DEPOT LEGAL: Dépôt à retardement

En matière de protection du patrimoine audiovisuel au niveau européen le Luxembourg est à la traîne.
Si ce n’est pas vraiment nouveau, les raisons en sont particulières.

Situation compliquée: deux conventions pour deux archives et pas d’harmonisation en vue. Les archives cinématographiques et vidéo du Centre National de l’Audiovisuel. (photos:www.cna.lu)

Dans sa question parlementaire concernant ce retard, la députée socialiste Claudia Dall’Agnol met l’accent sur le fait que la Convention européenne relative à la protection du patrimoine audiovisuel et son Protocole sur la protection des productions télévisuelles „constituent les premiers instruments internationaux contraignants en matière de dépôt légal obligatoire pour les images en mouvement“. Il s’agit d’une harmonisation européenne des banques d’images télévisées et cinématographiques. Mais celle-ci doit toujours être mise au conditionnel, parce que certains Etats n’ont toujours pas signé, ni ratifié ladite Convention. Dont le Luxembourg.

Or, le dépôt légal est un formidable outil pour établir l’égalité des chances en matière d’accès à l’information. Les origines de ce concept sont françaises. C’est en 1537 avec l’ordonnance de Montpellier, que François Ier instaure le dépôt légal. A ce moment chaque éditeur du royaume était obligé de déposer un exemplaire de chaque livre imprimé dans la bibliothèque royale. Son but à l’époque était de préserver pour les générations à venir les témoignages de l’humanisme naissant. Mais le dépôt légal n’a pas servi que des causes nobles. Il est une véritable épée à double-tranchant. Car en forçant tous les éditeurs à déposer leurs écrits auprès des autorités, la pré-censure devient de fait possible. On peut s’imaginer les abus perpétrés par les dictatures et régimes autoritaires trahissant ce vestige du temps des Lumières. Mais le Conseil de l’Europe, quoiqu’étant parfois une institution un peu obscure n’est pas tout à fait ce qu’on appellerait une dictature. Alors, pourquoi le Luxembourg se refuse-t-il à ratifier cette convention?

Une situation peu claire

Au Luxembourg le dépôt légal en matière audiovisuelle est réglementé par trois conventions entre l’Etat et la société CLT-UFA. Signées en 1996 et en 1999, elles s’appliquent aux supports films et vidéos pour les deux premières, tandis que la troisième concerne les documents sonores de la CLT-UFA. Afin de préserver ces documents et d’en garantir la sauvegarde pour les générations futures, l’Etat a pris en charge intégralement les frais de digitalisation, de restauration et de stockage de ces archives. Matériellement toutes ces bandes et disques se trouvent au Centre national de l’audiovisuel (CNA), qui a procédé à ces travaux. Mais malgré ce coup de pouce de l’Etat, la CLT-UFA se réserve certains droits. Dans une question parlementaire antérieure, Claudia Dall’Agnol avait demandé si ces fonds étaient entièrement publics et „disponibles pour être utilisés par toute personne intéressée“, le ministère de la culture avait expliqué que „les archives film et vidéo de RTL Group ne sont pas entièrement disponibles et ne peuvent être utilisées par toute personne intéressée, malgré les investissements de l’Etat (…)“. La réponse précise que les „conventions ont cherché à allier la sauvegarde d’un patrimoine national avec les exigences d’une société commerciale privée, productrice de ce même patrimoine.“ En somme, une sorte de public-private-partnership. Sauf que cette fois, ce ne sont pas des crèches ou autres institutions publiques qui sont semi-privatisées, mais la mémoire audiovisuelle d’une société entière. De plus les partenariats publics-privés sont censés être à la décharge du secteur public. Or, ici c’est l’Etat qui paie la restauration de fonds d’archives d’une société privée. En contrepartie l’Etat a le droit „d“utiliser librement les enregistrements d’archives de la CLT dans les limites des droits déténus par celle-ci“ – ce qui a trait à la propriété intellectuelle -„pour réaliser de nouvelles productions audiovisuelles et à les exploiter sur tout support au Luxembourg uniquement. „Ceci ne vaut que pour les archives cinématographiques. Mais déjà cette première convention exclut toute dimension européenne. Vu la taille du Luxembourg, les possibilités restent restreintes. Par contre en ce qui concerne les droits sur les archives de la télévision qui tombent sous la deuxième convention entre l’Etat et la CLT, ceux-ci „sont exclusivement réservés à la CLT qui peut céder ces droits de cas en cas“. D’autres diraient, selon sa bonne volonté.

On est loin d’une gestion ouverte du patrimoine audiovisuel luxembourgois. Et, vu la situation on comprend que la ratification de Conventions européennes bousculerait cet équilibre déjà instable. Surtout si cette dernière prévoit „l’élaboration d’une filmographie audiovisuelle européenne“, ainsi que „le développement de procédures normalisées de stockage, de mise en commun et de mise à jour des images en mouvement et des informations connexes.“ Or, tant que la CLT se réserve l’exclusivité sur les archives TV, toute mise en commun semble impossible. Et les archives du CNA ainsi que la nouvelle médiathèque qui est supposée ouvrir ses portes en 2007, restent sous l’emprise de ce système hybride. Un partage et des co-productions européennes ne se feront pas, ou difficilement, étant donné que certains droits dépendent d u bon vouloir d’une société privée. Alors que toute la société luxembourgeoise tirerait assurément profit d’une telle harmonisation européenne.

D’ailleurs, la députée socialiste qui a attiré l’attention sur cette problématique reste perplexe face à l’inaction du gouvernement: „Je ne sais pas pourquoi on traîne cette fois-ci. Même si c’est dans nos habitudes d’être lents en matière de ratifications, il ne s’agit tout de même pas d’un dossier tellement brûlant qu’il nécessitérait de longues consultations“. Pourtant, elle ne pense pas que ce soit lié à une volonté de l’Etat de protéger de quelconques intérêts de la CLT-UFA. „C’est à eux de me le dire. On le saura à la rentrée“. Ou comme dirait un éminent journaliste de RTL: „Affaire à suivre“.


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