Communauté juive
 : Vivre


Ce dimanche sera inauguré le monument aux victimes de la Shoah. Or qu’en est-il de la vie juive au Luxembourg ?

La rue des Rosiers dans le quartier du Marais. (Photo : Wikimedia Commons)

Que le Luxembourg, dans son calendrier des commémorations nationales, réserve une place au sort de ses concitoyens juifs durant la Seconde Guerre mondiale est une chose. Qu’il ait mis plus de 75 ans à le faire en est une autre. L’Holocauste est aujourd’hui enseigné dès l’école primaire et ces dernières années, le gouvernement a multiplié les signes envers une communauté qui jusque-là n’avait compté pour rien.

L’inauguration d’un monument national de la Shoah, ce dimanche, marque un pic temporaire dans le processus de « réconciliation nationale », engagé en septembre 2012, quand le gouvernement Juncker céda aux pressions pour charger une équipe d’historiens d’examiner la période d’occupation et l’attitude des autorités luxembourgeoises envers la population juive.

Le fameux rapport Artuso qui en a résulté servira de motivation aux excuses officielles que la Chambre des députés et le gouvernement actuel adresseront à la communauté juive en juin 2015, et portant sur la responsabilité des autorités luxembourgeoises dans la persécution des Juifs.

Depuis, un Comité pour la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale, chargé de conseiller le gouvernement, accueille de façon paritaire les représentant-e-s des trois « groupes de victimes » : résistant-e-s, enrôlés de force et pour la première fois, membres de la communauté juive du Luxembourg. Aussi, le 16 octobre 2016, une cérémonie officielle, en présence du chef de l’État et des membres du gouvernement, a eu lieu en gare de Luxembourg pour commémorer le départ du premier train de déportation en direction du ghetto de Lodz.

Être juif au Luxembourg

Depuis, qu’avons-nous appris sur la communauté juive au Luxembourg ? Sommes-nous seulement en mesure de dire ce que signifie pour l’un-e ou l’autre d’être juif-ve au Luxembourg ?

Lorsque j’ai commencé à écrire sur la communauté juive au Luxembourg, je ne savais strictement rien sur elle. C’est à Paris, dans le quartier du Marais où je vivais à l’époque, que pour la première fois de ma vie j’ai entendu parler de Roch Hachana de la bouche de mon propriétaire juif. Jamais au Luxembourg je n’avais eu l’occasion d’entrer, comme à Paris, rue des Rosiers, dans une librairie hébraïque pour acheter un recueil de contes juifs, de dîner dans un restaurant casher ou de commander du gâteau au fromage dans une pâtisserie juive. Ces choses n’existent tout simplement pas au Luxembourg.

J’ai certes pu constater que les « latkes » ressemblaient étrangement à nos « Gromperekichelcher », mais je n’avais encore jamais par exemple vu de juif pratiquant ou d’école du Talmud. C’était bien la première fois que j’ai enregistré l’existence d’une vie juive, aussi pittoresque qu’elle puisse être.

C’était là certainement le résultat d’avoir grandi dans un pays où la communauté juive n’a jamais été très nombreuse, et qui en plus a perdu un quart des siens dans l’Holocauste. Au lycée, on nous invitait parfois à rencontrer des survivant-e-s, mais que l’on sommait de terminer dès que l’émotion et la rage s’emparaient d’eux. J’ai toujours trouvé cela dégoûtant et ce n’est que bien plus tard, à travers W. G. Sebald, que j’ai compris l’attitude de nos enseignant-e-s.

Pour l’écrivain allemand, qui a vécu la majorité de sa vie en Angleterre, le fait que la destruction des Juifs d’Europe a eu comme conséquence très concrète qu’il est aujourd’hui difficile de rencontrer des Juifs dans la vie quotidienne rend « moralement abstraite » la culture mémorielle telle qu’elle a été mise en place dans nos pays, suivant l’exemple allemand. En gros, c’est une culture qui peut très bien se passer des témoins.

Transformations

L’une des premières personnes que j’ai interviewées en tant que journaliste a été ma voisine, après être des mois durant passé devant sa boîte aux lettres où son nom était marqué – le même, comme je l’ai compris à ce moment-là, que celui sur les listes de déporté-e-s que je m’étais procurées dans l’espoir de trouver des survivant-e-s.

Pendant trois ou quatre ans, j’ai écouté des témoignages, j’ai essayé de comprendre en améliorant mon oreille. Bientôt, j’ai été sidéré en entendant des gens parler de « Luxembourgeois » d’un côté et de « Juifs » de l’autre, ou alors confondre Juif et Israélien. On m’a invité à la synagogue, où j’ai porté une kippa en chantant « Lekha Dodi » (le refrain plus précisément) et j’ai participé au service à l’occasion de la fête nationale, où l’on voit la salle entière prier pour le pays – un moment inoubliable, et qui donne une idée de l’antisémitisme et du climat qui devaient régner dans ce pays il y a encore trente ou quarante ans.

J’ai vu une communauté tiraillée entre une attitude plus revendicative et de l’autre traditionnellement conciliante, parfois résignée (ou réaliste). J’ai remarqué des tensions entre membres appartenant à la génération des survivant-e-s et ceux de la génération d’après, entre conservateurs et libéraux et où, en tant que journaliste, il est parfois difficile de se positionner. Parce qu’il n’y a pas une communauté homogène, ou qui parlerait d’une voix, mais autant d’opinions qu’il y a d’habitant-e-s dans ce pays.

(Photo : Wikipedia)

Célébration

Surtout, j’ai vu une communauté en effervescence depuis la reconnaissance tardive dont elle fait l’objet. Car beaucoup de ce qui a eu lieu à l’étranger ne s’est jamais produit au Luxembourg. La Fondation de la Shoah a été promise mais n’a pas vu le jour. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans mon travail, j’ai surtout rencontré des gens issus de la génération de mes parents et bien plus âgés encore, et dont les enfants, bien souvent, vivent en France ou ailleurs, en Israël ou en Amérique.

Quant aux gens de ma génération, ils ont souvent le plus grand mal avec les discours mémoriels du passé. Et qui sont des discours que la société dominante tient sur elle-même, en présence des représentant-e-s d’une communauté juive d’apparence monolithique. Par conséquent, le monument aux victimes de la Shoah vient trop tard à plusieurs égards, en même temps qu’il inscrit dans l’espace public de la capitale le crime de l’Holocauste.

Il vient trop tard parce que les gens auxquels il devait profiter en premier lieu, à savoir les témoins directs, sont de moins en moins nombreux. Et que ces gens ont été obligés bon gré mal gré de faire leur vie, même sans la reconnaissance officielle de leur vécu, de leur souffrance. Ensuite, parce que rien que chez nos voisins allemands, dans une ville comme Berlin, de jeunes Juifs s’interrogent sur ce que signifie être juif aujourd’hui en Europe et revendiquent le droit à se définir autrement qu’à travers la Shoah (ou du moins détachés de tout discours officiel). Comme le dit un proverbe yiddish : « Si je dois être comme tout le monde, qui sera comme moi ? »

Rien n’empêche d’ailleurs de voir dans « Kaddish », l’œuvre un brin érotique de Shelomo Selinger, le sculpteur franco-israélien qui a réalisé le monument aux victimes de la Shoah, l’invocation de quelque chose qui transcende l’anéantissement : une célébration de la vie.


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