TRANSPARENCE DE L’ADMINISTRATION: Accès mais pas trop

La promesse électorale d’une administration transparente est en train de se concrétiser. Le woxx a pu consulter l’avant-projet de Xavier Bettel : s’il est un peu moins restrictif que celui déposé par son prédécesseur, il est pourtant loin d’être courageux.

Selon le projet de Bettel, la transparence ne vaudra pas pour les documents vraiment intéressants.

En ce tragique 7 janvier 2015, l’ironie du sort a aussi voulu qu’au Luxembourg le premier ministre Xavier Bettel adresse ses voeux à la presse, peu avant que ne tombent les premières nouvelles des attentats à Paris. Et la fusillade à Charlie Hebdo a écourté la petite passe d’armes entre le président du Conseil de presse Roger Infalt et Bettel, avant que ce dernier ne prenne la parole. Le sujet de cette dispute : l’avant-projet de loi sur l’administration transparente que les membres du Conseil de presse avaient déjà consulté, et dont ils ne sont pas satisfaits – comme on peut le lire aussi dans l’avis rédigé par l’organe consultatif et adressé à Bettel. Un document que le woxx s’est aussi procuré.

Ainsi, dans la conclusion, l’avis remarque : « Nous constatons que ledit projet de loi ne répond ni dans sa finalité, ni dans les modalités pratiques y exposées aux demandes des médias concernant le droit à l’information (ou même une obligation d’information) et qu’il ne permet pas aux journalistes d’exercer leurs missions d’information de façon indépendante et dans des conditions de travail adaptées à l’ère électronique. » Puis le Conseil de presse exprime son espoir de voir un jour un « texte séparé couvrant les besoins des médias ».

Afin de mieux mesurer la gravité de ces propos, un petit retour en arrière est nécessaire. Le 5 février 2013, Jean-Claude Juncker dépose en son nom le projet de loi numéro 6540 « relatif à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration ». Ce projet avait provoqué des réactions houleuses dans la presse et au-delà et avait fini sa course dans les tiroirs de Juncker (woxx 1202). Le problème est que – comme d’habitude – le Luxembourg est à la traîne en ce qui concerne la transparence de ses administrations et le droit à l’accès aux informations de ses citoyens et journalistes. En fait, nous sommes le seul pays européen, à l’exception des autres paradis fiscaux Malte et Chypre, à ne pas disposer d’une législation sur la transparence de l’administration. Ce qui ne veut pas dire que, jusqu’ici, il n’y a pas eu de demandes et de projets pour changer les choses : le premier coup d’essai date de l’année 2000, avec un projet de loi déposé par Alex Bodry. En 2008, le Conseil de presse retoque un autre projet de loi, jugé trop restrictif – même si en 2003 le même organe avait raté le coche lors de la réforme de la loi sur la presse, où il aurait pu insister sur un droit, voire une obligation d’accès pour les journalistes.

Une histoire pleine d’occasions ratées…

Mais hélas, le nouveau projet de loi concocté par le premier ministre libéral reste très frileux. Déjà, il reprend l’exposé des motifs du projet Juncker et commet dans ses articles la même faute que ce dernier : promettre un accès, insister sur les grands principes, pour appliquer après des restrictions dans des articles destinés à justement rendre impossible une vraie transparence.

Un exemple en serait la possibilité pour les citoyens d’entrevoir et de mieux comprendre, voire contrôler, les processus décisionnels de l’Etat. Promis dans le préambule, et puis restreint dans les exceptions. De toute façon, les listes des restrictions à la communication des documents administratifs des projets de loi Bettel et Juncker se ressemblent comme des jumeaux : sont exclus dans les deux textes les documents pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes et de l’Etat, l’ordre public, les relations extérieures, la vie privée, le fonctionnement de la justice, les droits de propriété intellectuelle, le caractère confidentiel des informations commerciales et industrielles communiquées à une autorité publique, les secrets protégés par la loi et tous les documents touchant aux intérêts commerciaux et économiques de l’Etat ainsi qu’à sa capacité de mener sa politique économique et financière et ses délibérations en cette matière.

Bref : c’est un peu tout ce qui intéresserait un journaliste qui veut bien faire son boulot. Quant aux différences avec le projet Juncker, il y en a plusieurs, dont une est même très louable. Le point 2 de l’article 6, qui excluait « la possibilité de reproduire, de diffuser ou d’utiliser à des fins commerciales » les documents obtenus en ayant recours à cette loi a disparu – heureusement, vu que, ce faisant, Juncker voulait tout bonnement empêcher la presse de profiter de sa simili-ouverture. Ce point a disparu de la nouvelle mouture.

Cela dit, les conditions de communicabilité des documents restent presque les mêmes. Le délai est d’un mois et peut être prolongé dans le cas où la demande de documents serait trop volumineuse ou qu’elle aurait été adressée à la mauvaise administration, ou si le document était déjà déposé aux Archives nationales. Mais c’est surtout un point, resté identique dans les deux projets, qui montre clairement de quel côté penche la balance : « Le silence gardé par l’administration pendant les délais prévus (…) vaut décision implicite de rejet. » Cela éclaire sur le caractère de cette loi : ce n’est pas à l’administration de se justifier face au citoyen, mais c’est à celui-ci d’entamer un parcours du combattant et d’accepter même le silence de l’administration. Donc, encore une fois, exposé des motifs et texte de loi se contredisent.

… qui n’est pas près de se terminer.

Une grande nouveauté concerne cependant les possibilités de recours. Alors que son prédécesseur comptait envoyer les requérants devant le tribunal administratif, avec possibilité de faire appel, Bettel propose lui la création d’un nouvel organe, la « Commission d’accès aux documents », mise en place par le premier ministre, qui déciderait de la validité des recours.

Serait-ce une fausse bonne idée ? En tout cas, dans son avis, le Conseil de presse semble avoir des doutes et note que « Cette commission ne constitue certes pas une juridiction. Elle est toutefois présidée par un magistrat, ce qui garantira sans doute son indépendance. Nous notons qu’un des représentants de cette commission est une `personnalité qualifiée en matière de diffusion publique d’informations‘. (…) Les qualités que cette personne doit remplir paraissent mystérieuses, à notre avis il faudra en tout cas veiller qu’elle soit indépendante. Ne faudrait-il pas désigner le président ou un membre de la Commission consultative des droits de l’Homme du Grand-Duché de Luxembourg ? ».

En fin de compte, ce projet de loi est bien une déception de plus dans le long chemin que le Luxembourg a encore devant lui vers plus de transparence. Et cela sur plusieurs points : d’un côté les droits des citoyens d’accéder aux informations restent très limités et, de toute façon, ce sera sûrement une loi qui fera l’objet de plusieurs procès avant qu’elle ne soit mise en oeuvre correctement par toutes les administrations. On est loin d’une révolution copernicienne qui mettrait les citoyens au-dessus de l’administration – qu’ils font vivre avec leurs impôts. Dans le projet de loi Bettel, ce sera toujours l’administration qui aura le dernier mot et les secrets commerciaux seront toujours à l’abri des regards. Du point de vue des journalistes, ce projet est tout simplement inacceptable, même s’il n’exclut plus l’utilisation des documents obtenus à des fins commerciales. Mais les délais d’un mois sont impraticables pour toute recherche journalistique, même à long terme. S’y ajoute que les administrations ne sont toujours pas obligées – comme c’est le cas en Allemagne – de faire parvenir des informations aux représentants de la presse, et cela dans les meilleurs délais.

Ainsi, le Luxembourg reste fidèle à la valeur qui a fait sa fortune et qui pourrait aussi devenir sa ruine : la discrétion. Au détriment des droits de ses citoyens et d’une presse libre à vraiment fouiner dans les arcanes de l’Etat.


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