BIEN-ÊTRE ANIMAL: « Accompagner le processus législatif »

L’association Artists for Animals a organisé le 24 novembre dernier une table ronde intitulée « Ceci n’est pas un animal ». Runa et Thorunn Egilsdottir sont à l’origine de cette initiative. Elles ont confié au woxx leurs objectifs pour ce dossier destiné à se retrouver sous le feu des projecteurs en 2015, avec la modification programmée de la loi sur les animaux de 1983.

Deux soeurs engagées pour la cause animale : Runa Egilsdottir, 36 ans, designer et récemment devenue conseillère communale de la ville de Luxembourg, et Thorunn Egilsdottir, 39 ans, chanteuse. (Photo : woxx)

woxx : Vous venez de créer l’association Artists for Animals. Quels en sont les objectifs ?

Runa Egilsdottir : Le facteur déclenchant a été le dépôt de deux récentes pétitions (sous les numéros 331 et 354, ndlr). Suite aux débats à la Chambre, le ministère de l’Agriculture a commencé à revoir la loi sur la protection et le bien-être des animaux, notamment dans le sens d’une nouvelle définition de l’animal. Nous y avons vu une occasion en or pour ouvrir le débat au Luxembourg et pour rassembler tous les acteurs concernés, afin de comprendre la situation de l’animal dans notre société aujourd’hui. Notre objectif est de profiter de la dynamique actuelle pour améliorer au maximum les droits des animaux et leur protection, tout particulièrement pour les animaux de production ou en détresse. Nous voulons parvenir à des solutions simples et efficaces qui rencontrent un large consensus.

Thorunn Egilsdottir : Nous sommes arrivés à un point où on ne peut plus continuer ainsi. Il y a un lien direct entre la façon dont on traite les animaux et celle dont on traite les êtres humains. Pour ceux qui décident de consommer de la viande, des droits plus étendus pour les animaux d’élevage conduiront à une meilleure alimentation. De plus, les conséquences environnementales et sanitaires de l’élevage sont importantes et doivent être débattues : on fait plus de dégâts en consommant trop de viande qu’en conduisant une voiture, et cela à cause de l’importation de protéines alimentaires, notamment depuis l’Amérique latine. Les effets sur la déforestation ou les carences alimentaires dans certains pays en développement sont bien réels. C’était donc le bon moment pour agir.

« C’est comme s’il y avait une distinction entre animaux qu’on caresse et animaux qu’on mange »

Avez-vous connaissance de chiffres concrets permettant de confirmer l’urgence de la situation ?

TE : On touche là au fond du problème. Il y a un cruel manque de chiffres, car cette problématique reste pour l’instant très floue. Je la compare souvent à la situation des femmes auparavant : il n’était pas facile de trouver des données chiffrées allant dans le sens d’un déficit de droits des femmes… et pourtant la bataille a été menée. Malgré la rareté des données chiffrées, il serait cependant naïf de croire que le bien-être animal est une notion généralisée.

RE : C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons organisé la table ronde : nous avons rapidement compris que nous n’étions pas en mesure de proposer des actions concrètes, au-delà d’un hypothétique statut des animaux dans la loi qui, même s’il est désirable, ne serait pas une aide immédiate sur le terrain. Il nous fallait donc réunir des experts pour parvenir à des propositions.

« Ceci n’est pas un animal » : quel message souhaitiez-vous véhiculer avec ce titre qui sonne comme un clin d’oeil à Magritte ?

RE : En latin, « anima » fait référence au souffle vital ; mais dans notre loi, l’animal n’est qu’une chose, un bien. De plus, le législateur fait une différence entre animaux domestiques et animaux de production ; certains animaux sont donc plus animaux que d’autres. L’intitulé de la table ronde avait donc pour but d’évoquer ces contradictions.

TE : Oui, c’est comme s’il y avait une distinction entre animaux qu’on caresse et animaux qu’on mange. En ce qui concerne l’allusion aux artistes, il s’agissait de fédérer le plus possible de participants sous une bannière aussi neutre que possible, du boucher à la vegan en passant par le fonctionnaire des services vétérinaires. Les artistes sont toujours en pointe pour les causes sociétales, avec une dépendance politique moins marquée, comme on l’a vu par exemple pour les Noirs, les femmes ou les homosexuels.

« Fédérer le plus possible de participants sous une bannière aussi neutre que possible »

Que proposez-vous concrètement ?

TE : La table ronde nous a permis de développer quelques propositions clés. D’abord, comme cela vient d’être voté en France, il faut accorder aux animaux le statut d’« êtres doués de sensibilité » ; mais ça ne suffit pas : nous plaidons pour la notion additionnelle de dignité – pas pour donner à l’animal un statut égal à celui de l’être humain, car nous ne pouvons forcer tout le monde à devenir vegan, mais pour entamer un cercle vertueux dans le système judiciaire. Ensuite, nous souhaitons que le ministère de l’Agriculture ne soit pas le seul garant du bien-être animal, comme c’est le cas actuellement ; cette compétence devrait être transférée au ministère de la Justice. Nous suggérons également une formation spécifique et obligatoire pour les avocats ; actuellement, les compétences dans le domaine du bien-être animal dépendent uniquement du bon vouloir des individus. Enfin, nous voulons plus de prévention – via notamment des actions de sensibilisation dès l’école, par le biais pourquoi pas des cours d’éducation aux valeurs -, plus de contrôles et de sanctions.

RE : Il n’y a pas d’autre moyen pour punir la maltraitance que de se rendre devant les tribunaux. Les délais de procédure font que les contrevenants peuvent continuer de maltraiter leurs animaux avant leur jugement en toute impunité. Une simple procédure d’appel permet la restitution d’un troupeau préalablement retiré par l’inspection vétérinaire.

TE : Et puis il y a le problème de la Constitution. Celle-ci doit être complétée pour inclure un article relatif au bien-être animal. Il ne suffit pas de gommer la mention de « bien meuble » pour les animaux dans le Code civil, comme en France. Cette modification a minima nous semble d’ailleurs presque un échec (les députés français ont de fait adopté une position minimaliste par rapport à l‘appel initial de plusieurs intellectuels pour un statut intermédiaire entre les personnes et les biens, ndlr). Toutes ces propositions représentent des petits pas, mais des petits pas concrets.

Vous parlez également d’un rôle de modèle pour le Luxembourg.

TE : Un exemple : il est interdit d’importer des fourrures de chat et de chien en Europe. Mais il a été démontré que certains vêtements vendus sur notre continent en contenaient. Il y a donc une absence manifeste de contrôles efficaces. Mais surtout, les 6.000 élevages d’autres animaux à fourrure en Europe souffrent d’une absence de réglementation qui conduit souvent à la maltraitance.

RE : D’où notre proposition d’interdire, comme pour le foie gras, la production de fourrure au grand-duché. Bien sûr, il n’y a pas d’élevage de ce type sur notre territoire. Mais la portée symbolique serait très importante, et le message extrêmement positif.

Y a-t-il une législation étrangère que vous considérez comme satisfaisante ?

RE : Claude Turmes, eurodéputé vert, a présenté cet aspect lors de notre table ronde. Il s’avère que l’Irlande dispose d’une loi qu’on peut considérer comme exemplaire.

TE : D’une part, la définition de ce qu’est un animal y est beaucoup plus claire et concrète, et d’autre part l’ensemble des textes législatifs est véritablement proanimal. Il ne s’agit pas d’humaniser l’animal ou d’animaliser l’être humain, mais les sanctions par exemple vont dans le sens d’une dignité accrue : on ne peut pas couper une queue, des cornes ; on ne peut pas abandonner un animal… Claudia Monti, avocate à la cour, qui nous a rejointes suite à la table ronde, s’est attelée à en analyser les concepts qui pourraient être repris dans la loi luxembourgeoise.

« Il ne s’agit pas d’humaniser l’animal ou d’animaliser l’être humain »

Quelles sont les prochaines échéances de votre association ?

RE : Nous allons produire d’ici à la fin de l’année un document reprenant nos principales propositions, complétées par des arguments juridiques. Nous espérons que les partis politiques se l’approprieront pour que le débat à la Chambre soit le plus ouvert possible. Nous avons aussi l’idée d’une prochaine table ronde qui aurait pour sujet l’exemplarité du Luxembourg, comme mentionné précédemment : pourquoi ne pas introduire des projets de recherche – un domaine où le grand-duché souhaite exceller – qui par exemple étudieraient des solutions alternatives à l’expérimentation animale ou synthétiseraient des protéines sans avoir recours aux animaux ?

TE : Nous avons déjà eu des retours positifs de personnes qui a priori ne sont pas vraiment sensibilisées à cette cause. Et puis certains chasseurs nous ont contactées pour faire valoir que leur activité était également en opposition avec les pratiques d’élevage industriel. La dynamique est lancée. Alors, d’une manière générale, nous allons continuer de mettre en place des actions qui permettent aux gens, dans cette société où on a peu de temps, de faire une pause et de réfléchir sur le sujet.

L’association Artists for Animals peut être contactée par courriel : artistsfanimals@gmail.com


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