EXPOSITION: Le passé est le futur du présent

Le design rencontre la science-fiction. De cette rencontre sont nées les visions les plus incongrues du futur qui devait s’introduire dans le présent. „Tomorrow Now“, la nouvelle expo au Mudam, essaie d’élucider ce mariage pas commes les autres.

Maison du futur ou archaisme utopique?
(photo: Mudam)

Les visions du futur ont toujours fasciné l’humanité. Dès le 17e siècle, des savants se mettaient à concevoir des hommes-machines. Et les visions d’un Michel-Ange sont toujours d’actualité. Mais que se cache-t-il derrière ce désir de vouloir se projeter vers un futur fantastique? Une simple fuite devant un présent entrevu comme morne, lourd et sans couleurs? En tout cas, les visions du futur ont toujours été et seront toujours des projections du présent, ou mieux dit, des projections des désirs que ce présent ne peut combler. La preuve en est que les visions futuristes ont constamment changés de contenu. Pessimiste jusqu’à la paranoïa pour certaines périodes ou optimistes jusqu’à l’aveuglement pour d’autres – ces visions ont en commun un questionnement ontologique basé sur le dépassement du présent et toutes jouent sur l’infini des possibilités.

„Tomorrow Now – When Design Meets Science Fiction“ offre une panoplie assez complète de ces tentations de matérialiser ce qu’une certaine candidate socialiste appelait encore récemment „désirs d’avenir“. Le point d’attache de l’exposition au Luxembourg s’appelle Hugo Gernsback. Ce nom ne vous dit rien? Et bien, il s’agit d’un monsieur né au Luxembourg et qui passe pour l’inventeur du mot science-fiction en 1929. Malheureusement, cette invention ne s’est pas faite dans son pays natal, mais dans sa terre d’immigration, les Etats-Unis d’Amérique – un terrain peut-être plus propice à des créations de cette nature. Editeur de la revue Science Wonder Stories – dans le format pulp, donc bon marché – il a popularisé son goût pour la technologie et la science en les unissant à des visions du futur. Soucoupes volantes, le retour des dinosaures ou encore des attaques par des robots humanisés: l’inventaire complet des visions qui nous fascinent encore aujourd’hui se trouve dans ces petits cahiers aux couleurs criardes. De la vision, l’exposition passe à la réalisation en montrant les travaux du designer et décorateur de théâtre américain Norman Bel Geddes, qui imagina en 1939 à quoi ressemblera la ville du futur dans son Futurama. Conçu pour le pavillon de la General Motors, Futurama rassemble déja nombre d’éléments qui nous sont connus dès le plus jeune âge: gratte-ciels, feux de signalisation, tapis roulants. Puis intervient le design. Il se comprend initialement comme une matérialisation de ces visions – même s’il est né d’un besoin économique. Car les producteurs de „nouvelles technologies“ de l’époque se trouvaient devant un problème de taille: leurs produits – radios, tourne-disques ou voitures – se vendaient mal, même s’ils fonctionnaient bien. C’est leur apparence qui n’a pas rendu attractifs ces produits. Le design apporte une nouvelle dimension à ces merveilles, et en leur donnant des formes osées, les popularise en un temps record. Il suffit de penser à la Citroën DS avec son moteur, son hydraulique exceptionnelle mais sans sa forme spécifique …

Hors des visions pratiques au service de l’industrie, le mariage entre science-fiction et design revêt encore une autre dimension, philosophique cette fois. Que ce soit dans des films devenus classiques comme „Space Odyssey“ de Stanley Kubrick – auquel les magnifiques six colonnes de Joe Mc Cracken font référence – ou encore des visions de la malléabilité du corps humain et de son imitation, ce versant de la science-fiction est sûrement moins positiviste. La dérive fasciste d’un monde régi par la technologie est une vision d’horreur omniprésente. Cette société de contrôle total, imaginée par un Huxley ou un Orwell, est en voie de réalisation par des hommes politiques populistes de toutes les couleurs. Ou encore des visions de domestication du corps humain, comme le montre l’exagérée et hilarante installation „Sperm Palace“ d’un anonyme japonais, un prêt du musée SF Future Museum de Tokyo. Ici l’humanité est suppliciée par une race supérieure venue de l’espace, les hommes et les femmes subissent des tests et ne survivent que les exemplaires les plus beaux qui auront „l’honneur“ de créer une nouvelle race de sex-workers pour le seul plaisir de leurs nouveaux maîtres. Ce cabinet d’horreurs avec des poupées à taille réelle semi-automatisées est sans doute l’oeuvre la plus dérangeante de „Tomorrow Now“.

Finalement, au bout de l’utopie se trouve la dystopie. Et l’exposition y consacre une salle entière en montrant les travaux du groupe italien Supercittà des années 60 et 70 et des américains d’Archigram. Ces derniers reprennent l’utopie là où elle a commencée: dans les petits cahiers coloriés de Gernsback. Mais au lieu de montrer un futur rayonnant et plein d’aventures, ils détournent les images à la manière des situationnistes français, pour les muter en des visions d’un futur monotone et hyper-standardisé. Ces exercices pleins d’ironie montrent que la vision du futur est, comme le présent, en constant changement.

„Tomorrow Now –
When Design Meets Science Fiction“
jusqu’au 24 septembre 2007 au Mudam.


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