Chios/Lesbos
 : « La tension est palpable »

Sur les îles grecques, la situation des réfugiés qui y sont bloqués se détériore de jour en jour – et n’est pas près de changer. Le woxx en a parlé avec la photographe Carole Reckinger, revenue récemment de là-bas.

Beaucoup de personnes restent bloquées sur les îles. Comme ce réfugié dont la demande d’asile a été rejetée, mais qui est en attente de son expulsion vers la Turquie. (Photo : Carole Reckinger)

woxx : En juin, tu t’es rendue sur les îles grecques pour la troisième fois en trois ans (woxx 1368), à Lesbos et à Chios. Quelle est la situation sur place ?


Carole Reckinger : C’est la troisième fois que je visite Lesbos, et la première fois que je vais aussi à Chios. À Lesbos, j’ai visité le camp de Moria, où des réfugiés sont retenus depuis l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Il est totalement surpeuplé, des conteneurs ont été rajoutés et, en plus, des tentes ont été installées à l’extérieur du camp.

La situation des réfugiés sur les îles a-t-elle évoluée depuis l’an dernier ?


Une des premières choses qui m’a frappée à Lesbos, c’est qu’il y a plus d’Africains qu’il y a un an. Beaucoup de personnes viennent de pays africains francophones. Alors qu’avant, ils arrivaient principalement en Italie, maintenant j’en ai rencontré qui avaient pris un avion jusqu’à Istanbul pour atteindre les îles grecques par après. C’est moins loin que la traversée très dangereuse entre la Libye et l’Italie. La situation sur les îles est très chaotique. Personne n’a des infos, plein de gens sont bloqués là depuis l’accord UE-Turquie, mais ne sont pas expulsés vers la Turquie non plus. Il y a beaucoup de mineurs isolés, des jeunes de 16 ou 17 ans sans famille. La tension est palpable à l’intérieur et autour des camps.

Pourquoi cette tension ?


Avant, il y avait une ambiance de lieu de passage. Plus maintenant. Les gens sont coincés et n’ont pas d’infos. Dans les camps, il n’y a pas assez de douches et de toilettes. Ça crée des tensions, il y a beaucoup d’incertitudes et du coup, il y a des bagarres entre personnes de différentes origines. Ce qui est nouveau, c’est qu’il y a aussi beaucoup plus de Maghrébins, souvent des hommes, souvent des petits délinquants et des trafiquants. Les fauteurs de troubles ne sont qu’une petite minorité, mais terrorisent tout le monde. Il y a des viols et beaucoup de femmes célibataires sont très angoissées. Des réfugiés chiites nous ont raconté qu’il y aurait des membres de Daesh et du Front Al-Nosrah dans les camps et qu’ils y feraient la loi en quelque sorte. En plus de cela, les campements informels se font régulièrement attaquer par des néonazis membres d’Aube dorée qui lancent des pierres.

Qui est en charge de ces camps ?


Les gouvernements locaux les gèrent en coopération étroite avec des ONG. Mais les ONG se retirent progressivement, et il ne reste plus que les autorités locales. De toute façon, ce qui se passe à l’intérieur des camps n’est pas contrôlé. À Moria, il y a des policiers à l’entrée, mais pour que la police entre dans le camp, il faut déjà qu’il y ait beaucoup de sang qui coule.

Combien de personnes y a-t-il sur les deux îles actuellement ?


À Chios, ils sont officiellement 3.900 – pour une capacité d’accueil de 1.300 ! À Lesbos, ils sont 3.800. Mais beaucoup de personnes ne sont pas enregistrées et vivent dans des tentes en dehors des camps officiels.

Pourquoi les gens restent-ils bloqués sur les îles ?


Beaucoup d’entre eux devraient retourner en Turquie, mais en ce moment, il n’y a quasiment plus d’expulsions vers la Turquie, les autorités attendent un jugement de la Cour supérieure grecque. Puis il y a ceux qui ne font pas de demande du tout, parce qu’ils espèrent pouvoir rebrousser chemin et aller ailleurs en Europe. J’ai aussi rencontré des personnes qui avaient demandé l’asile en Turquie. Ils ont eu la date de leur première interview : septembre 2022 ! Du coup, certains ont décidé de quitter la Turquie…

(Photo : Carole Reckinger)

Tu as aussi rencontré des volontaires luxembourgeois à Chios. 


Oui, il y a trois volontaires de l’association « Catch a Smile » à Chios, qui y travaillent avec les organisations locales. Ils essayent de combler des lacunes tant bien que mal, et font un super boulot !

Comment se présentent les relations entre réfugiés et locaux ?


De plus en plus mauvaises. Alors qu’il y a encore deux ans, tout le monde était impliqué et aidait, les résidents locaux commencent à en avoir marre. On le ressent davantage à Chios qu’à Lesbos. Les gens, pauvres eux-mêmes pour la plupart, voient que beaucoup d’argent est investi, alors que rien ne change. Et surtout, il n’y a aucune perspective, rien ne semble près de s’améliorer.

Pourtant, le premier août, un changement majeur sera opéré.


Comme il s’agissait officiellement d’une situation d’urgence, jusqu’à maintenant, les ONG sur place étaient directement financées par l’Union européenne. À partir du premier août, la situation ne sera plus considérée comme urgente. Par conséquent, ce sera le gouvernement grec qui recevra les financements et les redistribuera. Personne ne sait ce que ça va donner, mais les grandes ONG se préparent à se retirer. Les volontaires sur place sont très pessimistes : la situation – déjà critique – pourrait encore empirer.


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