Accueil des demandeurs d’asile : Être et paraître

Alors que le gouvernement ne cesse de se présenter en champion de l’accueil des demandeurs d’asile, la transposition dans la réalité de ses prétentions s’avère bien plus compliquée.

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(Photo: LFR)

Quand une délégation de députés de la Chambre visitera, ce vendredi matin, à l’occasion de la Journée internationale des migrants, trois structures d’accueil pour demandeurs d’asile, le projet de loi 6775 relatif à l’accueil des demandeurs de protection internationale sera déjà voté. Ce vote bouclera la transposition du « paquet asile » européen (woxx 1257) en droit luxembourgeois. Une transposition entamée, la semaine passée, avec le vote du projet de loi 6779 sur le droit d’asile.

Plus d’autonomie pour les réfugiés, moins de temps d’attente, une meilleure prise en charge des personnes vulnérables… les changements législatifs en matière d’accueil avaient été annoncés avec beaucoup d’enthousiasme par les ministres Cahen et Asselborn (woxx 1305). La réception du côté de la société civile avait été plutôt bonne et le woxx avait même parlé d’un « changement de paradigme » à l’époque.

Mais voilà que le « Lëtzebuerger Flüchtlingsrot » (LFR) vient troubler l’idylle. « Occasion ratée », « déception », « bilan négatif » – les mots que le regroupement de plusieurs associations œuvrant aux côtés de demandeurs d’asile emploie ne pourraient être plus forts.

Et pour cause : alors que le « paquet asile » a été approuvé en 2013, le Luxembourg a tardé à le transposer. À tel point que la Commission européenne a lancé, en septembre, une procédure d’infraction contre le Luxembourg. Si le gouvernement explique le retard par le fait que les différents avis ont pris du temps, le LFR rappelle tout de même que 18 mois avaient dû passer avant que le gouvernement n’introduise les projets de loi. Quoi qu’il en soit, face au risque de sanction par la Commission européenne, la commission parlementaire chargée du dossier a décidé de laisser tomber plusieurs dispositions favorisant l’autonomisation et l’intégration des demandeurs d’asile, apportées à la suite d’un avis du Conseil d’État.

Mais il y a plus : la commission a aussi décidé de passer à la trappe des amendements introduits par la ministre de la Famille Cahen, reprenant des suggestions émanant notamment du LFR.

Le résultat en est un projet de loi incomplet, inadapté à la situation d’« afflux massif » actuelle et restant loin en deçà des attentes et espoirs suscités en début d’année par Cahen et Asselborn. S’il y a bien quelques points positifs selon le LFR, pour Frank Wies, représentant d’Amnesty International au sein du collectif, « on peut se poser la question de savoir si le projet de loi ne représente pas, en fait, une diminution des droits des demandeurs de protection internationale ».

Parmi les rares points positifs relevés par le Collectif réfugiés, la diminution du temps maximal de procédure à une durée de six mois, l’introduction de garanties procédurales pour personnes vulnérables ou encore la possibilité de régularisation pour les familles dont les enfants ont été scolarisés au Luxembourg pendant au moins quatre ans.

Des points plus ou moins positifs, mais marqués par nombre de flous juridiques. Ainsi, la durée maximale de procédure peut être augmentée à 21 mois si un « grand nombre » de réfugiés arrivent en même temps. « Qui définit ce qu’est un grand nombre ? », s’interroge Frank Wies. Même son de cloche concernant les garanties procédurales pour personnes vulnérables : « Qui va déterminer si une personne est vulnérable ou non ? Le flou demeure… »

Longue liste de « ratés »

Quant aux « ratés » de la transposition de la directive européenne, la liste dressée par le LFR est impressionnante. À commencer par la procédure d’introduction d’une demande de protection internationale qui deviendra beaucoup plus compliquée et plus longue. Au Collectif réfugiés, l’expression « millefeuille administratif » circule. Le droit à l’assistance juridique semble, lui aussi, souffrir du retard à transposer la directive : ainsi, l’assistance juridique pour un éventuel recours, contre une décision d’expulsion par exemple, pourra être refusée au motif que le recours n’a « pas de chances tangibles d’aboutir ». Chose que tous les avis relatifs au projet de loi ont pointée du doigt.

Si actuellement un réfugié mineur non accompagné ne peut être mis en rétention, cela deviendra possible avec la nouvelle loi. Qui plus est, aucune limite n’est fixée à la durée de rétention, si ce n’est la formulation vague de « durée la plus brève possible ». Le bracelet électronique et le paiement d’une caution sont introduits comme mesures alternatives à la rétention. Une caution dont le montant est tellement élevé « qu’aucun réfugié ne pourra jamais la payer », selon Frank Wies. Pas un traître mot dans le texte de loi par contre sur les « maisons de retour », autre alternative à la rétention préconisée dans le programme de coalition du gouvernement actuel.

Quid aussi de la « responsabilisation » et du « projet d’autonomisation » des demandeurs de protection internationale, tels qu’annoncés par Corinne Cahen en début d’année ? Le montant de l’allocation mensuelle pour demandeurs d’asile restera lui à 25 euros. « L’intégration ne constitue pas une deuxième étape, mais doit se faire en même temps que l’accueil », tient à rappeler Nonna Sehovic de Caritas. « Cette loi crée des dépendances qui sont nuisibles pour les personnes concernées, mais aussi pour la société. »

La transposition de la directive, pour la société civile, est donc une grande déception et rendra nécessaire, dans quelques années, une nouvelle révision de la législation nationale. Une occasion ratée pour le gouvernement, qui ne cesse de se présenter en champion de l’accueil. C’est qu’il est bien plus facile de poser pour les caméras devant un foyer de réfugiés que de traduire les grands discours en politique concrète.


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