Réforme fiscale : Qui veut payer ?

L’Almanach social de la Caritas tente de déblayer le terrain avant le grand débat sur la réforme fiscale de 2017. Les propositions et revendications ne manquent pas.

Elle est sauvée ! Elle est jugée ! La réforme fiscale, prise entre l’ange et le démon. Scène du « Faust » de Goethe. (Photo : Wilhelm Hensel / PD)

Pour qui s’intéresse aux questions sociales, il constitue une lecture aussi indispensable que le Goncourt pour le lecteur lambda… mais, hélas, nettement moins divertissante : c’est l’Almanach social de la Caritas luxembourgeoise. L’édition 2015, publiée comme le veut la tradition une semaine avant le discours sur l’état de la nation, est consacrée à la justice fiscale. Rappelons qu’une « grande » réforme fiscale a été annoncée par le gouvernement pour 2017 – il n’est donc pas trop tôt pour préparer le terrain. Comme la plupart des éditions qui l’ont précédé, l’Almanach 2015 séduit rien que par la diversité des points de vue présentés.

Commençons par la fin. La « grande réforme » n’aura pas lieu. « [Ce] ne sera ni la révolution d’Octobre, ni celle des Œillets », écrit le lobbyiste financier Alain Steichen. « La réforme se fera comme d’habitude à la marge, le gouvernement agissant sans plan d’ensemble, ni véritable stratégie, si ce n’est celle d’utiliser la réforme fiscale afin d’être réélu. » En effet, comme tout bon libéral, Steichen croit en l’« homo œconomicus » – donc, comme les individus sur les « marchés privés », les hommes politiques poursuivent leur intérêt personnel et n’agissent pas en fonction d’un quelconque « intérêt général ». Ajoutant la désinvolture au nihilisme politique, le lobbyiste explique que « pour les économistes », l’« impôt optimal » est une taxe forfaitaire par tête identique pour chaque individu. Et, sans surprise, il soutient que, en théorie, les entreprises ne devraient pas payer d’impôts du tout.

Tous aux Caïman !

Virevoltant d’argument en argument, Steichen estime qu’on devrait réintroduire une imposition du capital « afin d’éviter un retour à une société des rentiers », pour revenir sur sa position deux alinéas plus loin : « impopulaire », peu efficace, injuste pour les « fourmis » défavorisées par rapport aux « cigales ». Reste l’impôt sur le revenu progressif : le lobbyiste recommande de le simplifier en réduisant le nombre de tranches – honni soit qui mal y pense.

Le point le plus important de cet argumentaire méphistophélique est cependant l’idée que les entreprises devraient être traitées différemment des particuliers. Et, parmi les entreprises, ce sont celles de la « private equity », les investissements qui ne passent pas par les marchés, qu’il faudrait choyer le plus – sinon, elles retourneraient aux îles Caïman. Enfin, le lobbyiste Steichen appelle à « continuer la pratique des rulings dans des termes similaires à ceux du passé » – après avoir rappelé que, au Luxembourg, tout le monde profite du parasitisme financier international – pardon, de l’existence d’« une gamme complète de services financiers diversifiés et innovants ».

En apparence, du côté des syndicats, on attend autre chose du gouvernement : « une réforme fiscale d’une ampleur globale, ne connaissant pas de tabou », dans les termes de Sylvain Hoffmann, directeur adjoint de la Chambre des salariés (CSL). Et de renvoyer à une étude de la CSL montrant que le taux de prélèvement fiscal « pourrait être régressif » – les pauvres contribueraient proportionnellement plus que les riches. En cause : la TVA, le plafonnement des cotisations et la faible imposition des revenus du capital.

Pour Hoffmann, une réforme devrait s’attaquer aux déséquilibres du système d’imposition : entre ménages et entreprises, entre travail et capital, ainsi qu’au « Mëttelstandsbockel », la charge fiscale particulièrement lourde pesant sur les classes moyennes. On a l’impression que les syndicats sont pleins de prévenance pour les couches aisées. Auraient-ils peur qu’en revendiquant une justice fiscale plus conséquente ils ne perdent leurs membres salariés des carrières supérieures et que le rapport de forces n’évolue encore plus en leur défaveur ?

Rien n’effraie en tout cas Paul Zahlen : ni les susceptibilités des classes moyennes, ni la magie des nombres. Sa contribution se développe sur 50 pages, avec une vingtaine de graphiques et plusieurs gros tableaux. À qui profite la redistribution, qu’entend-on par être dans le besoin, faut-il plus de sélectivité sociale… voilà le type de questions abordées en profondeur par l’économiste du Statec. Conclusion : au Luxembourg, la redistribution est plutôt favorable aux classes moyennes et, depuis le début de la crise, « les `pauvres‘ décrochent ». Zahlen met également en garde contre le « discours dominant » sur la « sélectivité sociale » : cela risquerait de stigmatiser les bénéficiaires et de conduire à une discussion sur la question de savoir s’ils sont vraiment dans le besoin, voire s’ils méritent d’être aidés. Concernant la réforme fiscale, l’économiste rappelle que « des transferts sociaux importants présupposent l’acceptation d’une fiscalité assez contraignante par la population » et que cela ne sera pas facilité par « le contexte de la globalisation et de la concurrence qui l’accompagne ».

Mëttelstandsbockel écrasé

Alors, cette réforme fiscale ? Jugée et condamnée d’avance ? Non, elle est sauvée, aimerait pouvoir clamer la Caritas, mais le doute l’assaille. « Économiser aux dépens des petites gens est à l’ordre du jour, tandis que le gouvernement continue à refuser l’impôt sur les riches », écrit son porte-parole Robert Urbé dans son état des lieux. Clairement, l’ONG catholique se range du côté des démunis. Certes, elle peine à se défaire de certains réflexes liés à la doctrine sociale de l’église : natalisme à peine voilé quand elle appelle à favoriser les ménages avec enfants, qui seraient le fondement des retraites de demain, refus de mettre en question le principe du marché et le droit de propriété quand elle tente de résoudre la crise du logement.

Mais quand on en vient à la justice sociale, la Caritas s’encombre moins de scrupules que les syndicats ou les partis de gauche modérée. En effet, dès l’Almanach social 2014, elle avait déclaré, étude à l’appui, que le fameux « Mëttelstandsbockel » n’existait pas ! D’où il s’ensuit que la réforme à venir devrait cibler les tranches de revenu supérieures, notamment en ajoutant des taux plus élevés que les 40 pour cent actuels.

N’hésitant pas à s’inspirer des travaux de Thomas Piketty, la Caritas demande aussi qu’on arrête de privilégier fiscalement les revenus du capital par rapport à ceux du travail. Mieux, il faudrait selon elle réinstaurer une taxation du patrimoine et des droits de succession conséquents. Elle n’oublie pas non plus les écotaxes, auxquelles une des contributions de l’Almanach est consacrée. Tant de taxes, pour quoi faire ? Là encore, Nathalie Georges, sociologue de la Caritas, apporte une réponse : « Après tout, il ne s’agit pas juste de redistribuer l’argent des riches aux plus pauvres mais de permettre aux États de développer des services publics de qualité pour leurs citoyens. »

Le Sozialalmanach 2015 peut être commandé chez www.caritas.lu au prix de 21,70 euros, frais de port inclus.


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