AVA DUVERNAY: Martin le Grand

Après un carton aux États-Unis, « Selma », le biopic consacré à Martin Luther King, arrive dans nos salles. L’occasion de se remémorer le combat mené par un homme imprégné de religion et de pacifisme.

Martin Luther King pouvait aussi se prévaloir de soutiens dans la communauté blanche.

« Selma » ouvre sur un point d’orgue. En 1964, le docteur Martin Luther King reçoit le prix Nobel de la paix. Mais cet anoblissement ne change rien au fait que, chez lui, loin de la paisible Norvège, le ségrégationnisme fait toujours rage, surtout dans les États du Sud, où le Ku Klux Klan est solidement implanté. Peu avant de recevoir ce prix, King a vécu une de ses plus grandes déceptions : le désormais fameux « 16th Street Baptist Church bombing » à Birmingham en Alabama, qui coûta la vie à quatre fillettes noires fin 1963, juste après qu’il eut mené une de ses campagnes antiracistes dans cette ville. Logique donc que, une fois retourné aux États-Unis, il concentre ses efforts sur l’Alabama. Cette fois, le déploiement de militant-e-s se déroule sur fond d’élections. Alors que la loi oblige les comtés à enregistrer l’inscription sur les listes électorales de toute personne, les Noirs se voient toujours refuser l’accès au vote par une administration forcément raciste. Et le fait que le gouverneur George Wallace, qui veut se faire réélire, soit un ségrégationniste convaincu n’arrange pas les choses.

En parallèle, King multiplie les démarches auprès du président Lyndon B. Johnson. Celui-ci, débordé par la guerre au Vietnam, tente de freiner l’ardeur du charismatique leader par des paroles et des actes – notamment la mise sous surveillance par le FBI de toutes ses conversations. Le reste appartient à l’histoire : la marche sur Selma sera, après un épisode malheureux, un franc succès et le président cédera aux demandes de King d’abroger les pratiques discriminatoires dans le sud des États-Unis.

Un des grands apports du film est de ne pas être qu’un biopic sur Martin Luther King. En effet, on ne le voit ni grandir, ni même tenir son discours légendaire à Washington – celui qui commence par « I have a dream » – et, vers la fin, on n’indique que par une note de bas d’écran que King va se faire assassiner. À noter que la famille de King a interdit aux producteurs l’utilisation de citations.

Cette concentration sur les événements qui se déroulèrent à Selma a plusieurs avantages. Elle permet de présenter d’autres militants de haut rang du mouvement et leurs relations, parfois très conflictuelles, avec King ; comme Malcolm X qui, vers la fin de sa vie, a voulu se réconcilier avec le pasteur militant. Et elle met en scène la confrontation concrète entre un État fédéré et toute sa machinerie raciste – ses policiers, ses Klansmen et ses agriculteurs blancs appauvris – et un mouvement de base qui comporte aussi bien des militants noirs que des blancs. Si on y ajoute le fait que la réalisatrice Ava DuVernay fait osciller son film entre deux perspectives, l’une biographique et l’autre tirée directement des notes historiques du FBI, on obtient en principe une tranche d’histoire passionnante.

Certes, certains éléments de « Selma », comme la religiosité omniprésente, peuvent irriter un public européen ; mais au final le film est loin de l’hagiographie larmoyante et épique qu’on pouvait redouter en s’installant dans la salle. La seule chose qui manque, et qui aurait certainement pu aider à populariser encore plus le film, est un lien direct avec Ferguson et les autres villes où les Noirs américains sont toujours abattus sans grandes conséquences et traités comme des citoyens de seconde zone, une cinquantaine d’années après les événements de Selma. En ce sens, le combat mené par King et ses camarades est loin d’être terminé, même sous l’administration Obama.

À l’Utopolis Kirchberg, Ariston, Kursaal et Ciné Wasserhaus.


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