Économie circulaire : Valeur et valeurs

William McDonough, pionnier de l’économie circulaire, ne s’est pas penché en détail sur le cas du Luxembourg. Pourtant, son intervention a donné du grain à moudre aux alternatifs comme au mainstream.

« La ‘circular economy’, c’est dans nos gènes », a affirmé Carlo Thill, dirigeant de BGL-BNP-Paribas. Mais pas le « small is beautiful ». (Photo : RK)

« Éliminer les déchets ? Non, il faut éliminer le concept de déchet ! » William McDonough arrive à exprimer en quelques mots des idées essentielles. Pour lui, les déchets doivent être « de la nourriture ». Et donc une marchandise, pensent les industriels et les banquiers qui l’ont invité à parler lors de la première journée du Luxembourg Circular Economy Hotspot. Mais McDonough n’est pas considéré comme une sorte de prophète vert pour rien. « Il faudra alors que les déchets soient inoffensifs et bons pour la santé », enchaîne-t-il.

Malgré la chaleur étouffante de ce mardi soir, la conférence avait attiré plusieurs centaines d’invités dans l’auditoire de BGL-BNP-Paribas au Kirchberg. La plupart sans doute à la recherche de ce que Carlo Thill, dirigeant de la banque, a appelé dans son introduction « un nouveau modèle économique ». « Il y a quelque chose qui ne va pas », a aussi noté Francine Closener, alternant dans son discours sans difficulté l’anglais, le luxembourgeois et le français. La secrétaire d’État à l’Économie semblait surtout voir dans l’économie circulaire une sorte de pierre philosophale permettant d’arriver à la « croissance qualitative » promue par le gouvernement. L’ex-journaliste n’a pas non plus loupé l’occasion de décocher un coup à la bête noire du mainstream politique européen : « Gaspiller toutes ces matières premières, c’est un problème… sauf peut-être pour Donald Trump. »

Magicien ou illusionniste ?

Deux blagues sur son président ont également servi à William McDonough pour afficher ses talents d’animateur et épater le public. Mais il s’est aussi montré poète, en évoquant la manière dont il conçoit son action : « un adulte sous supervision des enfants », ces enfants auxquels il veut laisser un monde durable. Enfin, McDonough est un magicien des concepts. Il a énoncé des principes, les a décomposés et réassemblés, puis a présenté des triangles subdivisés en petits triangles qui doivent favoriser une approche systémique intégrant les aspects économiques, sociaux et environnementaux. Il a même assuré que ses principes entraînaient les 17 « sustainable development goals » de l’ONU.

Alors, magicien ou illusionniste ? Quand McDonough a félicité les Européens pour le principe de précaution, il n’a sans doute pas réjoui ses hôtes, mais a montré la substance derrière l’apparence. De même, l’idée de remplacer l’acquisition de biens par des services exemplifie parfaitement les transformations vertes qui offrent des opportunités d’affaires. Mais McDonough est-il conscient que ce modèle n’est pas si innovateur ? Le leasing de voitures ou de photocopieuses a une longue histoire plutôt grise que verte. Acheter des services au lieu d’acquérir des biens s’imposera conjointement avec la sharing economy, l’économie du partage. Les usagers deviendront « prosumers », ce qui augmentera l’efficacité des services, mais obligera les entreprises à partager avec eux le pouvoir et les gains de productivité.

Mais en dessinant l’avenir, le penseur américain semble ménager le capitalisme du passé. Oui, le profit est important pour que les choses avancent, assène-t-il, et dans sa hiérarchie top-down, il part des valeurs morales (« values ») pour aboutir à la valeur commerciale (« value »). Il est vrai que McDonough n’entend pas tout chiffrer en argent. Surtout, il entend faire progresser l’économie circulaire à partir des valeurs, non de la valeur et du profit.

Touche pas à ma stock-option !

(Portland Pride Parade, photo : Wikimedia / Another Believer / CC BY-SA 3.0)

Et pourtant il semble avoir suscité l’enthousiasme de Nicolas Buck, président de la Fédération des industriels luxembourgeois. Celui-ci a commandé 25 exemplaires du livre « Crade to cradle » (« Du berceau au berceau ») pour les distribuer aux membres de son CA. Parlant après McDonough, Buck a avoué envier la manière dont « les Américains peuvent utiliser ‘faire le bien’ et ‘faire du profit’ dans une même phrase ». Décidément, la popularité de la « révolution » de l’économie circulaire au sein des élites économiques et politiques est liée à la promesse qu’on pourra continuer à faire des affaires. Closener ne s’y était pas trompée en signalant que jusque-là, les idées vertes n’avaient malheureusement pas réputation d’être « business-friendly ».

Buck a ensuite tenu à présenter sa propre vision des défis de l’avenir. Par ordre croissant, il a cité le besoin de talents, la digitalisation de l’économie et l’accroissement de la population mondiale. Puis, avant de pouvoir profiter de l’apéro et du dîner dans la belle cour intérieure de la banque, il y a encore eu quelques questions du public à McDonough. Celui-ci a profité d’une question sur le défi démographique pour rétorquer que les populations se stabilisaient dès qu’on améliorait les conditions de vie des femmes – une manière de ramener la discussion vers les véritables défis pour l’humanité. Comme les déchets en plastique, évoqués par une autre question. « Aux États-Unis, nous collectons ces déchets, mais il n’y a aucun marché pour les réutiliser. C’est un véritable bordel », a-t-il constaté. Pendant son exposé, le sexagénaire avait aussi montré une photo de sa toute jeune nièce jouant en bord de mer au milieu des détritus. Une image qui restera en tête plus longtemps que tous les schémas et mindmaps circulaires vus ce soir-là.

 

Liens:

Introduction àl’économie circulaire dans le woxx 1428
Tous les articles sur la Sharing economy dans le woxx
Article sur l‘Atlas 2038, sur les défis de l’humanité, notamment la démographie (woxx 1416)
Artikel über Plastikmüll im Meer (woxx 1428)


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