DROIT DE VOTE: Lëtzebuerg de Lëtzebuerger

Voter : un privilège ou une corvée ? Les lents progrès de l’extension du droit de vote à toutes les personnes résidentes font pencher pour le privilège – alors que le désintérêt pour la démocratie parlementaire n’a jamais été si grand.

Autocollant de l‘Asti lancé lors de la campagne pour le droit de vote communal, en 1981.

Au fil des deux derniers siècles, le droit de vote a été vécu comme un privilège accordé d’abord seulement aux riches, puis aux autochtones. Et ceux et celles qui, après de longs combats, entraient dans le cercle des privilégié-e-s, ne le voyaient pas nécessairement d’un autre oeil. Ainsi quand, en juin 1918, les premières femmes, du bord socialiste d’ailleurs, se manifestaient par voie de pétition en faveur du droit de vote féminin, elles ne se montraient pas seulement « indignées de se voir toujours classées parmi les idiots et les repris de justice », mais agissaient également en tant que représentantes des « femmes luxembourgeoises ». Elles aussi trouvaient donc « naturel » que le nouveau suffrage universel prévoie d’office des exceptions, dont celle de la nationalité.

Pourtant, le critère d’exclusion sur base de la nationalité n’avait été introduit qu’en 1841. Du temps de la Révolution française, il suffisait d’être né en France et d’avoir vécu sur le territoire français pendant un an pour pouvoir voter. Guillaume 1er laissait aux entités locales le soin de régler le droit de vote actif, alors que le droit de vote passif était réservé aux « résidents » du royaume. La limitation du droit de vote aux « nationaux » était l’expression du nationalisme grandissant, qui trouva son apogée avant et après la Seconde Guerre mondiale. Le fait que la proportion de personnes sans passeport luxembourgeois n’a fait qu’augmenter depuis le début du 20e siècle n’a pas conduit le législateur à le remettre en question, mais l’a au contraire amené à durcir l’accès à la nationalité.

Bourgmestre portugais

Deux facteurs ont contribué en Europe à une (re)prise de conscience de l’écart entre théorie et pratique de la démocratie parlementaire. D’un côté, les mouvements estudiantins de mai 1968 revendiquent non seulement le pouvoir en soi, mais également des formes de démocratie plus participatives. D’un autre côté, le processus de la construction européenne provoque une réflexion sur les droits des personnes migrantes, notamment les droits politiques. Bien que fruit de la logique du marché économique intérieur, l’ouverture du droit de vote communal et européen représente le début d’un mouvement de réforme des droits électoraux.

Au Luxembourg, l’Asti réussit d’abord, en 1980, à faire signer par les trois grands partis un appel à l’accès au droit de vote aux élections communales. Cependant, alors que la Federatioun Eist Land – Eis Sprooch (Feles) se mobilise, le CSV et le DP reviennent bien vite sur leur position. Souvent, les partis se refusent à une telle démocratisation en se cachant derrière l’argument qu’elle renforcerait la xénophobie. Mais même les responsables de l’Asti trouvent que la participation doit se limiter au niveau communal : « [A]u Luxembourg comme ailleurs en Europe […], on estime que le droit de vote local doit être lié au fait d’être résident de la commune, tandis que le droit de vote national reste lié à la nationalité du citoyen. »

Au début des années 1991, les partis au pouvoir jouent la carte d’une ouverture à contrecoeur, dictée par les institutions européennes. Ainsi, ce n’est que suite à un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne que les salarié-e-s non luxembourgeois-es reçoivent le droit de vote aux élections pour la Chambre des employés privés. Même attitude en ce qui concerne le droit de vote aux élections communales introduit en 1992 par le traité de Maastricht, où le Luxembourg réussit à obtenir des dérogations : les bourgmestres et échevin-e-s des communes doivent avoir la nationalité luxembourgeoise. Une décennie avant celui du plombier polonais, le fantôme du bourgmestre portugais rôde… Et dans une interview avec le magazine forum, le député Lucien Lux, très prudent par rapport à l’ouverture du droit de vote communal, prévient : « In dieser Logik stellt sich dann aber die Frage, warum wir den Ausländern das
Wahlrecht bei den Parlamentswahlen vorenthalten. »

L’histoire a montré que la ferveur des personnes étrangères à participer au niveau local est plutôt réduite et doit être stimulée activement. En serait-il autrement pour un droit de vote aux élections législatives ? Le doute semble planer, car la réticence à partager le pouvoir politique ressurgit dans les années 1990 dans les débats sur le « Luxembourg des 700.000 ». Comme pour faire taire les petits partis – Verts et Gauche – qui s’expriment depuis longtemps pour l’ouverture du droit de vote national, le gouvernement lance en 2006 le débat sur la double nationalité ; une loi allant dans ce sens est votée en 2008.

Double nationalité ou droit de vote ?

Cependant, si la double nationalité peut résoudre des problèmes pratiques et abolir le choix difficile entre deux loyautés nationales, il sert avant tout à l’Etat même, qui est confronté à la diminution du stock des « véritables » Luxembourgeois-es. Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les naturalisations ont augmenté d’une moyenne de 1.200 par an à 4.000. En 2011, le Luxembourg compte un peu plus de 15.000 personnes luxembourgeoises détenant encore une autre nationalité. Mais cette « success story » ne peut cacher que la double nationalité n’est pas, comme l’avaient mis en avant certains partis, la solution au problème de l’inégalité en matière de droits politiques.

C’est la campagne électorale anticipée de 2013 qui amène enfin le droit de vote aux élections nationales sur le devant de la scène. La revendication semble définitivement avoir dépassé le stade d’élucubration saugrenue et utopique, et on est même frappé que ce soit avant tout le milieu des affaires et des décideurs économiques qui lui ait prêté sa voix. Ce progressisme n’est pas sans rappeler le « No taxation without representation » des indépendantistes américains du 18e siècle. Pour la Fedil, ce sont moins les ouvriers de chantier et les nettoyeuses qui constituent un enjeu, mais plutôt le groupe de plus en plus important des « white collar workers », diplôme en poche et bien payés.

Néanmoins, le fait que l’idée ait fait son chemin jusque dans le questionnaire du référendum de juin 2015 étonne. Car, une fois n’est pas coutume, le Luxembourg fait preuve d’avant-gardisme. Les rares autres cas où le droit de vote des étrangers au niveau national existe déjà s’expliquent pour la plupart, comme pour le Portugal ou les pays du Commonwealth, par un passé colonial. Dans la cité-Etat de Hong Kong, pour le reste peu démocratique, le passeport n’est pas un critère pour participer aux élections. Alors que, aux Etats-Unis, le droit de vote des « foreigners » au niveau des Etats fédéraux, une situation normale au 19e siècle, a été aboli, cette révérence à la multiculturalité semble toujours exister au Venezuela. En Nouvelle-Zélande, l’accès n’est ouvert qu’au droit de vote actif.

La proposition luxembourgeoise suit l’exemple néo-zélandais, comme si on avait pris peur de son propre courage. Et elle contient d’autres barrières, dont le minimum de dix ans de résidence. Au lieu de tirer les leçons de l’ouverture du droit de vote communal, on semble maintenant vouloir dissiper les craintes du premier ministre portugais…

La question du droit de vote, posée dans le référendum, en cache une autre, celle de l’importance de la nationalité dans la vie de la cité : quelle est encore sa valeur sur une planète mondialisée ? Dans sa récente prise de position, le Cefis écrit : « Dans les débats à venir, deux visions vont s’opposer […]. C’est un débat entre une vision idéale des principes démocratiques et de la citoyenneté d’un côté, et de l’autre la souveraineté nationale, la culture et la langue luxembourgeoise. »

Mais il faut également réfléchir sur l’attitude que nous avons envers le droit de vote. S’agit-il d’un privilège ou plutôt, si du moins on croit au parlementarisme, d’une « charge citoyenne », comme payer les impôts ou balayer le trottoir ? Car le phantasme du privilège cache ce qui dans les pays sans obligation de vote est très visible : le modèle de la participation par le vote est en pleine crise. Voter est une corvée à laquelle de moins en moins de gens aiment se plier.

Sources :
Wikipédia : mot-clé « rights of foreigners to vote ».
Articles de Serge Kollwelter dans le magazine forum des années 1980-1990.
Cefis : « Le droit de vote des ressortissants de nationalité étrangère au Luxembourg », décembre 2014.


Voir aussi : L’égalité à petits pas.

 


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