LE VOLONTARIAT ET SES ENJEUX: Au pays des merveilles

Effectuer un volontariat permet de vivre une autre culture et une expérience enrichissante tout en aidant les autres. Aider les autres ? Peut-être moins que le nom du volontariat ne pourrait le suggérer. Les objectifs définis et atteints divergent souvent de la vision romancée que l’Occident a d’une telle entreprise.

Vivre et travailler avec des gens d’une culture différente permet généralement une ouverture d’esprit et une évolution de l’esprit critique. (Photo : Valérie Hentzen)

« Si je vois que des femmes sont maltraitées, je réagis. » Voilà la phrase prononcée par Fabien Ledecq, responsable de la formation des jeunes volontaires au sein du Cercle de coopération des ONG de développement. Sept jeunes participent et doivent à présent se positionner à sa droite s’ils sont d’accord, ou à sa gauche s’ils ne le sont pas. Le formateur leur demande d’expliquer leur choix. « Je suis une femme moi-même, je ne peux pas voir des choses pareilles se produire sans réagir », explique une participante. « Je ne suis pas là pour me mêler de leur culture, même si certaines choses me dérangent », explique une autre. Fabien Ledecq les écoute et ne fait que quelques commentaires. « Le but de cette formation, c’est que les jeunes se posent des questions et qu’ils engagent le processus de réflexion avant de partir », explique-t-il plus tard lors d’une interview.

Le service volontaire de coopération, appelé SVC, propose aux jeunes de 18 à 30 ans de partir rejoindre un projet en Asie, en Afrique ou en Amérique latine pour une durée de trois à douze mois. Faire un SVC doit être un choix réfléchi. Il peut s’agir d’une expérience très enrichissante, mais elle se fait avec une implication psychologique et une durée bien plus importante que ce qu’on pourrait croire. « Ça ne se fait pas du jour au lendemain : les préparations prennent généralement six à huit mois, évidemment selon la durée et la destination du volontariat », explique Raymonde Bauer du Service national de la jeunesse (SNJ), coordinatrice principale du SVC au sein de cette structure publique. Les motifs du départ peuvent être très différents. « J’ai toujours rêvé de faire un volontariat. En plus, je ne suis plus très certaine de la direction professionnelle à prendre. J’espère que le volontariat me libérera la tête », raconte une jeune de 20 ans qui partira pour trois mois en mai. Un couple de 25 et 29 ans, qui part ensemble en Uruguay pour neuf mois, indique ses motifs : « On avait envie de partir. C’est l’occasion de voir et de vivre quelque chose de nouveau. Et puis c’est maintenant ou jamais. » Le jeune homme ajoute : « C’était un choix difficile. J’ai dû démissionner de mon emploi et résilier le bail de mon appartement. »

« Certains jeunes viennent dans mon bureau et croient qu’ils vont sauver le monde. »

Pour Fabien Ledecq, savoir pourquoi on veut partir est primordial. « Certains jeunes viennent dans mon bureau et croient qu’ils vont sauver le monde. Je leur explique alors que personne n’a besoin de leur aide. Évidemment, je fais ça surtout pour provoquer et les faire réfléchir. Ils pourront peut-être aider, mais, pour la plupart, ce sera d’une envergure beaucoup moins importante qu’ils ne se l’imaginent. » Le Cercle de coopération est la plate-forme de regroupement de toutes les organisations non gouvernementales de développement (ONG) du Luxembourg. Fabien Ledecq est la personne de contact entre l’ONG et le volontaire. Environ 80 jeunes par an se présentent chez lui pour un entretien d’orientation concernant l’organisation et le projet à choisir. C’est lui qui va leur présenter le fonctionnement de la coopération en général et le cas luxembourgeois en particulier. « Quand ils arrivent, je leur demande s’ils savent bien ce qu’est la coopération et ce que font les ONG. Le cercle est dans beaucoup de cas le premier contact des jeunes avec le monde de la coopération, alors je prends beaucoup de temps pour tout leur expliquer. » Fabien Ledecq insiste toutefois sur le fait qu’il ne propose pas aux futurs volontaires un projet tout cuit, auquel ils ont seulement besoin de s’inscrire. C’est à eux de rechercher l’ONG et le projet qui correspond à leurs attentes et d’entrer en contact avec elle. Le cercle est surtout là pour encadrer ce contact.

Certains futurs volontaires se présentent au Service national de la jeunesse avant de passer chez Fabien Ledecq. Ici, c’est Raymonde Bauer qui les accueille. Tout comme son collègue, elle entreprend d’abord une entrevue d’orientation pour connaître les motifs et les idées du jeune. « Certains savent déjà avec quelle ONG et dans le cadre de quel projet ils veulent partir, alors je me limite à leur expliquer les démarches à entreprendre. D’autres viennent plutôt pour s’informer, alors je les envoie au Cercle de coopération après leur avoir expliqué les formalités et fourni les premières informations », précise-t-elle.

Le SNJ s’occupe de trois volets dans le cadre du volontariat. Tout d’abord, il est responsable de l’administration. L’ONG avec laquelle le jeune veut partir doit être agréée par le SNJ en tant que partenaire du service volontaire de coopération. Une trentaine d’ONG y sont inscrites. Elles contrôlent l’organisation du projet luxembourgeois, ainsi que l’ONG partenaire et le projet dans lequel le volontaire œuvrera sur place. Le service informe aussi les jeunes sur le cadre légal : quand et comment ils pourront partir en volontariat, quels seront leurs droits et leurs devoirs sur place et au Luxembourg. La deuxième mission est celle du financement. Les jeunes ont à leur disposition un budget de 1.500 euros qui sert à couvrir les frais de départ : vol, vaccinations et visa. Le solde éventuel doit être rendu. Le service met également à disposition un certain montant mensuel permettant de couvrir les dépenses courantes comme les frais de logement. Le montant de cet « argent de poche » dépend de la destination. Le Service national de la jeunesse est enfin en contact avec le ministère des Affaires étrangères. Celui-ci doit savoir exactement quels jeunes sont dans quels pays en cas de problème, qu’il s’agisse d’un accident ou de la dégradation de la situation politique, pour que le rapatriement puisse être organisé de façon efficace.

Une fois les deux entretiens d’orientation effectués, les démarches peuvent commencer. Il s’agit tout d’abord de trouver une ONG proposant un projet de coopération attractif pour le futur volontaire. Si l’ONG est d’accord pour travailler avec le jeune, elle prend le relais et règle tout d’abord l’organisation du voyage et les commodités sur place. Généralement, les ONG essaient aussi de faire vivre au volontaire la culture du pays avant même qu’il ne parte. « Mon ONG a organisé une soirée sénégalaise à laquelle j’ai participé », explique un volontaire de 24 ans qui s’apprête à partir cinq mois au Sénégal. « Ça m’a permis de faire un peu l’expérience du pays avant d’y aller. » Vient ensuite une formation obligatoire de deux jours organisée par le SNJ et le Cercle de coopération. Fabien Ledecq précise que cette formation vise surtout à engendrer la réflexion, après toute l’organisation pratique faite avec l’ONG, et à lancer des questions culturelles fondamentales. Les volontaires apprennent ainsi surtout comment se comporter dans un pays étranger.

« Le choc culturel m’a seulement rattrapée plus tard, après quelques semaines. »

Après une longue période de préparation et d’initiation, le voyage peut commencer. Aussi attrayante que soit l’aventure, il va de soi qu’elle ne se passe pas toujours sans complications. Valérie, jeune volontaire pendant 8 mois au Burkina Faso, raconte les beaux et les moins beaux aspects d’un tel voyage. « J’ai vécu différentes phases en arrivant à Koudougou. Les premières semaines, je trouvais tout génial. J’étais fascinée par le pays et les gens. Le choc culturel m’a seulement rattrapée plus tard, après quelques semaines. Une certaine désillusion s’est installée sur différents points. En tant que femme, j’avais parfois des difficultés à me faire entendre. Surtout du directeur du centre d’accueil dans lequel je travaillais, qui ne voulait souvent pas m’écouter et ne me respectait pas vraiment, alors qu’il était ma personne de référence sur place. D’autre part, je faisais face à des enfants ayant un passé tellement bouleversé que ma formation en tant qu’animatrice ne suffisait parfois pas à les encadrer de façon correcte. J’ai aussi parlé au directeur à propos de la violence. Il tolérait que certains enfants soient frappés, alors que l’ONG luxembourgeoise le lui avait interdit. Il n’a pas non plus voulu faire de concessions sur ce point-là. Je pense que le volontaire tire profit de cette expérience. Le volontariat a changé ma vue sur beaucoup de choses, mais m’a rendue également plus critique en ce qui concerne la coopération au développement. Ce n’est pas parce qu’on croit aider en Europe en créant des projets en Afrique qu’on va forcément être utile à qui que ce soit. Il est donc très important pour un futur volontaire de bien choisir l’ONG avec laquelle il va partir et le projet dans lequel il va s’investir. »

« Raymonde Bauer précise que ce deuxième choc culturel prend la plupart des volontaires par surprise. »

La problématique posée par Valérie est surtout celle de l’encadrement sur place. Le jeune profite d’une minutieuse préparation au Luxembourg, mais se heurte à des problèmes auxquels il ne s’était pas attendu et auxquels personne ne peut le préparer au préalable. Une fois arrivé dans son pays de destination, il est accueilli par une personne de référence de l’ONG partenaire. Cette personne sera également son tuteur et l’accompagnera durant son séjour. Le problème est que ces tuteurs n’ont parfois aucune formation à l’accueil et au suivi des volontaires. Il s’agit généralement de salariés qui ont une tout autre fonction au sein du projet et qui vivent un choc culturel similaire que le jeune qu’ils sont censés encadrer. Si les grandes ONG peuvent éventuellement se permettre financièrement de mettre en place un accueil pour faciliter l’acclimatation du volontaire, les petites ONG ont toutefois plus de difficultés. Il leur est souvent difficile de prévoir dans leur budget une dépense supplémentaire qui leur permettrait d’accueillir le coopérant de façon adéquate. Elles doivent donc recourir à un des employés, pas nécessairement formé pour la tâche. Un financement spécifique à cette fin serait bien entendu une possibilité d’améliorer l’encadrement des jeunes partant pour un service volontaire – mais il n’est prévu ni par le SNJ ni par le ministère de la Coopération.

Le retour au Luxembourg est également une phase importante pour les volontaires. D’une part, les jeunes vivent généralement un choc culturel tout aussi impressionnant que celui vécu lors de l’arrivée dans le pays du volontariat. « Une chose à laquelle on est très peu préparé est le choc culturel au retour. J’ai pu rapidement me réadapter, mais, après un certain temps et après un processus de réflexion, on se rend compte de beaucoup de choses dérangeantes dans les habitudes occidentales, notamment la consommation excessive dont j’avais perdu l’habitude lors de mon séjour en Afrique », explique Valérie. Raymonde Bauer précise que ce deuxième choc culturel prend la plupart des volontaires par surprise. « On organise une Back Home Session pour que les jeunes puissent échanger à leur retour et parler des différents problèmes auxquels ils ont pu faire face. D’autre part, si jamais la nécessité se présente, le SNJ fournit au jeune un suivi psychologique. » Pour Fabien Ledecq, le retour d’un volontaire présente également une chance pour la coopération. « Nous espérons surtout que le jeune se sente ambassadeur du pays dans lequel il a été. Le volontariat est finalement aussi un outil d’éducation au développement. Le jeune vit pendant une période dans un pays et reçoit un aperçu de sa culture. Il peut dès lors en parler à ses proches et à ses amis et un peu briser la fausse image que beaucoup de personnes peuvent avoir. » Beaucoup de jeunes continuent de s’engager dans l’ONG avec laquelle ils sont partis après leur retour. Certains deviennent des bénévoles ou rejoignent le conseil d’administration de l’ONG qui les avait envoyés. Vu qu’ils connaissent en profondeur les conditions de travail dans l’ONG partenaire du Sud, ils représentent un atout pour l’amélioration de l’organisation des projets.

Évidemment, la question finale qui se pose par rapport au SVC est celle de l’utilité pour le volontaire, pour le projet dans lequel il est intervenu, pour l’ONG qui l’a envoyé et pour la coopération en général. Pour le volontaire, il s’agit généralement d’une expérience enrichissante. Les bienfaits d’un tel volontariat sont surtout une certaine ouverture d’esprit en vivant dans un pays et au sein d’une culture différente. Il s’agit toutefois de toujours garder une certaine distance pour également pouvoir cerner des problèmes dans le projet auquel on participe, ainsi que dans la coopération en général.

« Un volontaire qui n’arrive pas à comprendre les enjeux politico-culturels d’un pays risque de renvoyer une mauvaise image d’un projet. »

Pour les ONG, envoyer un volontaire pour leur projet représente une aide plus administrative que pratique. Généralement, les projets fonctionneraient aussi sans l’intervention d’un volontaire et ne requièrent donc pas sa présence. Toutefois, envoyer un jeune durant une période relativement longue permet d’avoir un aperçu du fonctionnement du projet à long terme, contrairement aux visites qui se limitent souvent à quelques jours une fois par an. Le rapport du volontaire peut ainsi aider à faire apparaître des problèmes, à condition qu’il soit formé à dresser une telle analyse et soit doté d’un mandat qui va dans ce sens par l’ONG.

La coopération, elle, profite du SVC si le volontaire revient en ambassadeur de la culture dans laquelle il s’est plongé. Dans le cas contraire, s’il n’a pas l’ouverture d’esprit nécessaire, l’expérience peut causer des dégâts non négligeables. Un volontaire qui n’arrive pas à comprendre les enjeux politico-culturels d’un pays risque de renvoyer une mauvaise image d’un projet dont il ne peut comprendre le fonctionnement. Le contexte politique peut mener à des situations peut-être inacceptables en Europe. Les exemples du traitement des femmes, déjà mentionné, ou du travail des enfants sont des classiques du genre : si la stratégie à long terme vise à éliminer ces phénomènes, une première approche se doit d’être un peu plus réaliste. Pour les enfants obligés à travailler, il faut prendre en compte que ce travail leur fournit des moyens d’existence. Il s’agit donc tout d’abord d’essayer déjà d’améliorer le cadre dans lequel ils évoluent, pour pouvoir leur proposer des perspectives d’avenir.

Ceci dit, la plupart des futurs volontaires sont conscients que leur voyage ne sera pas toujours une balade dans les champs. Toutefois, tous ceux rencontrés pendant la formation ont hâte de partir. Valérie ne regrette pas non plus d’avoir fait le voyage, malgré les complications qui ont pu se présenter. Un volontariat peut être une expérience très enrichissante. Se décider à en faire un doit toutefois être très réfléchi et l’entreprise bien préparée.


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