Cannabis médical
 : Orthodoxie


Alors que les mentalités sur l’usage du cannabis – qu’il soit récréatif ou médical – sont en train de changer un peu partout dans le monde, au Luxembourg, même avec un gouvernement « libéral », le progrès semble accuser son sempiternel retard.

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Le cannabis médical a une longue tradition, interrompue par la prohibition. (Photo : ©flickr_venicebeachhouse)

Au cours des dernières décennies, beaucoup de barrières sont tombées et les préjugés envers l’usage du cannabis se sont sévèrement estompés dans une multitude de pays à travers le monde. Que ce soit pour traiter des dépressions aiguës, pour améliorer la vie de personnes en phase terminale d’un cancer ou pour redonner de l’appétit aux boulimiques – le cannabis, en vertu des molécules qu’il contient, le tétrahydrocannabinol (THC) avant tout, est une substance que déjà nos ancêtres connaissaient pour ses vertus et dont le potentiel reste encore à découvrir. Rappelons seulement que son interdiction et la répression aveugle à son égard sont relativement récentes (elles datent des années 1930) et que les raisons de ce bannissement tiennent aussi à l’industrie pharmaceutique – qui voulait remplacer le THC, qui se trouvait dans une multitude de médicaments au 19e siècle, par des molécules plus chères (woxx 1286).

Au Luxembourg, les gouvernements qui se sont succédé sont tout de même restés sourds à la dédiabolisation progressive du « chanvre indien », comme on l’appelait jadis. Même si le nouveau gouvernement a promis dans son programme de coalition de revoir la politique de répression et de ne plus uniquement miser sur la justice pour régler la consommation et l’usage du cannabis et d’autres drogues, jusqu’ici pas grand-chose ne s’est passé – si ce n’est quelques adaptations timides du plan national drogues (woxx 1319).

S’il est encore à la limite compréhensible que la raideur persiste en ce qui concerne l’usage récréatif du cannabis – il ne faut pas oublier que nos grands voisins, la France avant tout, persistent dans leur politique répressive et ne verraient peut-être pas d’un bon œil l’ouverture d’un « coffee shop » grand-ducal -, le fait d’ignorer le cannabis médical l’est beaucoup moins. Car nombre de pays européens, membres ou non de l’Union européenne, sont en train ou ont déjà avancé dans cette direction. La liste est longue : Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Suisse, Autriche, Pologne, Roumanie, République tchèque, et même la Serbie et la France, ont adopté des législations autorisant – sous certaines conditions, qui sont loin d’être homogènes – la prescription de cannabis médical ou de produits synthétiques à base de cannabinoïdes.

Même si le ministre de la Justice Félix Braz avait annoncé il y a plus ou moins un an dans le woxx 1302 vouloir « explorer de nouveaux chemins » et que des groupes de travail mèneraient une discussion en arrière-plan, jusqu’ici aucun résultat n’a été rendu public. D’ailleurs, on n’en sait pas plus sur qui discute avec qui et dans quel cadre. Il semble que le gouvernement soit très pudique en ce qui concerne ces questions et qu’il ne veuille plus offenser un électorat qu’il perçoit de plus en plus hostile et conservateur. En d’autres mots : par calcul électoral, le courage vient à lui manquer.

C’est dommage, parce que les personnes dont les douleurs et les problèmes pourraient être soulagés par la prescription de cannabis médical existent bel et bien au Luxembourg. Mais, en utilisant des produits qui sont légaux dans les pays voisins, elles s’exposent à des poursuites judiciaires et à la répression policière.

Comme c’est arrivé à M. T., il y a une quinzaine de jours, quand la police a mené une perquisition chez lui en confisquant ses outils – notamment un vaporisateur qui permet de consommer sans mélanger le produit à du tabac – et son cannabis médical, en l’occurrence du Bedrocan, en provenance des Pays-Bas et qui peut être prescrit dans beaucoup de pays européens.

« Il est encore trop tôt pour se fixer un agenda ».

1356stoosM. T. souffre depuis sa jeunesse de troubles de l’attention (ADS) et de dépressions à répétition. Pendant longtemps, il s’est livré à l’automédication avec du cannabis acheté dans la rue chez des dealers : « Mais là, on ne sait jamais ce qu’on aura. Dans le meilleur des cas, ils n’ajoutent que de l’eau pour rendre leur marchandise plus lourde, mais parfois ils la mélangent aussi à d’autres saloperies qui peuvent être plus dangereuses », témoigne-t-il. Face à ces incertitudes, T. s’est mis à la recherche de solutions plus propres et médicalement plus correctes. « J’ai donc trouvé un docteur en Allemagne qui m’a écrit une ordonnance pour du Bedrocan. L’ordonnance prescrit la consommation d’un gramme par jour. Depuis, je me rends régulièrement aux Pays-Bas où je peux l’acheter légalement avec l’ordonnance, pour le prix de 7,5 euros par dose – non remboursés évidemment. »

Depuis qu’il consomme du Bedrocan, T. ressent un vrai soulagement, d’ailleurs confirmé par le personnel médical luxembourgeois qu’il consulte. Son généraliste, tout comme son psychiatre, lui ont conseillé de poursuivre dans cette voie. Mais la police et la justice ne l’ont cependant pas entendu de la même oreille. En plus de la perquisition, qui est toujours un exercice particulièrement humiliant, T. est accusé de revente : « Pour moi, c’est une accusation inventée pour pouvoir mener la perquisition. La police ne fouille pas un appartement quand elle ne suspecte son habitant que de consommation. Ils m’ont donc confisqué les 50 grammes de Bedrocan pour lesquels j’avais une ordonnance, ainsi que tous mes outils. »

En ce qui concerne les suites de la perquisition, elles restent en suspens : « Il se pourrait que toute l’affaire disparaisse sous le tapis, parce qu’ils ne veulent pas l’ébruiter. Mais dans le cas d’une condamnation, je risque gros : en plus d’une amende sévère, un casier judiciaire qui pourrait même amener la perte de mon travail dans le secteur paraétatique. » Entre-temps, T. est obligé de se procurer son cannabis sur le marché noir : il retombe dans la parfaite illégalité et risque donc d’alourdir son cas.

Alors pourquoi l’État reste-t-il sourd aux besoins des patient-e-s qui pourraient trouver un soulagement avec ces produits ? Interrogés par le woxx – qui a appliqué à la lettre la nouvelle « circulaire Bettel » -, les différents ministères ont fourni des informations bien maigrichonnes. À la Justice, le premier conseiller du ministre, Jeannot Berg, nous a tout simplement renvoyés au ministère de la Santé – ne daignant même pas répondre à notre question sur d’éventuels groupes de travail interministériels et leurs hypothétiques résultats.

L’existence même de ces groupes de travail nous a tout de même été confirmée par le biais de la fonctionnaire en charge de la communication du ministère de la Santé, Monique Putz. Dans sa réponse à notre questionnaire, on lit : « Le programme gouvernemental ne prévoit rien en ce qui concerne le cannabis médical. Néanmoins, certains produits contenant des extraits de cannabis peuvent être prescrits au Luxembourg. Les équipes du ministère suivent les évolutions du dossier avec grand intérêt. Mais sinon, il n’y a pas de nouveaux éléments en ce qui concerne le cannabis. La Santé collabore étroitement avec la Justice sur ce dossier. Pourtant, il est encore trop tôt pour se fixer un agenda. » En attendant qu’il ne soit trop tard.


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