Denis Jean-Pierre: Blessures assassines

Les soeurs Papin arrachaient les yeux à la société bourgeoise des années 30. Jean-Pierre Denis nous révèle dans son film leurs blessures assassines.

Le soir du 2 février 1933, Monsieur Lancelin découvrait en rentrant les corps affreusement mutilés de son épouse et de sa fille. „Les yeux ont disparu, la bouche n’existe plus, les dents ont été projetées“; telle la note dans le constat de police. En haut, dans la chambre de bonnes, les deux soeurs Christine et Léa Papin se serraient étroitement sous la couverture et attendaient comme des brebis effrayées les enquêteurs. Avouant le double meurtre, Christine résumait tout court son point de vue: „J’aime mieux avoir la peau de mes patronnes plutôt que ce soit elles qui aient la mienne ou celle de ma sœur.“

Dès le lendemain, toute la France se trouvait sous le choc. Engagées depuis six ans comme domestiques dans la famille Lancelin, réputées pour leur travail impeccable, quel était le motif des soeurs? L’affaire Papin devenait vite la source d`interprétations socio-politiques, psychologiques et médicales . Elle servait comme toile de fond à de nombreuses interprétations littéraires et artistiques. Tout un sentiment de l’époque se reflétait dans la polémique autour des monstres du Mans. Mais les blessures intérieures de Léa et Christine, qui s’étaient isolées dans leur relation sexuelle incestueuse, restaient ignorées. La bourgeoisie avait peur de ces „bonnes“ ingrates et tenait à les punir à tout prix. Ainsi les quelques voix qui réclamaient de considérer l’état de démence lors de l’acte, qui notaient la dépersonnalisation de Christine, n’étaient pas entendues. Le tribunal les jugeait entièrement responsables, niant la psychose de Christine.

Le côté énigmatique du crime a d’abord inspiré l’auteur Jean Genet pour sa pièce de théâtre „Les Bonnes“. Le psychiatre Jacques Lacan étudiait à son tour la dimension schizoï de du „cas Papin“. Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir affirmaient leur position anti-bourgeoise: „Peut-être parmi les mères de mes élèves, il y avait certainement de ces femmes (…) qui enfilent des gants blancs pour déceler sur les meubles des grains de poussière oubliés: à nos yeux, elles méritaient cent fois la mort“, soulignait Simone de Beauvoir. Les soeurs Papin étant devenues pour les communistes le symbole d’une classe exploitée – et de jeunesse exploitée – le double meurtre du Mans continue, même de nos jours, à inspirer les réalisateurs contemporains. A noter la sortie prochaine du documentaire de Claude Ventura qui se met „En Quête des Soeurs Papin“.

Pour le réalisateur Jean-Pierre Denis, c’est le retour après une dizaine d’années d’absence passées dans l’administration. Il a opté pour une version très métallique et sans musique. Le film se présente dégraissé, brute, simple, tout en suivant pas à pas la tragédie des deux soeurs depuis leur enfance. La caméra accompagne les personnages sans être complaisante. Mais l’évolution de la situation reste difficile à comprendre, les scènes étant assez saccadées. Heureusement qu’il y a Sylvie Testud, bien connue par les films „Karnaval“ et „Jenseits der Stille“, qui réussit une interprétation profonde de Christine. Elle saisit bien la dimension de folie du personnage. Selon Testud, c’est la vie qui a rendu malade Christine: trop intelligente à se soumettre, sans possibilité d’exprimer ou de vivre ses souhaits, son seul but était de sauver sa soeur. Dans Léa (Julie-Marie Parmentier) luisait encore un brin de rêve, si ce n’était que le rêve de se marier. „Blessures assassines“ est un film dont on peut se passer, vu la réalisation peu intéressante. Il vaut mieux se documenter dans les nombreux écrits et analyses autour de l’affaire Papin. Et puis, il y a mieux dans nos salles, foncez plutôt vers Amélie Poulain (encore et encore), au lieu de vous replonger sur le triste destin des Papin, dans une version si médiocre.


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