Recomposition à gauche : Podemos oui, Syriza aïe !


Le mécontentement populaire conduira-t-il à une percée de la gauche radicale ? Partout en Europe, les forces politiques qui s’en réclament discutent et cherchent leur voie.

Le peuple a voté, mais… 
« Le quatrième État », 
tableau de 1901. (Giuseppe Pellizza da Volpedo / PD)

Le peuple a voté, mais… 
« Le quatrième État », 
tableau de 1901. (Giuseppe Pellizza da Volpedo / PD)

Sur l’ensemble du continent européen, les militantes et militants de la gauche radicale ont suivi avec attention les élections communales et régionales espagnoles. Dimanche dernier, le parti conservateur, qui gouvernait la plupart des régions avec une majorité absolue et symbolise la politique d’austérité, a encaissé une solide défaite. En face, le nouveau parti Podemos s’est établi comme troisième force et deux de ses candidates pourraient devenir maires des deux plus grandes villes ibériques.

Ces résultats, meilleurs que ce qui était attendu, permettent-ils de crier victoire ? Murray Smith, membre du bureau de la coordination nationale de Déi Lénk, semble très satisfait. Interrogé par le woxx, il souligne que les résultats sont particulièrement bons là où Podemos avait collaboré avec des alliances de gauche indépendantes. « Je pense que, à Madrid, une coalition avec le parti socialiste est envisageable », analyse Smith, « mais il faudra prendre garde à ne pas apparaître comme trop proche des partis établis. » En effet, avant la fin de l’année auront lieu les élections législatives : s’opposer à l’orientation de la politique économique de l’Union européenne ne pourra vraiment se faire qu’au niveau national. L’exercice du pouvoir au niveau communal et régional en sera d’autant plus délicat pour la gauche radicale espagnole.

Si Podemos, qui met l’accent sur la démocratie directe et la transparence, ressemble un peu à un parti pirate de gauche, Syriza est plus proche d’un parti traditionnel, tout en rassemblant des composantes politiques très diverses. Depuis les élections de janvier, son leader Alexis Tsipras est à la tête du gouvernement grec – dans un pays autant marqué par le bipartisme que l’Espagne. Mais peut-on vraiment dire que la gauche gouverne, dans un pays qui s’était quasiment trouvé sous tutelle européenne et qui continue à dépendre de l’aide étrangère pour le service de sa dette publique ? Syriza, avec son ambition de réaliser une autre politique que celle de l’austérité, a-t-il échoué ?

La gauche et le pouvoir

« La situation est difficile, mais on ne peut pas encore dire qu’il s’agit d’un échec », estime Smith. Le militant de Déi Lénk souligne la volonté de Tsipras de rester dans l’euro et de trouver un accord avec les institutions européennes. « Mais certaines exigences libérales, comme celles qui concernent le droit du travail ou les retraites, justifieraient de refuser l’accord. » Smith rappelle que de nombreuses mesures ont été prises par Syriza, en bravant les accords passés par le gouvernement précédent : réouverture de la radio-télévision publique, réembauche de personnes licenciées dans le public. Mais l’enthousiasme de la gauche radicale européenne après la victoire de janvier n’a pas donné lieu à une nouvelle dynamique. « Il est difficile de mobiliser les gens autour de négociations compliquées. Il faudra sortir de cette impasse. »

Il faut dire que le bilan des participations au pouvoir de la gauche radicale n’est pas glorieux : majorité plurielle en France, gouvernement de certains länder en Allemagne, coalition rose-rouge-vert à Esch… Pour Smith, le pire a été l’expérience de Rifondazione en Italie après 2006. « Cette participation minoritaire à un gouvernement menant des politiques libérales a été une véritable catastrophe », juge-t-il. Le cas de Syriza ne serait pas comparable puisque ce parti est pratiquement seul à déterminer l’orientation des politiques grecques. L’expérience fait ainsi avancer le débat sur l’attitude à l’égard de l’union monétaire : « Au sein de Syriza, il y en a qui estiment qu’il est impossible de mener des politiques de gauche en restant dans la zone euro. » Avant, Smith estimait que c’était aux eurosceptiques de Grèce et d’ailleurs d’expliquer pourquoi il fallait abandonner l’euro. « Au vu de ce qui est en train de se passer en Grèce, ceux qui veulent garder l’euro doivent expliquer pourquoi, et comment ils veulent alors mener des politiques de gauche. »

Désunion hexagonale

Mener des politiques de gauche, ce n’est pas vraiment la priorité dans le plus grand pays européen où la « gauche » est au pouvoir, la France. Continuer à pouvoir gouverner, c’est tout ce qui compte pour le PS de François Hollande. Cela s’est confirmé dans le cadre des préparatifs du congrès qui aura lieu à Poitiers à partir du 5 juin. La motion des « frondeurs » – les députés qui se sont abstenus lors de votes sur des lois jugées trop néolibérales – a reçu le soutien de 30 pour cent des membres. Mais sans le soutien de Martine Aubry – qui a choisi de s’allier au courant principal – cela représente un succès d’estime qui infléchira tout au plus l’orientation politique du gouvernement, mais ne l’inversera pas.

Pour une partie de cette opposition interne au PS, le moment pourrait être venu de quitter ce paquebot qui n’arrive pas à changer de cap. C’est ce qu’avaient annoncé les « socialistes affligés », notamment Liêm Hoang-Ngoc, économiste qui avait présenté en avril sa critique de la Troïka au Luxembourg (woxx 1312). Leur projet : refonder un parti socialiste ancré à gauche qui puisse s’allier aux Verts et aux partis de la gauche radicale. Or les circonstances sont actuellement peu favorables. Après l’échec du PS aux élections municipales de l’année dernière, la voie semblait ouverte à une recomposition à gauche de la social-démocratie. Mais en plus des désaccords politiques – articulation entre écologie et croissance, stratégie par rapport au PS – la personnalité du leader du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon, n’a pas facilité les choses. Celui qui, de par son charisme, aurait vocation à être le candidat unitaire de cette gauche à l’élection présidentielle de 2017, multiplie les prises de position qui divisent son propre camp, telles que son apologie de Poutine en mars dernier ou son livre dénonçant l’Allemagne qui vient de sortir.

Pour Murray Smith, le point culminant de cette nouvelle mobilisation à gauche a été le résultat de Mélenchon à la présidentielle de 2012 : 11,1 pour cent des voix, rassemblant les votes Parti de gauche et communistes. Il regrette qu’il n’en soit sorti rien de concret. « Mais la possibilité d’un front plus large existe. Les discussions continuent avec les opposants au sein du PS et avec les Verts. Ce n’est pas sans espoir. » Au Luxembourg par contre, les choses sont bien moins avancées, estime Smith : « Il y a des mécontents chez les socialistes et aussi chez les Verts. Mais ils ne se manifestent pas encore. » Enfin, le militant de Déi Lénk – originaire d’Écosse – n’est pas très optimiste en ce qui concerne la gauche radicale britannique. Et se console en évoquant sa terre d’origine : « Les nationalistes et les Verts y sont bien plus à gauche qu’en Angleterre. Et il y a des négociations entre les composantes de la gauche radicale indépendantiste pour créer un front uni. »

De l’Irlande au Portugal

Les circonstances sont-elles plus favorables dans les pays les plus durement frappés par la crise ? « À la recherche du prochain Syriza », c’est le titre d’un article de Renaud Lambert dans Le Monde diplomatique de mai, analysant les cas de l’Irlande et du Portugal. On y apprend que le parti Sinn Féin, nationaliste irlandais de gauche, a le vent en poupe et pourrait s’établir durablement à côté des grands partis traditionnels. Mais le risque serait que Syriza sorte de l’euro et que la droite se mette à dire « Votez Sinn Féin, voilà ce qui arrivera ! » En fait, le parti de gauche radicale s’était opposé à l’entrée dans la zone euro, mais désormais les avantages économiques pour l’Irlande sont tels qu’il hésite à appeler à en sortir. L’article cite Eoin Ó Broin, qui déclare : « Nous ne nous faisons aucune illusion sur le projet politique de la zone euro, mais nous souhaitons tenter de la transformer de l’intérieur. »

Au Portugal, les difficultés économiques ne sont pas compensées par une reprise économique partielle comme en Irlande. L’amélioration célébrée par les commentateurs libéraux n’est qu’un effet d’optique. « La production de richesse a reculé à son niveau d’il y a environ dix ans ; l’emploi, à son niveau d’il y a vingt ans ; l’investissement, qui prépare la croissance de demain, à son niveau d’il y a trente ans », constate l’économiste Ricardo Pas Mamede. Pourtant, à gauche, l’unité qui ferait la force peine à se construire.

Certains espèrent que le parti socialiste portugais, probable vainqueur des élections en automne, change le cap en matière de politique économique. Du côté du parti communiste on observe attentivement les difficultés de Syriza avec les institutions européennes et on penche en faveur d’une sortie de l’euro. Une perspective délicate, écrit le Diplo, car au Portugal, « l’Europe incarne à la fois le retour à la démocratie, après la longue dictature salazariste, et une porte d’accès au ‘premier monde’ ». Mais même Francisco Louçã, un des leaders du Bloco de esquerda, qui était violemment opposé à l’idée d’une sortie de l’euro, a changé d’avis : « Nous savons désormais que la zone euro ne tolérera pas de gouvernement de gauche. » Il estime qu’il faut rompre avec la social-démocratie aussi bien qu’avec l’euro, constatant qu’il n’y a « pas d’autre solution ».

Les effets de la crise n’ont pas encore provoqué de chambardement politique généralisé en Europe. Mais en attendant que changent les rapports de forces, un changement marqué a lieu au niveau des analyses concernant les rapports entre gauche et institutions européennes.


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