EMRE SEVINDIK: Solitaire, indépendant cherche la musique du futur

Une performance multidisciplinaire déguisée en one-man show. A voir et à retenir.

Emre Sevindik, l’homme aux talents et facettes multiples.

Cigarette clouée au bec, les jambes pliées, les cheveux rasés courts et une barbichette triangulaire qu’il porte avec conviction: Emre Sevindik a l’air d’un artiste. Et alors? Presque 90 pour cent des gens qui se ramènent au café de la Kulturfabrik à Esch un lundi soir sont artistes, du moins dans l’âme. Mais ce qui fait la différence dans son cas, ce n’est pas tant son look, c’est plutôt l’attitude. Assis près d’une de ces petites tables tellement basses qu’il faut éviter tout mouvement brusque, sinon le café tombe par terre, il parle modestement du projet auquel il participe en ce moment. C’est une pièce de théâtre, écrite par un ami, pluridisciplinaire, bien sûr et provocatrice. „Le bruit du silence“, traitera surtout de la problématique religieuse de nos jours. „Mais d’une façon comique“, complète-t-il, „Nous voulons faire bouger les choses un peu.“ En gros, il s’agit d’un type qui finit par fonder sa propre religion. Cela se fera avec de la danse – y participe entre autres son ami Gianfranco Celestino – et de la vidéo.

Emre Sevindik est en charge du volet musical et d’une partie de la mise en scène. „Ce n’est que ma deuxième expérience dans ce domaine. J’admets que je n’ai jamais été et que je ne suis toujours pas un amateur de représentations théâtrales. Quand je vais voir une pièce, j’ai toujours peur de m’ennuyer. Mais c’est une chose totalement différente quand je peux en créer.“ La troupe n’a pas de nom, pas de concept fixe. „Pas encore. Mais si on fait encore une pièce ensemble, les chances sont grandes qu’on devienne une sorte de collectif. Même si je n’aime pas trop ça.“ déclare-t-il. Il connaît bien le petit monde des groupes et des collectifs, pour avoir joué la basse dans Lecitone, un groupe de post-rock et puis dans l’ensemble électro Paso Doble, avant de participer pour quelques temps au label Own Records. „Mais, je n’aime pas dépendre d’un groupe quand il s’agit de prendre des décisions pour avancer. Il faut un coup de chance pour pouvoir rester ensemble. Et en, plus je déteste les conflits“.

Par contre quand il s’agit de faire cavalier seul, il se transforme en véritable bête du travail. Et enchaîne les projets les plus diversifiés. Ainsi il vient de sortir, sous le label „Grand Duchy Grooves“ son premier „vrai“ CD, c’est-à-dire passé par un presse-CD et non pas copié au graveur. „Mammatus“, du nom des nuages qui apparaissent dans le ciel après un orage, est un album de tendance plutôt electro lounge, miné de break beats et sous-tendu de mélodies légères et amères. „C’est suprenant pour moi-même d’écouter cet album. Si on me l’avait montré il y a quelques années encore j’aurais détesté, j’aurais trouvé le son trop commercial. Mais aujourd’hui et un peu grâce à l’influence de ma femme qui est DJ à ses heures, je pense que ça m’a apporté une certaine maturité“, explique-t-il. La vision d’Emre Sevindik en tant que musicien serait d’arriver au mélange parfait entre le jazz, l’électro, la world music et la musique expérimentale – „pour donner un peu de piment, d’originalité au tout“, comme il dit. Quoiqu’il en soit, les 500 exemplaires ne sont pas primairement destinés à la vente, mais plutôt comme des cartes de visite conçus pour faire avancer sa musique. Et non sans succès. Un label allemand aurait déjà demandé à acheter la licence de l’album, afin de le faire remastériser en vue d’une réédition. Les „happy few“ en possession du CD feraient donc mieux de le conserver précieusement, car il pourrait un jour devenir une pièce de collection rare. La même chose vaut pour ses concerts. Fatigué de se cacher derrière le moniteur de son laptop lors de ses concerts, et dans le souci de ne pas ennuyer son public, Emre Sevindik a choisi de collaborer dorénavant avec d’autres musiciens pour ses apparitions en live.

Et ses accompagnateurs sont loin de rester dans son ombre. Comme par exemple Lex Gillen, joueur de didgeridoo avec lequel il a fait un projet impliquant de „vrais“ aborigines. Ils sont allés jusqu’à jouer au Knuedler un concert pendant lequel alternaient des versions occidentalisées de la musique australienne et des chansons originales, vieilles de quelques mille années. Sinon, il a aussi collaboré avec Lisa Berg au violon, et d’autres musiciens incluant batteurs („ça donne plus de punch au live“) et des saxophonistes. Quand il décrit ces soirées, ses yeux se mettent à scruter l’horizon, comme s’il ne savait pas très bien quoi en penser: „Même si beaucoup de ces concerts avaient mon nom à l’affiche, je ne me mettais pas forcément en avant dans la musique. Je ne me sens pas obligé d’être le meneur de jeu. En fait, ce qui m’intéresse, c’est l’équilibre qui se crée petit à petit. Je peux adapter ma boîte rythmique à la mesure des autres musiciens et ainsi entrer dans leur jeu, le dominer un peu, puis lâcher le tout, pour laisser de la place aux autres.“ Pourtant collaborer avec des musiciens en live, ne signifie pas forcément qu’Emre Sevindik ait abandonné son chemin solo. Il veut rester un artiste indépendant.

Côté finances cela se traduit par l’attente du statut d’artiste professionnel indépendant alloué par le ministère de la culture. Selon lui, son dossier aurait des chances réelles de passer. Ainsi son futur serait assuré, même si le présent est loin d’être précaire „Je réussis à gagner ma vie, en me faufilant de projet en projet. En plus ma femme me soutient, quand j’ai des trous de planning“. Après des études en communication, plusieurs tentatives infructueuses à intégrer le petit monde des médias grand-ducaux, et quelques emplois plus ou moins temporaires, Emre Sevindik a donc finalement opté pour l’indépendance, fait assez rare dans la „scène“. Mais bon, de quelle scène parle-t-on? Il se fait tard, et le grand hall du café est d’autant plus vide qu’il n’y a que trois ou quatre personnes qui restent. Emre Sevindik se met sur son vélo et disparaît dans la nuit.


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