Droits fondamentaux : La peur paie

Le risque d’attentats a conduit à une réaction disproportionnée de la part des gouvernements européens, a constaté Amnesty International cette semaine. Au-delà des droits de l’homme bafoués, c’est toute une industrie de la peur qui se gave.

(Photo: wikimedia_commons)

Vous rappelez-vous le temps d’après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ? Pas la traque aux terroristes, mais la multiplication des mises en examen pour « apologie du terrorisme » ? Souvent appliquées à des mineurs – qui ne savaient pas forcément le poids de leurs paroles et qui voulaient probablement plutôt tester leurs limites, voire provoquer -, les condamnations plutôt sévères (385 en 2015 seulement) ne concernent pourtant pas des jeunes en partance pour la Syrie ou préparant un attentat. Non, il suffit de se comporter de façon suspecte dans l’espace public comme sur le net pour se faire repérer et accuser. Et c’est surtout dans ce deuxième cas de figure, sur l’internet, qu’entre en jeu une deuxième dynamique qui se cache derrière celle opposant un gouvernement paranoïaque à ses citoyens. Car un État ne peut pas tout contrôler lui-même, quelle que soit la taille de son appareil sécuritaire et répressif. C’est là qu’entrent en jeu les contractuels du secteur privé. Une industrie en pleine expansion depuis le 11 septembre 2001 – comme l’indiquait déjà un article de Denis Duclos dans le « Monde diplomatique » d’août 2005.

Il y a dix ans déjà, ces « industries de la peur permanente » avaient compris une vérité essentielle : la peur est une des rares ressources intarissables de la planète. Et depuis, les choses ne se sont pas arrangées, tout au contraire. Pour garantir une satisfaction au désir de contrôle accru des instances étatiques de tous bords, de nouvelles technologies – les puces dans nos passeports, les portails dans les aéroports, la vidéosurveillance par exemple – prennent de plus en plus d’ampleur dans notre quotidien comme dans les budgets de nos États.

Ainsi, selon Amnesty International, les législations européennes présenteraient un certain nombre de tares mettant en évidence la dégradation des droits de l’homme sacrifiés sur l’autel du tout-sécuritaire. D’abord, la précipitation avec laquelle les gouvernements se sont jetés dans l’écriture et l’application de ces lois ne correspondrait pas au devoir sérieux qu’ils ont de garantir les droits de leurs citoyens. Et puis les législations enfreignent souvent les principes de proportionnalité – comme dans le cas précité de « l’apologie du terrorisme », mais il y a d’autres cas similaires partout en Europe -, de légalité (notamment par rapport aux textes européens) et de non-discrimination, puisque ce sont souvent les ressortissants musulmans ou issus du monde arabe qui sont visés par de telles mesures (comme l’interdiction de la burqa). Plus grave encore, et c’est ce qui fait parler Amnesty International de lois « orwelliennes », les mesures pénales sont de plus en plus souvent remplacées par des mesures de contrôle.

La peur est une des rares ressources intarissables de la planète.

C’est-à-dire que l’État de droit n’est plus garanti. C’est la justice préventive, qui relève du domaine de la science-fiction quant à son efficacité, mais qui a des conséquences néfastes sur le vivre-ensemble de nos sociétés.

La dynamique est en tout cas enclenchée : les gouvernements se laissent tenter, au nom de la sécurité, par des mesures de plus en plus draconiennes, tandis qu’en même temps l’industrie leur met en place des solutions techniques de plus en plus raffinées pour renforcer la surveillance. Ce qui est certes bien pour l’économie, mais le prix à payer pour les droits des citoyens est en train de devenir incommensurable.

Le problème dans tout cela : la société zéro risque n’existe tout simplement pas. Il n’y a pas de sécurité totale, même avec une surveillance totale. L’histoire aurait dû nous l’apprendre. Malheureusement, il semble qu’il faudra répéter cette leçon encore une fois.


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