Communes et logement social
 : Peu d’ambitions

Les communes pourraient jouer un rôle important dans la solution au problème du logement. Pourtant elles n’affichent guère de volonté en ce sens.

En 2011, 32 pour cent des habitations à Vienne (Autriche) étaient dans les mains de la commune ou de sociétés coopératives sans but lucratif. Une vieille tradition, comme ci le 
Karl-Marx-Hof, inauguré en 1930. (Photo : Wikimédia)

À la fin du siècle dernier, lorsque la vague néolibérale battait son plein, on parlait beaucoup de réforme de la comptabilité des communes. Il s’agissait moins de revoir les flux de distribution des revenus publics entre les différents niveaux communaux et l’État que de trouver une parade aux problèmes auxquels étaient confrontées de nombreuses communes, suite notamment à la désindustrialisation et aux pertes en revenus fiscaux qu’elle engendrait.

Au lieu de regarder seulement les recettes et dépenses annuelles d’une certaine commune, il serait opportun d’intégrer la notion de patrimoine (notamment foncier) dans les états financiers de chaque commune, disait-on. Une double comptabilité, comme pour une société commerciale, devait alors pouvoir déterminer de façon exacte si une commune était riche ou pauvre, en bonne santé ou en état de faillite.

L’idée derrière cette nouveauté n’était pas toujours innocente : avant que d’autres acteurs publics (et notamment l’État) ne viennent à la rescousse des communes en difficulté, un inventaire du patrimoine communal aurait permis de dégager d’éventuelles sources de financement « alternatives » afin d’éviter l’endettement. Ainsi, la vente de bâtiments et de terrains mais aussi la liquidation d’éventuelles participations à des sociétés « rentables » auraient pu permettre de parer à des moments difficiles. Vendre l’argenterie et couper parallèlement dans les coûts était la recette préconisée par les néolibéraux. On « testait » au niveau communal une méthode qui devait plus tard s’appliquer à des États entiers.

Les privatisations et les coupes budgétaires ont bien eu lieu, mais aujourd’hui nos communes luxembourgeoises continuent à suivre une comptabilité « de caisse » classique. Une fois par an, on casse la tirelire et on observe ce qui se trouve dedans. Si le budget « ordinaire » dégage un surplus, alors on peut se permettre, au niveau du budget « extraordinaire », les investissements qu’on juge nécessaires pour le bien-être de sa commune, comme des écoles, mais aussi de grosses interventions sur les infrastructures.

Augmenter le patrimoine communal

Même au Luxembourg, où malgré la crise de la sidérurgie des années 1970 et 1980 les dégâts ont finalement été moins importants qu’on aurait pu craindre, une vraie réforme des finances communales aurait permis une meilleure transparence. La réforme mise en place depuis cette année garantit certes une meilleure répartition des recettes fiscales, mais elle n’éponge pas les inégalités accumulées pendant des décennies.

En évitant les dérives néolibérales qui ont finalement appauvri encore plus quelques communes, une comptabilité qui tient compte des flux financiers mais aussi du patrimoine apporterait, en plus de la transparence, plus d’autonomie aux acteurs communaux. En effet, certains investissements s’avéreraient neutres, voire bénéfiques d’un point de vue comptable : la construction d’habitations par exemple fait vivre – et bien vivre – des promoteurs privés, pourquoi alors pas les communes ?

Évidemment, il faut éviter de tomber dans une logique spéculative et vouloir tirer des revenus supplémentaires via le logement. Ce n’est pas le rôle des communes. Mais il est quand même aberrant de devoir constater que les communes luxembourgeoises sont presque inexistantes sur ce segment économique, si on dresse un tableau des logements qu’elles gèrent.

Ministère du logement : esquisse de l’avenir de la cité militaire à Diekirch.

Cela s’observe déjà au niveau de la propriété foncière, donc des terrains constructibles à court ou moyen terme. Selon une étude du Liser (1), qui se base sur des données du ministère du Logement et de l’Observatoire de l’habitat, sur les 2.719 hectares de terrains constructibles recensés pour l’année 2013, seuls 160 hectares appartenaient à des communes ou des syndicats de communes. Face aux autres acteurs publics comme l’État (26 ha) et le Fonds du logement (27 ha), cela peut paraître beaucoup, mais cela ne représente que 5,9 pour cent de la totalité des terrains disponibles.

Pire encore, ces terrains sont très irrégulièrement répartis entre les 106 communes. La seule Ville de Luxembourg détient avec 55,82 hectares presque un tiers de ce stock. Un autre tiers est détenu par cinq autres communes (Differdange, Esch-sur-Alzette, Sanem, Dudelange et Wiltz).

En ce qui concerne la construction de logements par les communes, quelques réponses à des questions parlementaires récentes confirment le peu de dynamique observé à ce niveau, malgré une situation qui ne cesse de s’aggraver et les discours préélectoraux des responsables politiques. Ceci est d’autant plus regrettable que l’État subventionne fortement les logements sociaux loués ou vendus à des conditions favorables à des personnes dans le besoin.

Ainsi, David Wagner (Déi Lénk) s’était adressé en février 2017 au ministre du Logement, Marc Hansen (DP), pour connaître le nombre de logements que l’État avait subventionnés dans le courant des six derniers exercices budgétaires par le biais de la loi du 25 février 1979, qui prévoit que l’État peut « participer jusqu’à concurrence de 75 % du prix de construction, d’acquisition, de rénovation et d’assainissement de logements destinés à être loués par les communes ou syndicats de communes (…) à des ménages à revenu modeste, à des familles nombreuses, à des personnes âgées et à des personnes handicapées ».

Nombre infime de logements publics

La réponse – pour une fois claire, précise et lisible – montre que cet instrument n’est utilisé qu’au compte-gouttes : 56 communes – donc un peu plus que la moitié – ont certes profité de 2011 à 2016 de la loi en question, mais seulement 1.704 logements ont été subventionnés, dont 449 étaient destinés à la vente et 1.255 à la location. Une moyenne de 284 logements par an donc. Chiffre à comparer aux 6.500 logements à construire par an dont une étude du Statec avait fait état en 2011 (1), tout en constatant que sur la période de 2004 à 2010 seuls 1.685 logements s’étaient construits par an. Entre-temps, le taux de croissance de la population a encore augmenté et les besoins de construction annuels devraient être revus drastiquement à la hausse.

Le peu de dynamisme en la matière devient encore plus visible si l’on compare les différents budgets annuels alloués via la loi de 1979 : 42,26 millions d’euros en 2011, 45,59 en 2012, 29,21 en 2013, 42,97 en 2014, 39 en 2015 et 44 en 2016.

Les résultats sont à relativiser suite à la réponse à une deuxième question parlementaire du même auteur qui vient de tomber la semaine passée : d’un côté, les chiffres de la première réponse ne tiennent pas compte des logements sociaux locatifs disponibles dans les différentes communes soit via le Fonds du logement, soit via la Société nationale des habitations à bon marché – 1.851 pour la première et 182 pour la SNHBM ; de l’autre, bon nombre des logements subventionnés n’étaient pas de nouvelles constructions, la loi intervenant aussi au niveau de la rénovation et de l’assainissement de logements insalubres, mais pas nécessairement à l’abandon.

Dans une lettre aux rédactions, Serge Kollwelter, l’ancien président-fondateur de l’Asti (qui par ailleurs a vu le jour la même année que la loi précitée) se plaint du manque d’enthousiasme des communes à devenir actives dans le domaine du logement social et abordable. Dans le tableau qu’il a dressé (voir ci-contre) il établit une relation entre le nombre d’habitants de certaines communes et le nombre de logements subventionnés créés entre 2011 et 2016 : seules les deux villes du Nord, Clervaux et Wiltz, ainsi que Mondercange dans le Sud dépassent le nombre de 3 logements par 1.000 habitants réalisés. Les grandes villes se situent soit tout juste autour d’une unité soit en dessous.

« Force est de constater que la récolte est modeste, alors que le rendement est élevé : avec 75 % des coûts payés par l’État, la commune élargit son parc immobilier, investissement porteur en ces temps-ci ! », constate l’auteur de la lettre. Sa conclusion : « J’avance une hypothèse provocante : on ne veut pas d’un mélange de la population, on ne veut pas des ’pauvres’ qui ne peuvent acquérir leur immobilier. »

La loi de 1979 était un des derniers actes politiques posés par la coalition bleu-vert en place entre juin 1974 et juin 1979. Le problème du logement n’avait pas encore pris les dimensions qu’il connaît aujourd’hui, mais il se dessinait à l’horizon, et un usage volontariste de cette loi aurait peut-être permis d’éviter certaines des dérives qu’a connues notre pays en matière de logement.

Serge Kollwelter se plaint aussi du manque d’ambition des Verts de la capitale qui parlent de « garder le logement en ville abordable », alors qu’il voit cette époque révolue depuis longtemps pour les couches les plus défavorisées. Alors, au lieu de se draper de slogans en faveur d’une approche plus sociale en matière de logement, ne serait-il pas grand temps d’inscrire des chiffres concrets (et précis !) sur le nombre de logements à réaliser dans les six ans à venir dans les programmes électoraux ?

(1) Voir aussi les présentations de la table ronde de l’OAI « Du logement abordable en milieu urbain » du 8 mai 2017 sous 
www.oai.lu

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