SECONDE GUERRE MONDIALE: Collabos deluxe ?

La thèse de Vincent Artuso est un des premiers travaux d’envergure sur un phénomène que l’historiographie officielle préfère occulter. Si elle ne remet pas fondamentalement en cause ce qu’on savait déjà, elle dévoile de nouvelles raisons derrière des phénomènes trop souvent mis sur un piédestal.

Editer les « bonnes feuilles » d’un livre – et d’une thèse de doctorat de surcroît – n’est une tâche ni évidente, ni même gratifiante. Déjà que personne n’aime faire des découpages dans un livre qui l’intéresse. Mais dans ce cas, où il faut bien s’adonner à l’exercice, les choix sont dictés par deux facteurs majeurs : les informations qu’on estime prioritaires à partager avec le lectorat et la lisibilité du texte, qui risque d’être obstruée par une lecture – forcément – partielle. A cause de cela, quelques éléments majeurs de « La collaboration au Grand-Duché de Luxembourg durant la Seconde Guerre mondiale (1940-1945) : adaptation, accomodation, assimilation » ont été écartés par les ciseaux du compilateur des bonnes feuilles. Pourtant, et dans le souci de compléter ces lacunes dans la mesure du possible, nous voulons profiter de la publication de ce dernier extrait pour revenir sur quelques points, malheureusement pas encore publiés – en attendant la publication du mémoire sous forme de livre.

La première chose qui frappe à la lecture de cette thèse, c’est qu’elle rend impossible la vieille dichotomie entre un peuple de résistants et de collaborateurs. En effet, si on veut comprendre le Luxembourg pendant la guerre, il faut aussi connaître les nuances possibles dans la collaboration avec le Reich, ainsi que les motivations qu’avaient ces personnes à s’accommoder avec l’occupant nazi – des motivations qui peuvent radicalement changer notre point de vue sur certains faits historiques. Ainsi, c’est surtout la « Volksdeutsche Bewegung » (VdB) qui joue un rôle prééminent dans le contact du régime nazi avec la population luxembourgeoise. Née des cercles de la « Gesellschaft für deutsche Literatur und Kunst », déjà animée par le fasciste fanatique Damien Kratzenberg, elle regroupait, dès les premiers jours de l’occupation, les plus ardents combattants de la cause pro-allemande. Pourtant, ni pour le Gauleiter, ni pour les SS de la Sipo-SD, les rapports avec la VdB n’étaient évidents. D’abord parce que les plus fanatiques d’entre eux – membres du fameux « Stosstrupp » animé par Camille Dennemeyer – rappelaient trop les débordements des SA déjà efficacement combattus par Hitler. Et puis, les nazis suspectaient les Luxembourgeois d’adhérer au VdB plus par opportunisme que par conviction. C’est surtout dans la deuxième phase, où l’adhésion au VdB fut rendue obligatoire, qu’il devient un organe incontrôlable et donc inefficace pour l’occupant. C’est pourquoi le Gauleiter a ouvert la possibilité aux plus convaincus d’adhérer directement au NSDAP allemand.

Le Gauleiter s’était aussi compromis avec la suppression de l’indexation automatique des salaires.

En général, on peut dire que l’adhésion des Luxembourgeois au régime nazi connaît deux revirements majeurs. D’abord, lorsqu’après plus d’un an d’occupation, ni les promesses du Gauleiter d’une vie meilleure, ni les espoirs de sauvegarder ne seraient-ce que des restes de souveraineté nationale ne furent réalisés, l’Allemagne – qui en 1940 semblait encore imbattable – commence à s’engluer dans la guerre et à attaquer l’URSS, sans avoir vaincu les Britanniques, les plus sensés des Luxembourgeois commencent à freiner leur enthousiasme. Car l’issue de la guerre, qu’on croyait gagnée d’avance pour le Reich, redevenait incertaine. D’autant plus que le Gauleiter avait attaqué la paix sociale de front en supprimant ce qui est encore aujourd’hui la vache sacrée des syndicats : l’indexation automatique des salaires, qui existait déjà avant-guerre, quoiqu`avec une distribution différente.

Le deuxième moment fort du désengagement dans la collaboration était l’enrôlement forcé des jeunes Luxembourgeois à partir du 30 août 1942. Certes, la majorité de la population craignait depuis longtemps que l’Allemagne hitlérienne ne lui demande une contribution de sang, mais cela n’empêcha pas le pays de déclencher une « grève générale ». D’ailleurs, à propos de cette « grève », qui fut plutôt une accumulation de débrayages spontanés qu’un soulèvement de masse orchestré par la résistance, pourtant déjà bien en place à cette époque, Artuso relève une anecdote historique intéressante : le 27 août, un postier de Wiltz lut dans un exemplaire du « Reichsgesetzblatt » qui ne lui était pas destiné – la poste allemande ayant confondu Wiltz et Wels en Autriche – que le service militaire obligatoire allait être proclamé par le Gauleiter dans un grand meeting déjà annoncé pour le 30 août. En passant cette information à des résistants de sa connaissance, le postier déclencha donc, avec l’aide du hasard, le plus important soulèvement sous l’occupation.

Ce n’est qu’après la déclaration de l’enrôlement forcé que la peur change de camp et que même les collaborateurs les plus convaincus se sentent de plus en plus isolés, à tel point qu’ils se mettent à demander à être armés. Et ils avaient raison d’avoir peur car, à côté des réfractaires, quelque 3.000 déserteurs luxembourgeois, donc armés et formés au combat, rôdaient potentiellement dans les campagnes du pays. En conséquence, le risque d’une guerre civile couvait bel et bien durant les derniers mois avant la Libération. Ce qui rend compréhensible aussi certains agissements du gouvernement en exil, qui, une fois revenu au pays, voulait surtout calmer le jeu, plutôt que de chercher à ce que justice soit faite dans les derniers détails.

Ainsi, si on met de côté les convaincus d’office, qui sont restés inflexibles sur leurs opinions avant, pendant et parfois même après la guerre, la majorité de la population luxembourgeoise s’est pliée aux vents de l’Histoire qui soufflaient sur son pays, cherchant à sauvegarder souveraineté et avantages sociaux, et acceptant de payer – du moins au début – le prix fort : s’encanailler avec la dictature la plus criminelle et sanguinaire que le monde avait vu jusque-là. Car personne au Luxembourg de 1940 ne pouvait ignorer ce qui se passait outre-Rhin depuis 1933.

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Voir aussi BONNES FEUILLES (6/6) |
Démystifications


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