LUXEMBOURG 2007: Le grand bond

L’année culturelle vient donc de commencer, avec les premiers brames du cerf bleu au-dessus de Luxembourg-Ville. Pourtant, rien n’assure qu’il restera autre chose que quelques crottes de biche en 2008.

Le monsieur sur la photo a fait un grand bond. Mais ça ne veut pas forcément dire que ça marche à tous les coups. (montage: woxx)

Mais commençons par le début: 1995. Cette première année culturelle a été pour beaucoup de monde – aussi bien pour le public intéressé que pour les actifs sur le terrain – le point de départ d’une nouvelle ère culturelle au Grand-Duché. Si avant 1995, le Luxembourg n’était qu’un désert culturel, n’ayant pas grand chose à montrer à l’exception de sculptures importées par les banques et placées sur les parvis de celles-ci, cette première expérience tient lieu d'“année zéro“ pour l’essor de la culture „made in Luxembourg“.

Depuis, de nouvelles institutions culturelles sont apparues un peu partout: le Casino-Forum d’Art contemporain (qui a le mérite d’être le seul vrai „survivant“ de 1995), la Philharmonie, le Mudam, la Rockhal … Toute une collection de joyaux pour apaiser le complexe d’infériorité culturel du consommateur luxembourgeois, qui, par contre n’a toujours pas de vraie université, ni de créateurs artistiques mondialement connus. La pierre d’achoppement reste donc toujours la même, soit on fait face à des salles vides et des initiatives qui – manquant d’un vrai souffle artistique – ne décollent pas, soit on importe des gros spectacles de l’étranger.

2007 remplira les lieux créés par l’essor de 1995

En résumé, l’année culturelle 1995 a servi à la création de nouvelles institutions et 2007 devra tenter de les remplir. Certes, des choses ont changé, comme le fait que l’équipe de 2007 a tenté une approche moins élitiste qu’en 1995, ce qui en soi est déjà un plus. Mais le véritable enjeu de l’année à venir seront les suites durables. Le coordinateur général Robert Garcia a raison de dire que „2007 commencera en 2008“, pourtant il n’a aucune garantie quant à la pérennité des lieux investis par „son“ année culturelle, comme les Rotondes ou le hall des soufflantes à Esch/ Belval, ni pour les événements organisés, par exemple le festival „Traffo“ qui a commencé dès à présent. Ce sera aux politiques de décider. Et là rien n’est acquis, avec un ministère de la culture formellement décapité pour les mêmes raisons que le terme de rigueur budgétaire apparaît de plus en plus dans les discours et dans les journaux: les problèmes économiques.

Faces aux pessimistes qui vont jusqu’à déplorer l’absence d’une politique culturelle digne de ce nom depuis les dernières législatives, c’est-à-dire les nostalgiques de l’ère d’Erna Hennicot-Schoepges, deux remarques s’imposent: primo il est vrai que depuis le départ de la ministre de la culture de l’époque, les responsables en place n’ont fait que maintenir le cap sans montrer une volonté d’innover en quoi que ce soit. Deuxio: à une époque où la culture au Luxembourg n’était pas grand chose, donc avant et juste après 1995, il était facile de construire. La demande était là, il suffisait juste de la satisfaire. La conclusion est donc simple: l’après-2007 nécessite l’avènement d’une nouvelle ère. Pourtant, la seule chose dont on peut être sûr aujourd’hui est que cette année culturelle ne sera pas suivie d’une période aussi faste et enthousiaste que celle de l’après 1995. Il ne reste plus de salles à construire (à l’exception d’un opéra peut-être) et le public luxembourgeois sera – ou est déjà – saturé de highlights culturels. Peut-être que la façon dont l’idée même de l’art est approchée en 2007 contient en germe des idées pour le futur? Deux éléments présagent une telle hypothèse: l’accent mis sur le tourisme et l’aspect Grande-Région.

Ce dernier aspect peut laisser pantois. La Grande Région est une entité économique qui fonctionne en cul-de-sac. Cinq régions qui envoient leurs frontaliers, sur le dos desquels le Luxembourg, profitant d’une force de travail mieux rémunérée qu’à l’extérieur de ses frontières, construit et maintient sa préséance économique. Soyons honnête: est-ce qu’un frontalier, coincé chaque matin sur une de nos nombreuses autoroutes en chemin vers son boulot, voit dans le Luxembourg un pays d’une grande culture? Est-ce qu’il visitera la Philharmonie, le Mudam ou le Casino? Est-ce qu’il pense que sa région et le Luxembourg forment un ensemble harmonieux qui peut contempler des siècles de culture commune? Rien n’est moins sûr.

L’artiste comme fournisseur de contenus

La Grande Région est et reste avant tout une construction politicienne. Que cette année culturelle s’apprête à changer la donne est un grand défi, presque impossible à relever, car on ne change pas en un an des habitudes et des mentalités. Bien sûr que des projets transfrontaliers ont été initiés, mais ceux-ci restent de qualité et d’intérêt variable. En tout cas on voit mal quelle est la ligne directrice dans le pot-pourri de projets proposés. Quel lien établir entre Trèves qui propose pour une énième fois une re-visite de son passé romain avec une grande exposition sur l’empereur Constantin et le projet du Pôle Européen Culturel qui unit la Lorraine, la région wallone et le Luxembourg? C’est aussi cela un des problèmes de 2007: un certain nombre de projets font le lien entre les différentes régions, mais les liens entre les différents projets eux-mêmes restent diffus ou sont inexistants. Il n’y a pas de projet-type Grande Région, faute d’une véritable identité commune. Et cette dernière ne se fera pas en 2007, ni en 2008. Il faudra un travail de plus longue haleine et surtout pas une entreprise aussi unilatérale que l’initiative du cerf bleu, qui se contente de réunir un maximum de projets sans pourtant pouvoir les relier ensemble. Le Fonds culturel transfrontalier ainsi que l’agence culturelle transfrontalière qui, selon les voeux pieux du coordinateur général, devraient prendre le relais de 2007 dès la fin des manifestations, restent des constructions théoriques.

Mieux qu’une instance bureaucratique de plus, la création d’un réseau transfrontalier d’artistes qui serait né en 2007, encouragerait la collaboration au-delà des frontières. Ou des avantages fiscaux et budgétaires offerts à ces projets, donneraient un essor à une vraie Grande Région culturelle.

Mais cela devra être laissé aux artistes. Dans tout ce cirque, c’est à eux qu’on pense le moins. Une spécificité du management artistique en général et de 2007 en particulier est de parler d’agencements, de collaborations et de synergies, en oubliant presque les contenus. L’artiste lui-même est en quelque sorte réduit à un fournisseur de contenus à ce qu’ont décidé les hommes politiques. Il est intéressant de voir les différentes réactions du monde artistique au branle-bas de l’année culturelle. Majoritairement preneurs de la manne financière ils se comportent en opportunistes par la force des choses. Et tant pis pour ceux qui n’ont pas d’idées pour le cours de l’année 2007. Car après le cerf bleu viendront les vaches maigres et il faudra faire sans apport financier extraordinaire et avec un public fatigué.

C’est que les années culturelles, pour le Luxembourg du moins, ont quelque chose de maoïste: il s’agit toujours de faire un grand bond en avant. Et si pour 1995, cette théorie semble avoir fonctionné, on ne sait pas si l’histoire peut se répéter encore une fois. Surtout avec les enjeux élargis de cette édition.


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