Anna Muylaert
 : Oui Madame, merci Madame


L’intention derrière « Que horas ela volta ? », film brésilien de l’ancienne critique de cinéma Anna Muylaert était bonne. Le film déçoit pourtant.

1326KinoVal est la bonne d’une riche famille de Sao Paolo. Et elle semble se plaire dans sa condition de domestique. Divorcée, séparée depuis dix ans de sa fille qui habite le nord du Brésil et qui a coupé le contact avec elle depuis le divorce, elle considère ses patrons comme sa seconde famille. À leur domicile, les journées se répètent. Carlos, le patriarche artiste qui a arrêté de travailler et qui est dépressif, peine à sortir du lit, jour après jour. Sa femme Barbara, une star dont la véritable occupation restera un mystère pour le spectateur, donne des interviews et s’amuse lors de garden-parties avec ses amis. Val est à la fois femme de ménage, confidente et mère de substitution pour Fabinho, le fils de la famille. C’est avec dévouement qu’elle accomplit ses tâches quotidiennes : « Oui Madame, merci Madame, de rien Madame », répète-t-elle à longueur de journée. On ne peut pas dire qu’elle est maltraitée par ses patrons, tant qu’elle reste à sa place et eux, à la leur.

Mais voilà que la fille de Val, jeune et émancipée, décide de déménager à Sao Paolo pour y faire des études d’architecture au sein d’une université réputée et sélective. Les patrons de Val l’autorisent à loger sa fille chez eux. Quelque temps après, celle-ci arrive et fait basculer radicalement l’ordre qui règne dans la maison. « Ils sont peut-être tes patrons, mais pas les miens », dit-elle à sa mère qui s’inquiète de la façon dont elle se comporte.

« Que horas ela volta ? » (« Une seconde mère » en français) aurait pu être un très bon film. La réalisatrice Anna Muylaert dresse le portrait d’une société brésilienne déchirée par les inégalités et figée dans ses rapports de classe. Mais aussi le portrait d’une génération nouvelle qui ne comprend pas la servitude de ses parents : « Comment tu sais ce que tu as le droit de faire et ce qui est interdit ? », demande Jessica à sa mère quand celle-ci l’empêche de se baigner dans la piscine des patrons. « C’est à partir de la naissance qu’on le sait », lui rétorque Val. Le film pose la question de la légitimité des rapports de domination entre riches et pauvres. Quand Val demande à João Carlos, le patriarche, si c’est sa femme Barbara qui doit nourrir la famille depuis qu’il ne travaille plus, il lui répond simplement : « Mon père a beaucoup travaillé dans sa vie et était riche. »

Entre feel-good movie et critique sociale, la quatrième œuvre de Muylaert appelle en quelque sorte à briser la domination par la désobéissance. Sauf que, en réalité, cela pourrait s’avérer une entreprise bien plus difficile et complexe que dans le film. Ainsi, le long métrage fait bien état des rapports de classe existants, mais sans véritablement nommer les raisons qui poussent à les accepter. Comme si on pouvait tout simplement s’en soustraire par la bonne humeur, comme si on pouvait tout simplement décider : ça y est, je ne vais plus me laisser exploiter. Malheureusement, « Que horas ela volta ? » ne fait pas vraiment état des conditions économiques et sociales qui rendent possible cette exploitation.

Autre bémol : le jeu des acteurs. Si Regina Casé, star de la télé brésilienne qui incarne Val, s’en sort plutôt bien, les autres comédiens semblent peu naturels, voire carrément artificiels – les amateurs de « telenovelas » à la brésilienne devraient y trouver leur compte. L’histoire est, elle, assez prévisible – même si la réalisatrice réussit à semer le doute par moments – et rarement époustouflante.

« Que horas ela volta ? » peut se révéler intéressant pour les spectateurs qui s’intéressent au Brésil sans vraiment le connaître : ils découvriront la face cachée du pays, celle d’une hiérarchie sociale vieillotte, dépassée, injuste. Ça aurait pu être un très bon film. Malheureusement, ce n’est pas vraiment le cas.

À l’Utopia.

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