Andrey Zvyagintsev
 : Hymne à l’amour


Après « Leviathan », grande fresque aux multiples ramifications, le réalisateur russe Andrey Zvyagintsev signe avec « Nelyubov » un film plus resserré, qui appelle sans équivoque à l’empathie.

Le petit Aliocha, personnage central et pourtant absent pendant presque tout le film. (Photos : Pyramide distribution)

Lorsque Aliocha, 12 ans, disparaît mystérieusement d’une banlieue de la périphérie de Moscou, les recherches ne s’organisent que bien tard. Et pour cause : ce soir-là, ses parents en instance de divorce étaient absents de leur domicile, le père chez sa nouvelle compagne déjà enceinte et la mère chez son futur nouveau mari. La police, débordée, explique d’ailleurs qu’elle ne lancera une enquête qu’après quelques jours, puisque dans la majorité des cas, les fugueurs reviennent rapidement. C’est donc une association de bénévoles qui prend les choses en main, à la demande des parents dont on comprend qu’ils n’ont prêté jusque-là qu’une attention relative à leur fils.

Un argument simple, une narration linéaire : le film est radicalement différent de « Leviathan », le précédent opus d’Andrey Zvyagintsev. Là où ce dernier déployait de multiples idées par plan pour dénoncer la corruption administrative et l’influence disproportionnée de l’Église orthodoxe, « Nelyubov » se concentre sur la procédure de recherche de l’enfant disparu. Il y a certes quelques piques encore contre le fanatisme religieux ou le délitement des relations sociales dans une société moderne, abreuvée d’écrans de portables et de propagande télévisée. Mais l’essentiel reste tout de même cette plongée dans l’absence d’amour (« Loveless » est le titre international du film) des parents pour leur fils. Avec, comme message sous-jacent que le réalisateur a clairement évoqué dans ses entretiens à Cannes, d’où il est reparti avec le Prix du jury, cette réplique d’un personnage qui sonne comme une sentence : « Il est impossible de vivre sans amour. » Les parents d’Aliocha, sans être riches, ne manquent de rien, sinon de ce ciment qui aurait peut-être permis d’éviter le pire.

Comme toujours chez Zvyagintsev, la réalisation est somptueuse. Pas de véritable morceau de bravoure, à part peut-être cette séquence magnifique dès l’altercation du début qui révèle au jeune Aliocha, caché derrière une porte, la décomposition de sa famille. Pour le reste, avec de longs plans fixes et juste ce qu’il faut de mouvements de caméra, le cinéaste compose une fresque où la majesté de la nature côtoie la désolation de bâtiments abandonnés et la décoration trendy d’intérieurs qui pourraient aussi bien se trouver dans un loft branché de Manhattan que dans les nouveaux immeubles du Kirchberg. Il y a donc bien dans « Nelyubov » une volonté d’atteindre une certaine universalité dans l’analyse des sentiments humains.

Les visages sont scrutés comme les lieux, pour déceler la moindre parcelle d’empathie – souvent absente, malheureusement, sauf peut-être chez ces bénévoles qui aident dans les recherches. Les personnages principaux s’agitent dans tous les sens, autant à la recherche d’Aliocha que de la part d’humanité qu’ils comprennent avoir perdue. Et puis pas de performance d’acteur à relever : au contraire, une grande homogénéité de jeu de l’ensemble de la distribution. Il faut la mettre au crédit de la direction d’acteurs de Zvyagintsev, qui sert son message à merveille.

D’un rythme maîtrisé, avec plus de deux heures de projection qui semblent passer en un éclair, « Nelyubov » est un grand film. Sombre, précis, clinique, il décortique sans épargner le spectateur ce fléau de notre époque qu’est la montée de l’indifférence. Et appelle clairement à un sursaut d’humanité.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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