Performance/Politique culturelle
 : Barbaries


La « Séibühn Ënsber » entame sa deuxième « vraie » saison avec beaucoup de bruit. Reste à savoir si les Vikings de « Kveldulf » sauront vaincre les insécurités politico-culturelles qui mettent en péril la « Séibühn ».

Là, ils sont encore au sec : les Vikings en répétition… (Photo : Séibühn Ënsber)

Là, ils sont encore au sec : les Vikings en répétition… (Photo : Séibühn Ënsber)

Certes, le « Stauséi » n’est pas la mer du Nord et les barbares de nos temps ne portent plus casques et cottes de mailles, mais se baladent plutôt en costume-cravate. Cela n’empêche que leur invasion est programmée pour début août. Avec une équipe formée par des visages connus, mais dont la composition reste tout de même un peu incongrue, le réalisateur Claude Mangen va mettre en scène le spectacle « Kveldulf », conçu par le multi-talentueux Jean-Michel Treinen. « Je sais que ça peut sonner un peu arrogant, mais je vais le dire tout de même : c’est un spectacle comme je ne l’ai jamais vu encore au Luxembourg », raconte Mangen, « Ce n’est ni un opéra, ni une pièce de théâtre – on ne peut que l’appeler une grande performance ».

Et quelle performance, avec Sylvia Camarda, Serge Tonnar, Marc Clement, Mike Tock et Max Thommes sur scène et le groupe de math-rock luxembourgeois « Mutiny on the Bounty » en tant qu’ « orchestre » ! « Il y a trois ans, Jean-Michel Treinen m’a confié le manuscrit et la musique de ce spectacle. Vu que nous nous connaissons très bien personnellement, j’étais d’autant plus intéressé à réaliser ce projet somme toute très ambitieux », estime le réalisateur. D’autant plus que le libretto original était conçu pour un orchestre de 35 musiciens. C’est grâce aux arrangements de Charel Stolz, qui a adapté la musique originale tout en la rendant plus concise, que les quatre rockeurs de « Mutiny on the Bounty » ont pu entrer pleinement dans le projet « Kveldulf ». Un challenge que les musiciens, dont la réputation sur les scènes luxembourgeoises et internationales n’est plus à faire, ont accepté. Connaissant leurs affinités pour les contrastes musicaux entre très fin et « Wall of Sound » ainsi que leur sens rythmique déjanté, on peut d’ores et déjà être très curieux de voir et d’entendre les résultats.

Barbares universels

Pour ce qui est de l’histoire racontée, Mangen ne veut pas trop entrer dans le détail : « C’est un louveteau qui devient un barbare. En fait, c’est une histoire d’émancipation classique, celle d’un homme qui doit apprendre la liberté et aussi le fait que cette liberté implique d’autres choses, qu’elle ne peut être absolue ». Inspiré des très connues 
sagas islandaises – ces récits anonymes qui retracent des histoires de famille remontant jusqu’au Moyen-Âge, remises à la mode par le chercheur littéraire français Régis Boyer – « Kveldulf » plonge donc dans les abysses de la culture ancestrale islandaise, afin d’en extraire une histoire universelle.

Si « Kveldulf » est certainement l’événement-phare de cette saison de la « Séibühn Ënsber » – aussi en tant que création originale – c’est loin d’être la seule raison pour venir passer une soirée culturelle au bord du lac. Ainsi, le légendaire Goran Bregovic, connu entre autres pour les bandes originales des films d’Emir Kusturica, y apportera la chaleur et la folie des Balkans le 16 août. Et un autre bateau sera de passage sur le lac, « Le Cuirassé Potemkine ». Le chef-d’œuvre de Sergueï Eisenstein sera mis en musique par Jeannot Sanavia et joué par un orchestre live.

... pour le spectacle « Kverdulf » qui marquera cette saison de la « Séibühn Ënsber ». (Phpto . Séibühn Ënsber)

… pour le spectacle « Kverdulf » qui marquera cette saison de la « Séibühn Ënsber ». (Phpto . Séibühn Ënsber)

Voilà pour les bonnes nouvelles. Car, comme à peu près toutes les institutions culturelles du pays, la « Séibühn Ënsber » connaît ses petits et grands bobos. Existant depuis une dizaine d’années, l’asbl derrière la « Séibühn Ënsber » s’est créée avec un objectif fixe, celui de faire construire une vraie scène avec une infrastructure durable près du lac, afin de pouvoir présenter des productions professionnelles chaque été. Mais pour le moment, les perspectives sont plutôt sombres et il se pourrait que la décennie de travail pour organiser des événement et pour fidéliser le public aient été peine perdue.

La raison principale en est que la nouvelle commune en charge – Esch-sur-Sûre, issue d’une fusion récente – n’envisage plus de faire construire de scène. Alors que de très beaux plans, conçus par le bureau d’architectes Valentiny, existent déjà. « C’est une vraie ‘Never Ending Story’ », déplore Mangen, qui préside aussi l’asbl derrière la « Séibühn Ënsber » depuis cinq ans.

Du côté de la commune, on invoque le manque de moyens. Au lieu de la scène conçue pour le lac, les édiles locaux ont préféré faire construire une école. En somme une chose louable, les infrastructures scolaires étant aussi un point faible de plus d’une commune au Luxembourg. Néanmoins, elle met la « Séibühn Ënsber » devant un avenir assez sombre. Selon Mangen, il y a plusieurs inconnues. D’abord dans l’association elle-même : « Depuis deux ans, nous nous efforçons de présenter une ‘vraie’ saison avec des créations in situ – c’est pourquoi nous parlons de la deuxième saison en 2015, alors que la création de l’asbl remonte à 2005 – et le fait de voir que ces efforts n’ont pas porté de fruits auprès de la commune apporte son lot de frustrations. D’autant plus que la ‘Séibühn Ënsber’ repose toujours partiellement sur le bénévolat ».

Certes, l’asbl a signé une convention avec la commune d’Esch-sur-Sûre, portant sur un montant de 200.000 euros, mais celle-ci va expirer le 31 décembre de cette année. « On ne sait pas de quoi le futur sera fait », déplore Mangen. La seule chose qui est sûre en ce moment, c’est la démission du coordinateur et chargé de communication Ben Els à la fin de la saison. « Pour le reste, on patauge. Il se peut bien que l’asbl se dissolve en fin d’année ».Tandis que la commune fait toujours miroiter le concept d’une scène « light », Mangen reste sceptique : « C’est toujours une solution provisoire », remarque-t-il, avant d’ajouter que le provisoire a aussi ses coûts. Ne seraient ce que les toilettes, qu’il faut louer chaque saison, ainsi que les stands de boissons. Et il est très probable qu’un investissement unique dans une structure durable se rentabilise au cours des années. Non seulement dans la perspective d’augmenter l’attrait touristique de la région. Mais aussi pour être à la hauteur des obligations d’accès pour personnes à mobilité réduite. Car au moins un des spectacles n’est pas accessible en fauteuil roulant par exemple. Des problèmes que la commune n’aurait pas encore envisagés. Selon Mangen, le message passé serait : « Vous vous débrouillez assez bien comme ça. »

Pourtant, il reste de la lumière au bout du tunnel : « On pourrait envisager de collaborer avec d’autres communes autour du lac. Esch-sur-Sûre n’est pas la seule à avoir un intérêt à ce que notre projet se pérennise et se développe ».

Comme quoi, même après le passage des barbares, l’espoir de voir naître une nouvelle infrastructure, pas comme les autres en plus, meurt en dernier.

« Kverdulf », à la « Séibühn Ënsber », 
les 5, 6, 7 et 8 août
Plus d’infos : www.seibuehn.lu

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