EXPOSITION: Malentendus historiques

Toutes les expositions qui traitent de thèmes sensibles se retrouvent tôt ou tard dans la ligne de mire des critiques. „Attention tsiganes! – Histoire d’un malentendu“, qui est montré en ce moment au musée d’histoire de Luxembourg ne fait pas d’exception.

Quand mythe et réalité se rencontrent, les clashs entre cultures sont parfois difficiles à contourner. (photos: Frans Hals: Zigeunerin / www.abandonedkids.com)

En pénétrant les halls aérés et lumineux du musée d’histoire de la ville de Luxembourg, un petit panneau discret attire l’attention du visiteur. Il s’agit d’un avertissement. Non pas pour inciter le visiteur à prendre garde de ne pas perdre l’équilibre sur quelques dalles fraîchement posées, mais pour lui expliquer le titre de la nouvelle exposition temporaire. „Attention tsiganes! – Histoire d’un malentendu“, donc, ne doit pas provoquer de nouvelles mésententes. On y explique pourquoi ce titre a été choisi délibérément et que ce n’est pas un hasard, si tous les préjugés possibles contre les gens du voyage s’y retrouvent. Ce serait pour attirer l’attention sur le fait que ces préjugés existent encore aujourd’hui, pas seulement à l’égard des gens du voyage, mais face à l’autre, à l’altérité tout court. Et que les gens du voyage incarnent justement mieux que tous les autres cet autre, inconnu et dangereux.

L’exposition elle-même présente un parcours didactique solidement construit. Le visiteur peut se renseigner sur les législations anti-tsiganes à partir du Moyen-Age jusqu’à nos jours. Il découvre aussi l’histoire des persécutions diverses dont les gens du voyage ont été victimes pendant des siècles et le sont aujourd’hui encore. Le musée ne rechigne même pas de montrer un texte de loi luxembourgeois de 1971 toujours en vigueur qui autorise les autorités d’expulser sans protocole et sans aucune forme de procès des gens du voyage. Que cette loi est loin d’être lettre morte, a été démontré par des incidents l’été dernier, quand plusieurs campings ont refusés d’accueillir un groupe d’itinérants. Le tout a fini dans une action de grande envergure de nos forces de police qui – tout comme jadis au 19e siècle – ont accompagné les gens du voyage jusqu’à la frontière la plus proche. Tout cela et beaucoup plus se trouve dans l’exposition en question. On y décrit en outre le mode de vie des gens du voyage avec des salles traitant du rôle des femmes et des hommes dans le clan ainsi que des projections montrant comment les Rroms de Roumanie vivent aujourd’hui. En tout, une exposition didactique qui se veut plutôt une introduction dans le mode de vie des gens du voyage qu’une collection exhaustive de toute l’histoire des gens du voyage.

Malentendu(s)

Mais justement tout le monde ne l’entend pas de la même oreille. Il y a une semaine exactement, parvenait à la presse un communiqué de la part du Forum européen des Rroms et des gens du voyage (European Roma and Travellers Forum – ERTF). Ce dernier ne fait pas dans la dentelle. Il accuse en outre le musée d’histoire d’avoir mis en place l’exposition „sans aucune participation d’organisations de Rroms et de leur représentants“, et considère que le titre de l’exposition est „une provocation contre les Rroms, qui en 1971 lors de leur premier congrès mondial après la Deuxième Guerre mondiale, ont revendiqué d’être appelés Rroms“. Et puis il serait difficile de résumer toute l’histoire des persécutions de Rroms – qui a connu son apogée dans le génocide nazi – dans le seul terme de „malentendu“.

„Ce n’est tout simplement pas un travail serieux“, explique Rudko Kawczynski, le président de l’ERTF. Il est surtout furieux que le musée n’ait pas voulu de l’aide de son organisation et qu’il s’est seulement manifesté quand la création de l’exposition était déjà parvenu à un stade avancé. En plus le musée n’aurait pas demandé l’avis de l’ERTF mais aurait seulement formulé des demandes de prêts d’objets pour l’exposition. „Le musée d’histoire de la ville de Luxembourg a tout simplement utilisé des préjugés pour faire une exposition contre les préjugés. C’est un peu comme si je faisais une exposition sur les Allemands en disant que de toute façon ce sont tous des nazis. On ne peut pas faire cela avec les Allemands, mais avec nous apparemment ça marche“, se plaint Kawczinsky. En plus il ne pense pas qu’un thème aussi complexe puisse être traité de façon exhaustive dans une seule exposition. „J’ai de la peine pour les gens qui ont monté cette exposition, car ils manquent de professionalisme. La seule chose positive qu’on pourrait tirer de cette affaire, ce serait que d’autres musées qui prévoient des expositions similaires en tirent la leçon et s’informent avant de commencer à travailler et à planifier“, ajoute-t-il,“ car cette exposition raconte l’histoire des gens du voyage en véhiculant des images surannées du romantisme de feu de camp“.

Romantisme de feu de camp contre dure réalité

„Monsieur Kawczinsky ferait mieux de venir au Luxembourg pour voir l’exposition avant d’envoyer de telles missives“, répond l’historienne Marie-Paule Jungblut, une des responsables de l’exposition. D’ailleurs elle insiste sur le fait que des responsables de l’ERTF étaient invités à participer au vernissage. „Mais Mme Waringo, la personne de contact pour le prêt des objets, n’a pas pu venir car les délais étaient apparemment trop courts“, déplore-t-elle. Elle se défend aussi du fait d’avoir voulu créer une exposition exhaustive sur l’histoire des Tsiganes. „Ce que nous avons voulu faire, c’était de rendre visible la distance qui nous sépare – les gadje, les non-tsiganes – des gens du voyage. C’est une exposition faite par des gadje et pour des gadje, tenu dans un discours qu’ils comprennent afin d’ériger des ponts avec l’altérité ou du moins pour explorer le fossé qui nous en sépare“. En plus elle insiste que des associations et intellectuels Rroms et Sinti ont été consultées et que toutes ont activement participées à l’élaboration de l’exposition critiquée. Entre autres Marcel Courthiade, titulaire de la chaire de langue et civisilation rromani à l’Institut national de langues et civisilation orientales (Inalco), un expert incontesté dans la matière. Des associations allemandes, françaises, espagnoles, roumaines, tchèques et finnoises ont été contactées et beaucoup d’informations et objets ont trouvé leur chemin vers le Luxembourg par ce biais. En plus la collaboration avec la Roumanie a été fructueuse. Non seulement le musée Astra de Sibiu est partenaire principal de l’exposition, mais aussi un grand travail de documentation a été réalisé en Roumanie lors des préparatifs.

D’ailleurs, il paraît intéressant que le président de l’ERTF se contredit au moins sur un point. Dans le communiqué Rudko Kawczynski se montre scandalisé par l’utilisation du terme „tsiganes“, alors qu’en 1984 dans le cadre d’un ouvrage commun intitulé „Heilen und Vernichten im Mustergau Hamburg – Bevölkerungs – und Gesundheitspolitik im Dritten Reich“, il a revendiqué cette dénomination dans son article „Zigeunerverfolgung“. Dans le texte, Rudko Kawczynski précise qu’il continuera „délibérément à utiliser le mot Tsigane, parce que c’est sous ce nom que nous avons été persécutés pendant des siècles, et il est temps que nous soyons réhabilités en tant que Tsiganes et que ce terme obtienne une nouvelle signification“ (traduction du musée d’histoire de la ville de Luxemboug).

Reste à savoir quelle leçon tirer de ce conflit. Est-ce un simple malentendu de plus? Ou une mauvaise volonté de l’ERTF, blasée de ne pas avoir été impliquée dès le début des préparatifs de l’exposition? Ou encore le musée d’histoire a-t-il gaffé? La réponse se situe peut-être dans le fossé qui sépare les gadje des gens du voyage. En tout cas, les Luxembourgeois-e-s n’ont pas le choix: s’ils veulent savoir quelque chose sur les gens du voyage, ils doivent se rendre au musée car leur police expulse toujours les concerné-e-s.

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L’exposition dure jusqu’au 21 octobre,
visites guidées les jeudis à 18h et les dimanches à 16h.


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