officielle, l’accueil du grand-duc et de la délégation officielle s’est fait dans l’ancienne Imprimerie nationale, réaffectée en tant que palais présidentiel provisoire. Le vrai palais est lui en rénovation depuis février 2013 – les travaux sont cofinancés par la Chine. Ce n’est pas le seul projet financé en partie par le géant asiatique. Ainsi, le stade national de football a été construit avec de l’argent chinois.

Le Cap-Vert est un des rares pays comptant plus de ressortissants à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. Si les habitants du pays étaient 500.000 en 2013, les émigrés et leurs descendants sont estimés à 700.000 à travers le monde. Au Luxembourg, il y a environ 3.000 Cap-Verdiens, et presque 10.000 personnes d’origine cap-verdienne. Un fait qu’ont souligné à maintes reprises tant le grand-duc que le ministre Schneider et la secrétaire d’État Closener dans leurs discours respectifs.

Au Cabo Verde, tout le monde ou presque connaît quelqu’un qui habite en Europe ou aux États-Unis. Beaucoup connaissent le Luxembourg comme terre d’accueil des émigrés cap-verdiens. Il n’est pas rare non plus de rencontrer des ex-émigrés, arrivés au Luxembourg dans les années 1970 et retournés dans leur pays natal après leur départ en retraite. L’argent que les émigrés envoient au pays et à leurs familles constitue en quelque sorte un pilier de l’économie cap-verdienne. Cet argent représente huit pour cent du PIB national en 2011.

Partenariat privilégié

La visite officielle du grand-duc, du ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire Romain Schneider et de la secrétaire d’État Francine Closener avait comme objectif principal la signature d’un nouveau programme indicatif de coopération (PIC) portant sur quatre ans – le quatrième conclu avec le pays, qui est le seul à jamais avoir bénéficié d’un quatrième PIC avec le Luxembourg.

Les relations de coopération entre le Cabo Verde et le Luxembourg débutent à la fin des années 1980. En 1993, le Cap-Vert devient un pays partenaire privilégié. Un premier PIC est signé en 2002, avec une enveloppe de 33,5 millions d’euros mise à disposition par le Luxembourg. L’accent dans la coopération entre les deux pays est mis sur l’éducation, la formation professionnelle, l’eau et l’assainissement, ainsi que, plus récemment, sur le développement des énergies renouvelables.

Le deuxième PIC est signé en 2005 et se monte à 45 millions d’euros d’aide au développement ; le troisième s’élève à 60 millions d’euros. Le quatrième, signé ce jeudi sur l’île de Santo Antão, assure une aide de 45 millions. Selon Romain Schneider, il y a plusieurs raisons à cette diminution : « Il reste encore de l’argent du dernier PIC. Au-delà de cette raison, l’aide devient plus ciblée : nous investissons par exemple dans le développement des énergies renouvelables. Ce sont des investissements à long terme. ».

Lors de la visite grand-ducale, la délégation a inauguré le Centre des énergies renouvelables et de la maintenance industrielle, construit avec l’argent de la coopération luxembourgeoise. Destiné à la formation de jeunes Cap-Verdiens et de personnes travaillant déjà dans le secteur, le centre constitue une étape sur le chemin vers un objectif ambitieux que s’est fixé le Cap-Vert : l’autosuffisance en matière d’énergie. À l’horizon 2020, le pays projette de couvrir 50 pour cent de ses besoins énergétiques à travers les énergies renouvelables. En 2050, il veut passer à 100 pour cent.

« Nous sommes plus considérés comme partenaires et amis que dans les relations avec d’autres pays », dit Romain Schneider. Pour lui, l’attention spéciale que le Luxembourg porte au Cap-Vert a plusieurs raisons : la stabilité politique, la « bonne gouvernance » – expression reprise à toutes les occasions lors du voyage officiel -, mais aussi la forte présence d’immigrés cap-verdiens au Luxembourg. Le Cap-Vert est d’ailleurs le seul pays où le grand-duché met à disposition une aide budgétaire, dont il peut disposer plus ou moins librement.

Si l’aide au développement a longtemps été perçue comme un acte de charité par les autorités luxembourgeoises, la donne a changé : désormais, il s’agit d’« investir ». Des échanges entre certains acteurs du secteur privé luxembourgeois – investisseurs potentiels – et les autorités ainsi que des représentants du secteur privé cap-verdien ont d’ailleurs eu lieu lors de la visite. « Ici, des affaires sont faites », explique ainsi Francine Closener. « Par exemple, le port de Santo Antão sera agrandi. Deux entreprises luxembourgeoises sont impliquées dans les négociations. » Pour elle, « les entreprises ne viennent que si cela s’avère rentable pour elles ».

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Table-ronde : La coopération entre le Cap-Vert et le Luxembourg – un exemple de coopération européenne à l’occasion du 32e Festival des migrations, des cultures et de la citoyenneté le vendredi 13 mars à 18h30, Luxexpo. Avec la participation de Jorge Homero Tolentino Araújo, ministre des Affaires extérieures du Cap-Vert, Charles Goerens, membre de la délégation à l’Assemblée paritaire ACP-UE, João Da Luz, président de la Fédération des associations capverdiennes au Luxembourg, Marc Angel, président de la Commission de la Coopération et de l’Immigration, Ben Fayot, ambassadeur spécial pour l’Année européenne pour le Développement et Christoph Schröder, chef du bureau d’information du Parlement européen au Luxembourg.


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