REPAIR CAFÉ: N’en jetez plus !

Les objets abîmés sont de plus en plus facilement remplacés par des objets nouveaux. Cela coûte de l’argent, mais aussi des ressources. Voici l’antidote, convivial de surcroît.

A l’entrée, les visiteurs sont dispatchés vers une des tables du Repair Café. Les distinctions sont moins strictes que la liste ne le suggère.

Il est 14h10 et l’on se bouscule presque à l’entrée du vieux bâtiment au Dernier Sol à Bonnevoie. Le Repair Café vient d’ouvrir et, pour sa troisième séance, il a changé d’adresse. Mais ce samedi après-midi, de nombreux adeptes l’ont trouvé, caché au fond d’une impasse, et sont arrivés tôt, car la règle dit : premier arrivé, premier réparé. Carlotta est lourdement chargée. « Je n’ai pas pu venir la dernière fois ; depuis, j’ai accumulé un certain nombre d’objets défectueux. » Sa casquette, son foulard multicolore et ses grandes boucles d’oreille lui donnent un look alternatif. Avec ses deux gros sacs, elle se tient dans l’espace entre les deux rangées de tables derrière lesquelles sont installés les « réparateurs » et attend son tour.

Carlotta vient de soumettre son appareil photo compact à Dennis, l’un des informaticiens. « Soudainement, il n’a plus fait de photos », raconte-t-elle. « Mon mari m’a dit de le jeter, mais j’ai voulu l’apporter. » En vain, car Dennis, après inspection, s’avoue vaincu : « La carte mémoire fonctionne, mais l’appareil n’enregistre plus de nouvelles images. » Mais voici que Richard, l’informaticien qui a apporté son fer à souder, a recollé avec succès le couvercle d’une cruche en cuivre. Carlotta sort d’un de ses sacs un lecteur DVD dont le chariot est resté bloqué. Pendant que Richard démonte l’appareil pour sortir le CD coincé à l’intérieur, Carlotta s’enthousiasme : « L’idée de réparer les objets plutôt que de les jeter m’a tout de suite séduite. » Les travaux de couture de base, elle sait les faire elle-même, mais ne se sent pas capable de faire de même dans le domaine technique. « Mais quand j’étais enfant, j’étais entourée de câbles, de bobines et de vieux appareils électriques – mon père était réparateur. »

Bricoleurs bénévoles

Carlotta et Richard communiquent en français, avec un léger accent italien pour elle, anglo-saxon pour lui. A part la lingua franca du Luxembourg, on entend du « lëtzebuergesch », de l’anglais, de l’allemand et même de l’italien – quand Carlotta s’entretient avec Alba, l’une des couturières. Le bruit de conversation d’une trentaine de personnes emplit la salle, mise à disposition par la Croix-Rouge. Les gens sont accueillis dans le couloir d’entrée et se font conseiller et guider par quelques bénévoles, qui les orientent vers l’une des dix tables. Claude, l’initiateur du projet, court dans tous les sens, envoie une personne chez l’électricien au fond de la salle. Vêtu d’une chemise blanche à longues manches et d’un gilet à carreaux brun, Claude dégage une certaine élégance au milieu d’une foule majoritairement baba cool. Il me salue, puis doit s’occuper d’un visiteur proposant de faire un stand d’assistance administrative. « Pourquoi pas, pouvez-vous nous laisser votre adresse ? », dit-il et rajoute en souriant : « On aura bientôt besoin d’une deuxième salle. »

« Le Repair Café, je suis tombé dessus en lisant le Spiegel il y a deux ans », me raconte-t-il quelques jours plus tard. « J’ai contacté les initiateurs, aux Pays-Bas, qui proposent de reprendre leurs conditions et leur logo, puis j’ai cherché un endroit qui convienne. » Les deux premiers Cafés ont eu lieu à l’ancien Monopol de Gasperich. « J’ai ouvert une page Facebook, l’information a été relayée par RTL et 100,7 et désormais nous avons une liste d’une vingtaine de réparateurs bénévoles. » Bénévoles, car les Repair Cafés sont gratuits, et l’argent collecté dans la tirelire posée à l’entrée suffit juste à imprimer des flyers et payer l’assurance. Claude, qui travaille dans l’enseignement, indique avoir lui-même le goût du bricolage. Pour lui, c’est aussi l’aspect convivial qui importe : attirer des personnes de tous les âges et de toutes les obédiences politiques. « Il y a des retraités, comme Jos qui répare les montres, et des jeunes, comme Dennis, du Chaos Computer Club, qui a aussi amené son père. »

Père et fils se tiennent face à deux dames d’un certain âge, au look soigné, bien coiffées. Celles-ci ont amené une lampe électrique défectueuse, en fait une ancienne lampe à pétrole « électrifiée », sans doute un souvenir du travail dans les mines. En principe, Dennis figure comme informaticien et musicien, mais comme un ordinateur est aussi un appareil électrique, lui et ses collègues dépannent aussi ce type d’objets. Après avoir vérifié les contacts, le père emprunte le fer à souder de Richard et raccommode le câble, dont les contacts étaient oxydés. La lampe s’allume à nouveau, les dames disent merci et repartent, contentes.

A côté, Carlotta est contente aussi : après avoir dépoussiéré le chariot et graissé les rails, Richard parvient à sortir et rentrer le disque optique. « Et moi qui devais donner des coups sur l’appareil pour que le disque sorte », se réjouit la propriétaire. En remontant le lecteur afin de vérifier que ça fonctionne encore, Richard explique comment il faut utiliser le tournevis afin de ne pas endommager les trous de vis dans le plastique. « Pourquoi ne répare-t-on presque plus ces appareils ? », se plaint la propriétaire du lecteur. Je me hasarde à dire que beaucoup de gens préfèrent passer au modèle suivant, en général meilleur. Carlotta n’est pas d’accord : « Les trucs nouveaux, comme l’iPhone, ça ne fait qu’inciter à consommer plus. C’est inutile – moi par exemple, ma vieille télé, elle me suffit. »

Entraide active

A côté, un visiteur se fait expliquer que son scanner-copieur HP à l’écran de contrôle défectueux ne peut plus être réparé : « Il faudrait remplacer l’ensemble du bloc de contrôle », indique l’expert consulté. Certains produits parmi les plus sophistiqués, à l’image des iPhones, sont construits de manière à rendre toute réparation difficile, au point qu’on peut y voir un élément de politique commerciale (voir woxx 1234 : Die Kaputt-Garantie).

Pourtant, d’autres réparations sont évidentes à faire : le radioréveil de la dame avait juste un bouton qui coinçait, le monsieur au Kärcher devra simplement remplacer le condensateur. Enfin, la jeune femme au casque hifi repart après un examen approfondi : « Je dois juste commander le câble électrique et la fiche, puis je saurai faire moi-même, le réparateur m’a montré. » Effectivement, les Repair Cafés ne sont pas à confondre avec les commerces qui font des réparations électriques et autres. Les gens ne viennent pas seulement pour être dépannés, ils sont aussi supposés participer ou apprendre en observant.

« Je le verrais plutôt comme une aide de voisinage élargi », explique Claude. Il raconte comment, la fois d’avant, une dame avait pris des notes sur la réparation d’un interrupteur électrique afin de pouvoir l’expliquer à son voisin. « Et comme pour l’aide entre amis, c’est le propriétaire de l’appareil qui commande et paye les pièces de rechange nécessaires », rajoute Claude. Il y voit une fonction éducative – donner plus de valeur aux objets, économiser les ressources naturelles – et un moyen de pression sur les grandes entreprises, afin qu’elles produisent des biens plus durables.

Déception pour Carlotta et Richard : après près de deux heures de démontages et remontages, ce dernier doit constater que le chariot du lecteur glisse mieux, mais continue à bloquer quand l’appareil est remonté. Il pense avoir détecté une des causes du dysfonctionnement : la courroie élastique qui tire le chariot est trop souple. Hélas, comme de nombreuses autres pièces détachées, ces courroies ne sont pas standardisées. Richard, toujours souriant, propose d’apporter quelques courroies pour refaire des essais la prochaine fois. Et passe aux visiteurs suivants, un couple avec un autre appareil hifi.

Voilà une des raisons d’être du Repair Café : continuer d’essayer là où, après avoir encaissé 50 euros pour un devis, l’atelier de réparation commercial doit déclarer que la remise en état coûtera plus cher que l’achat d’un modèle nouveau. Ou encore, comme Jos raconte avoir entendu dire dans un magasin Apple : « A trois ans et demi, cet appareil est vieux, il n’y a plus de pièces de rechange. » L’horloger trouve cela déconcertant : « Moi, il m’arrive de réparer des objets vieux de 200 ans, et je peux bien trouver toutes les pièces d’assemblage nécessaires. »

Le prochain Repair Café aura lieu dans le cadre de l’Oekofoire, du 26 au 28 septembre, en principe l’après-midi seulement. Pour savoir quel type de réparateur sera présent quel jour, consulter la page : www.facebook.com/www.repaircafe.lu


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