LUXEMBOURG 2007: Pas que des vampires …

Luxembourg, la Grande Région et Sibiu: des partenaires à première vue dissemblables. Pourtant, si on y regarde bien, des points communs émergent.

En pleine restauration: la cour intérieure du Brukenthal Museum à Sibiu. (photo: woxx)

Le visiteur qui, en flânant sur la grande place de Sibiu-Hermannstadt, s’éprend de la beauté des vieilles maisons saxonnes fraîchement restaurées, de leurs toits d’où émergent les „yeux“ de Sibiu – des lucarnes spéciales sensées veiller sur la ville – ne perd rien en regardant de temps en temps par terre. Car les plaques d’égoût flambant neuves possèdent aussi leur attrait. Y sont gravés non seulement les deux épées qui forment le sceau de la ville, mais aussi une date: 2007.

Ainsi toute la ville tend vers le futur proche, comme si elle y était déjà. Presque la moitié des hommes rencontrés dans les rues de Sibiu sont des ouvriers, travaillant sans relâche à l’embellissement du centre-ville. Le turbo-capitalisme frappe fort à Sibiu, donnant lieu à des scénarios plutôt étranges. Comme ce chemin qui mène de l’aéroport au centre-ville: la route est longée de vieilles bâtisses en ruines datant du communisme, avoisinant de nouvelles usines ou garages de grandes firmes occidentales. Eh oui, même Ronald MacDonald a trouvé son chemin vers la Transylvanie. De plus, la ville est, après Bucarest, celle qui possède le plus grand nombre de voitures en Roumanie. Sibiu est en plein essor économique et rien ne semble arrêter le progrès qui – tout compte fait – a mis un certain temps pour arriver en Roumanie. C’est aussi pourquoi il prend pied aussi facilement. „Les gens s’en foutent de comment on arrive à faire progresser les choses. L’important est que ça fonctionne“, commente Klaus Johannis, le maire de Sibiu. Et d’ajouter que la vie publique roumaine n’est pas encore assez politisée pour critiquer ce qui arrive, „et la presse ne remplit pas encore le même devoir critique et démocratique qu’à l’Ouest“.

Johannis, un homme imposant au visage à traits grinchants, est le premier maire de la ville à être issu du forum démocratique des allemands en Roumanie. Un parti qui devrait être minoritaire, vu que sur les quelque 160.000 habitant-e-s seulement 2.000 sont allemand-e-s. „Mais les gens en avaient marre des partis traditionnels, qu’ils soient de gauche ou de droite. Avant Johannis, Sibiu ressemblait plutôt à un village qu’à une ville. Il fallait bien quelqu’un de pragmatique pour faire avancer les choses“, explique Marius Constantin, le responsable presse de l’année culturelle 2007 à Sibiu. C’est aussi pourquoi Johannis a été reélu pour un second mandat en 2004 avec 90 % des voix. Un résultat qui devrait rappeller les épisodes les plus sombres du pays. Pourtant personne ne le conteste.

Sibiu normal

Du point de vue culturel, Sibiu n’a de toute façon aucune raison de rougir face au pays du cerf bleu. La ville possède pas moins de quatre universités fréquentées par 26.000 étudiant-e-s – alors que le Luxembourg peine à en créer une digne de ce nom – des musées prestigieux, comme le Brukenthal Museum, qui va bientôt se voir restituer tous ses Rubens et autres toiles de maîtres confisquées par les communistes bucarestois. En ce qui concerne l’histoire, la ville fondée en 1150 par des Allemands – la légende parle d’un certain Hermann comme fondateur de Hermannstadt – est passée de main en main à travers les siècles: détruite par les Tatares en 1241, mais vite reconstruite, puis importante ville de commerçants, fortifiée contre les agressions turques elle fût politiquement hongroise pendant deux siècles jusqu’à la fin de la Grande Guerre. Puis, après la Seconde Guerre mondiale, la chape de plomb communiste s’abattit sur le bloc de l’Est. A part ce dernier épisode donc, une histoire assez comparable à celle du Luxembourg: une bourgade commerçante, multi-éthnique et pluri-confessionnelle indépendante et toujours soumise aux risques d’invasions extérieures. Relevons que la légende que les habitants de Sibiu parleraient un patois qui s’apparente au luxembourgeois s’avère loufoque, ce qu’ont mis en évidence les essais infructueux de la secrétaire d’Etat à la culture Octavie Modert à parler luxembourgeois avec les locaux. Néanmoins les liens culturels entre Luxembourg et Sibiu commencent à réellement fonctionner. L’idée d’associer une ville partenaire à chaque capitale culturelle européenne date de 2002. Erna Hennicot-Schoepges, la ministre de la culture de l’époque, avait avancé ce concept, tout en préconisant de toujours associer une ville de l'“ancienne“ Europe à une située dans un nouvel Etat-membre. Ce partenariat constitue donc une première en soi. De plus le thème choisi par l’équipe du cerf bleu, à savoir les migrations, peut aussi bien être appliqué et à l’histoire de Sibiu et aux flux migratoires qui commencent à s’installer entre l’Est et l’Ouest de l’Europe. C’était donc un merveilleux hasard que la visite officielle de la semaine dernière ait coïncidé avec la nouvelle que la Roumanie était définitivement acceptée dans l’Union européenne.

Vampire contre cabine téléphonique

La partie roumaine du programme – dotée d’un budget de 10,4 millions d’euros – est tout aussi spectaculaire que celle du Luxembourg et de la Grande Région, qui en dépensera 45 de son côté. Entre les 1.200 propositions reçues, le comité d’organisation en a retenues 220, dont 25 qui associeront directement Luxembourg et Sibiu. L’institution partenaire principale pour ces projets sera la Kulturfabrik d’Esch, qui, après avoir été honteusement délaissée par les responsables du centenaire de la Ville en 2006, prend à nouveau les devants. Entre autres auront lieu des soirées littéraires et musicales, des expositions de photographies conjointes, des programmes d’échanges entre jeunes qui comprennent aussi une collaboration avec le musée Astra – un des plus grands musées en plein air d’Europe, dédié à l’ethnographie roumaine.

On est donc loin des clichés de la Transylvanie et des petits villages des Carpates: paysans illettrés coupés du monde hantés par des vampires, la ville de Sibiu n’a rien d’arriéré. D’ailleurs, s’il est vrai que le fils du „vrai“ Dracula Vlad Tepes fût poignardé par ses adversaires devant l’église principale de Sibiu, les locaux ne veulent pas vraiment entendre parler de ce mythe. „Même si on pourrait facilement en faire une image de marque“, comme le constate le maire de la ville. Et en images de marque, il s’y connaît. Ce n’est pas pour rien que pour sa campagne électorale, il a engagé l’agence de communication allemande Scholtz&Friends, celle-là même qui a assuré la victoire électorale de la chancelière allemande Angela Merkel. La même agence s’occupe de la campagne de Sibiu 2007. Le cerf bleu n’est donc pas hanté par des chauve-souris assoiffées de sang humain, mais devra s’habituer à la vue d’une cabine téléphonique et d’autres objets de la vie quotidienne, suivant le thème choisi par le comité organisateur: Sibiu Normal. „On voulait échapper aux clichés. Et on sait bien que notre région y est prédestinée. Avec notre campagne on veut surtout attirer des gens interéssés par la Roumanie d’aujourd’hui et non pas ceux qui cherchent des vampires“, explique Marius Constantin.

Sur place à Sibiu, au cours des discussions autour de l’année culturelle, on retrouve presque les mêmes différends qu’au Luxembourg. Tandis que le maire Johannis préfère parler d’un programme culturel à développement durable, qui comprend aussi la restauration des infrastructures de la ville, d’autres voix contredisent la version officielle. Ainsi Silviana Dan, la directrice du musée Brukenthal de Sibiu – qui est en passe d’être entièrement restauré – trouve que le programme mise beaucoup trop sur l’événementiel: „On aurait pu aller beaucoup plus loin avec tout cet argent, c’est sans doute une occasion exceptionnelle qui ne reviendra plus jamais“, explique-t-elle. Quand elle se rendra au Luxembourg en 2007, où elle participera à un projet commun avec le Casino d’art contemporain, elle pourra se rendre compte qu’elle n’est pas la seule à tenir ce genre de raisonnement.


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