PARTICIPATION POLITIQUE: L’égalité à petits pas

D’un coup d’éclat, la Révolution française imposa le principe de l’égalité des individus devant la loi. Mais l’accès au droit de vote ne s’est approché que lentement de ce noble objectif.

La marche des femmes sur Versailles en 1789.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ce petit bout de phrase n’a causé que des embarras. La Révolution française, qui s’y référait, était l’expression du renversement radical de la société inégalitaire de l’Ancien régime ; elle établit un nouveau consensus sur la déchéance de la monarchie, l’abolition du système des trois ordres – noblesse, clergé, bourgeoisie – et la suppression des privilèges en matière d’impôts. Par contre, la création de nouveaux droits individuels égalitaires s’avéra délicate. Les nouveaux citoyens, étaient-ce aussi les citoyennes, les sans biens, les domestiques, les artistes, les membres de minorités religieuses, les esclaves des colonies, les personnes immigrées ou itinérantes, les vagabonds ou non sédentaires ?

Inclusion ou exclusion ?

Ainsi, en 1791, l’émancipation juive ne fut votée par l’Assemblée nationale qu’après des débats houleux. Jusque-là, cette minorité religieuse avait été exclue du système des corporations. Dans certaines villes, comme à Metz, les portes du quartier juif étaient encore fermées la nuit.

Au duché de Luxembourg, avant la Révolution, il était tout simplement interdit aux familles juives de s’établir. La Révolution n’y apporta donc en premier lieu que l’accès au territoire, et en second lieu seulement l’égalité en droits. En 1814, avec le début du régime néerlandais, cette égalité persista au grand-duché, à la différence des territoires allemands occupés par Napoléon, où l’émancipation juive fut abolie à nouveau. Mais l’égalité formelle n’était pas une garantie de non-discrimination de la communauté juive. Ainsi, la reconnaissance officielle du culte juif n’était conférée qu’à contrecoeur et ne fut véritablement réalisée qu’en? 1997. Au niveau sociétal, les nouvelles formes d’antisémitisme étaient l’expression du refus de la société majoritaire d’accepter l’émancipation juive.

A un autre groupe de la population, beaucoup plus important en nombre, l’émancipation était refusée d’office. En 1791, Olympe de Gouges publia sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » et réclama la mise sur un pied d’égalité des femmes avec les hommes. Elle paya cette audace de sa tête. Une autre féministe de la première heure était Théroigne de Méricourt, née tout près de chez nous, à Marcourt, près d’Houffalize : « Françoises », s’écria-t-elle dans un de ses discours, « élevons-nous à la hauteur de nos destinées ; brisons nos fers ; il est temps enfin que les Femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil, & l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ; replaçons nous au temps où nos mères, les Gauloises & les fières Germaines, délibéroient dans les Assemblées publiques, combattoient à côté de leur Epoux pour repousser les ennemis de la liberté. »

Mais, à partir de 1793 déjà, les tentatives initiales d’inclure dans le principe d’égalité celle entre hommes et femmes disparurent. Et lorsqu’un Code civil vit enfin le jour, sous l’empereur Napoléon, on insista sur l’analogie entre famille et Etat : autant Napoléon était le père de la nation, autant les pères devaient régner sur leurs familles et leurs épouses.

Un droit de vote inégalitaire

Le droit de vote était central dans le projet révolutionnaire de démocratisation de la société, puisqu’il était le symbole de la redistribution des pouvoirs politiques des classes privilégiées vers les classes jusque-là exclues. Mais afin de pouvoir exercer le plus de contrôle possible, on élabora un système électoral indirect à deux niveaux basé sur le cens, c’est-à-dire l’impôt personnel payé. Tous les hommes qui payaient un cens minimal pouvaient être « votans ». Ils votaient pour des « électeurs » fortunés qui, eux, élisaient seulement des députés ou d’autres mandataires. Ce modèle se maintint au grand-duché après 1814.

Le suffrage des femmes ne fut même plus évoqué. Néanmoins, dans les décennies suivantes, les revendications féministes en faveur du droit de vote résonnèrent à travers toute l’Europe. Au Luxembourg par contre, les voix timides en faveur du droit de vote des femmes ne s’élevèrent qu’à partir du début du 20e siècle. Elles disparaissaient cependant derrière la revendication prolétaire d’un « suffrage universel », sous-entendu masculin, qui semblait aux ouvriers être la porte d’entrée vers leur reconnaissance en tant que citoyens. Ainsi, lors de la révolution de 1848, certains « ouvriers luxembourgeois » lançaient aux députés de l’assemblée des Etats : « Auch Sie, meine Herren, sind aus dem unpopulären Wahlgesetz, welches nur dem Besitz eine politische Berechtigung zuerkennt, hervorgegangen [?]. Wir verlangen unbedingte Gleichstellung mit den übrigen Bürgern des Staates, wir verlangen daß der Grundsatz der Freiheit und Gleichheit endlich zur Wahrheit werde. »

Leur espoir était vain. Alors que, en France et en Allemagne, le droit de vote masculin généralisé fut introduit dès 1848, la seule chose qui bougea au 19e siècle, ce fut le niveau du cens, qui s’abaissa au fil des décennies. De 15 pour cent en 1890, alors que le mouvement ouvrier commençait à s’organiser au Luxembourg, la part d’électeurs dans la population masculine en âge électoral monta ainsi à 60 pour cent en 1913.

1919 : une finale ratée

La Première Guerre mondiale vint interrompre cette évolution qui aurait dû mener à la réalisation de facto du suffrage universel masculin. Elle exposa au grand jour les divisions de la société luxembourgeoise : bourgeoisie contre prolétariat, hommes contre femmes, catholicisme contre libre-pensée, république contre dynastie, autochtones contre allochtones. Pendant et surtout à la fin de la guerre, la politique se faisait dans la rue : on réclamait du pain et des pommes de terre, la journée de huit heures et les conseils ouvriers, mais également un droit de vote égalitaire, symbole de la reconnaissance comme citoyens à part entière.

De 1918 à 1919, sur fond de révolution sociale, la Chambre procéda à une révision de fond en comble de la Constitution. Le suffrage universel des hommes était chose acquise. Par contre, les efforts timides du parti socialiste en faveur du droit de vote des femmes ne pouvaient porter leurs fruits que par l’appui, plus par stratégie électorale que par conviction, des catholiques contre les libéraux. Les personnes « aliénées », c’est-à-dire considérées comme mentalement inaptes, ainsi que les criminel-le-s restaient exclu-e-s du droit de vote ; celui-ci ne pouvait s’exercer qu’à l’âge de 21 ans et, comme avant, il fallait posséder la nationalité luxembourgeoise. Un critère d’exclusion qui ne fut même pas discuté en plénière, tellement il semblait aller de soi – alors que le droit de vote des femmes et le système proportionnel peuplaient les débats. Le suffrage « universel » était loin, très loin de l’être vraiment.


Voir aussi : Lëtzebuerg de Lëtzebuerger.

 


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