Éducation et inégalités sociales : Par où commencer ?

Le ministère de l’Éducation veut combattre les inégalités sociales dès leurs prémices en renforçant le rôle des parents d’élèves. Un bon début, mais pas suffisant.

Certainement plus idyllique qu’en réalité : un entretien entre une enseignante, 
une mère et une élève. (Photo : Portland Public Schools / Flickr)

Certainement plus idyllique qu’en réalité : un entretien entre une enseignante, 
une mère et une élève. (Photo : Portland Public Schools / Flickr)

Renforcer la collaboration entre école et parents pour mieux faire réussir les enfants : tel était le mot d’ordre d’une conférence de presse du ministre de l’Education Claude Meisch cette semaine. Instaurer une « véritable culture de collaboration entre éducateurs, enseignants et parents », voilà ce qu’il faut, pour Meisch, afin de réduire les inégalités dès le début.

« Il faut briser le cercle vicieux de transmission intergénérationnelle, qui fait que les résultats scolaires de l’élève sont fortement influencés par le statut socio-économique, le statut migratoire et la langue des parents », a-t-il notamment déclaré. Un sujet qui semble le préoccuper depuis la rentrée scolaire, lors de laquelle il avait expliqué que « l’ascenseur social » ne marchait pas au Luxembourg. « Notre système scolaire reproduit les inégalités et je ne veux pas l’accepter », avait-il commenté à l’époque. « L’idée derrière l’école publique est de garantir l’égalité des chances. »

Des inégalités, il y en a, et l’école publique luxembourgeoise les renforce. C’est ce que révèle, entre autres, le « Bildungsbericht 2015 », publié en avril dernier. Ainsi, à titre d’exemple, la publication relève les différences entre élèves issus de milieux socialement et économiquement défavorisés et élèves issus de milieux favorisés quant à l’accès à l’enseignement secondaire : tandis que les seconds ont 46 pour cent de chances d’être orienté vers l’enseignement secondaire (classique), les premiers n’en ont que 14 pour cent.

« L’idée derrière l’école publique est de garantir l’égalité des chances. »

Même constat pour les enfants issus de familles immigrées : 
parmi eux, seuls 15 pour cent atteignent l’enseignement secondaire, contre presque 40 pour cent pour les Luxembourgeois. Mais, pour les auteurs du rapport, beaucoup de différences liées à l’immigration disparaissent ou sont atténuées lorsqu’on prend en compte les aspects socio-économiques.

L’idée de Claude Meisch pour remédier à cette situation est donc d’impliquer plus fortement les parents dans la formation scolaire de leurs enfants, voire de soutenir les parents ayant le plus de difficultés à accompagner leurs enfants, que ce soit pour des raisons linguistiques ou sociales.

Le mot magique ? « Family learning » ! « Impliquant enfants, parents, éducateurs et enseignants, il a pour but de créer un environnement éducatif propice à l’apprentissage », et ce dès le plus jeune âge, précise le ministère de l’Education nationale. « Pour soutenir les familles, des cycles de formation leur seront offerts au niveau local et en collaboration avec les crèches, écoles et lycées. »

Des formations portant, entre autres, sur la promotion de la « littératie » – « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités », selon l’OCDE – ou de la « numératie » – les concepts et capacités de base liés aux nombres. Mais aussi sur le fonctionnement de l’école ou l’encadrement des enfants scolarisés.

Les maisons relais qui, à partir de 2017, devront offrir un accueil bilingue, seront tenues d’associer les parents à leurs activités et de les encourager à ne pas seulement amener et venir chercher leurs enfants, mais à participer à la vie de la structure d’accueil.

Tandis qu’on demande donc plus d’engagement du côté des parents, ils verront aussi leurs droits renforcés : dans le fondamental, leurs droits relatifs à l’orientation vers l’enseignement secondaire seront consolidés. Pour ce qui est du secondaire, une base légale sera créée pour les comités de parents. Une représentation nationale des parents d’élèves serait envisagée.

Pour Patrick Arendt du « Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft » (SEW), qui précise que son syndicat n’a pas encore formulé de position précise sur la question, l’implication des parents dans l’école devrait être « une évidence ». « Je ne sais pas si offrir des cours pour parents est la solution », dit-il. « Ce qui est vraiment important, c’est que les parents s’intéressent à la vie scolaire. »

À l’entendre, le problème est justement le manque d’intérêt : « La loi sur l’école de 2009 stipule l’élection de représentants des parents pour chaque école fondamentale. En pratique, ces élections montrent comment il ne fallait pas le faire : très peu de gens participent aux élections, et les parents élus n’ont, en fait, aucune représentativité. » Ce qui, selon lui, n’est pas de la faute des parents, mais relève plutôt d’une mauvaise organisation.

« L’ascenseur social ne marche pas. »

Pour Arendt, l’école a le rôle de former plutôt que d’éduquer les enfants. « Ces dernières années, on donne l’impression que l’école peut s’occuper de tout. Ce n’est pas le cas. » Les attentes envers l’école seraient, selon lui, trop grandes. « L’éducation des enfants relève du domaine des parents », confirme-t-il.

Une meilleure implication des parents pourrait-elle servir à réduire les inégalités dès le départ ? « J’ai bien peur que cela ne soit qu’un vœu pieux. Quels seraient les parents qui accepteraient l’offre de formation ? Ce seraient probablement ceux qui, de toute façon, s’intéressent déjà de près à la scolarité de leurs enfants plutôt que ceux qui en auraient peut-être vraiment besoin ! » Ce qui s’expliquerait par autre chose que le manque d’intérêt : « Il y a de plus en plus de gens qui travaillent beaucoup, qui ont des horaires de travail flexibles et qui ne peuvent tout simplement pas se permettre de s’occuper plus de leurs enfants, ni de participer à des cours ou des formations. »

Peu étonnamment, la Fédération des associations de parents d‘élèves (Fapel) se réjouit de la plus forte implication des parents annoncée : « Il s’agit là de choses que nous proposons depuis fort longtemps », explique Jutta Lux-Hennecke, présidente de l’organisation. « Au Luxembourg, cette culture de collaboration entre enseignants et parents manquait jusque-là. »

Elle rejoint Patrick Arendt sur le fait que les mesures annoncées risqueraient de n’atteindre que les parents qui, de toute façon, s’intéressent déjà de près à l’éducation de leurs enfants : « Ce qui est important, c’est la réalisation de ces projets », souligne-t-elle, avant d’ajouter : « L’accompagnement des parents devrait se faire dès le début, à partir de la décision de fonder une famille. Le ministère de la Famille devrait aussi avoir son rôle à jouer. »

Si, pour Jutta Lux-Hennecke, une implication renforcée des parents pourrait certainement atténuer les inégalités, il s’agit aussi de faire les bons choix en matière de droits sociaux : « S’occuper de ses enfants prend du temps. Alors il faut donner le temps nécessaire aux parents, notamment en adaptant le monde du travail à leurs besoins, en rendant plus accessibles le travail à mi-temps par exemple. »

Le souci, c’est que des initiatives telles que celle annoncée par Claude Meisch cette semaine ne vont tout simplement pas assez loin. Bon nombre de facteurs jouent un rôle dans le fait que l’« ascenseur social » que devrait, en théorie, être l’école ne marche pas.

« Ces dernières années, on donne l’impression aux gens que l’école peut s’occuper de tout. Ce n’est pas le cas. »

Pierre Bourdieu, sociologue français, notait déjà dans les années 1960 que des « barrières autres que matérielles », d’ordre culturel notamment, étaient à l’origine d’une forte reproduction des inégalités sociales : ainsi, le « capital culturel » – l’ensemble des ressources culturelles dont dispose un individu – acquis ou non au sein de la famille jouerait un rôle essentiel, tout comme le capital économique et le capital social – « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d’interconnaissance et d’interreconnaissance ».

Des initiatives comme le « family learning » pourraient livrer un début de réponse – à condition que tous les parents d’élèves issus de milieux défavorisés participent à de telles activités. Dans le cas contraire, Patrick Arendt pourrait avoir raison : ce ne seraient que les parents déjà intéressés par la formation scolaire de leur enfant qui participeraient. Et comment forcer les parents qui ne le désirent pas, ou qui n’ont tout simplement pas le temps, à suivre des formations ?

Les obstacles à la participation à des formations sont similaires pour les représentants de parents d’élèves. Comment éviter que seuls les parents issus de milieux favorisés et fortement intéressés par la carrière scolaire de leur enfant s’engagent ?

D’autres facteurs jouent un rôle dans la reproduction des inégalités. Bourdieu et le sociologue Jean-Claude Passeron parlent par exemple du rôle décisif des enseignants : ces derniers travestiraient – souvent de façon inconsciente – des jugements sociaux en jugements scolaires. En plus de cela, les méthodes pédagogiques, de par le poids des consignes et règles implicites, défavoriseraient bien trop souvent ceux qui n’auraient pas acquis les codes sociaux nécessaires à leur compréhension.

Si Meisch a indiqué au début de l’année scolaire que l’idée derrière l’école publique serait de garantir l’égalité des chances, pour d’autres, c’est tout le contraire : pour certains théoriciens de l’éducation de gauche, comme le Brésilien Paulo Freire, l’école sert avant tout à préserver l’ordre social et les rapports sociaux tels qu’ils sont et donc, par conséquent, à reproduire les inégalités. Un enseignant engagé se situerait, selon Freire, toujours dans le champ de tension entre cette réalité et le désir, voire le devoir éthique, de la contrecarrer.

« Au Luxembourg, cette culture de collaboration entre enseignants et parents manquait jusque-là. »

Pour les auteurs du « Bildungsbericht 2015 », le « fort degré de stratification » – la division en différentes unités – du système scolaire luxembourgeois le rend particulièrement vulnérable face aux inégalités sociales. Ils proposent d’envisager un système scolaire « plus intégratif » et moins stratifié, mais soulignent aussi l’importance de l’éducation préscolaire et non formelle dans la compensation des positions de départ inégales.

S’ils ne le disent pas de façon explicite, un « tronc commun » durant plus longtemps qu’actuellement irait dans le sens d’une diminution du degré de stratification et pourrait certainement amoindrir de manière significative certaines des différences. Pour l’instant, le sujet ne semble pas être parmi les priorités du ministère de l’Éducation. Dommage.


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