Élections communales
 : La bataille pour Differdange


Rares sont les communes dans lesquelles l’issue des communales est aussi incertaine qu’à Differdange. Cela tient autant au passé récent mouvementé qui a remodelé le conseil échevinal qu’aux perspectives de croissance qui ne mettent pas tout le monde d’accord.

En apparence, tout est encore calme dans la rue Émile Mark à Differdange… (Photos : Wikicommons)

L’histoire politique de la commune de Differdange ne différait pas trop de ses voisines. Fief tenu par le LSAP depuis des décennies, elle voyait ce dernier régner sans trop se soucier de l’avenir. Jusqu’en 1999 quand, forcé de se chercher un coalitionnaire, celui-ci laissa entrer le loup dans sa bergerie sous la forme du DP. Sur fond de différends sur un audit concernant le Nidderkuerer Spidol, son chef de file, Claude Meisch rompt avec les socialistes pour créer une coalition avec les Verts et le CSV. En 2005, le DP défie un parti socialiste exsangue et usé et remporte quelque 42,54 pour cent des votes et huit sièges au conseil communal, puis conserve son avance en 2011, malgré la perte d’un siège et de plus de dix pour cent des votes. Tout laissait croire que la commune du Sud resterait dans l’escarcelle du DP. Le drame qui s’est produit début janvier 2014 a prouvé que, même au niveau communal, un putsch peut en cacher un autre.

Par le truchement de désistements et de clashs internes, le DP – qui voulait remplacer son ancien bourgmestre Claude Meisch, devenu ministre dans la nouvelle coalition, par John Hoffmann, lequel n’était que septième lors des élections de 2011 – s’est retrouvé exclu du pouvoir. Une nouvelle coalition « Kenya », alliant les Verts, le LSAP et le CSV a dès lors repris les rênes de la commune.

Certes, de telles guéguerres ne sont pas nouvelles dans la politique communale et chaque nouvelle élection locale apporte son lot de tragicomédies. Mais dans le cas de Differdange, on aurait pu croire que les enjeux étaient assez sérieux pour que les concernés s’abstiennent de cette sorte de jeux. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas – vu que les accusations sournoises continuent d’affluer de tous les camps.

Alors qu’a priori, la reprise de cette importante commune du Sud par le DP était partie sous de bons auspices. La ville était frappée par la désindustrialisation du bassin minier, les taux de chômage et de pauvreté étaient (et sont toujours d’ailleurs) élevés par rapport à la moyenne nationale et – de par sa situation géographique – Differdange ne pouvait pas prendre part au superprojet Belval, pour s’assurer un meilleur avenir. Un projet qui se divise entre les communes voisines de Sanem et d’Esch-sur-Alzette.

Il fallait donc d’urgence une vision pour réinventer la « ville morte », comme certains politiciens l’appelaient avant la prise en main libérale. Et il est vrai que les coalitions suivantes – aussi belligérantes entre elles qu’elles aient été – ont transformé la ville en profondeur. Reste à savoir si cette transition à vitesse grand V a vraiment profité à tous les Differdangeois.

Ce qui est indéniable, c’est que la ville a beaucoup changé ces dernières années. Et le lancement du hub créatif 1535° en est peut-être le symbole le plus emblématique. Censé attirer de nouveaux talents dans la commune, il abrite désormais une trentaine d’ateliers et bureaux où travaillent côte à côte des artistes et de jeunes entrepreneurs de branches très différentes. Une sorte de macronisme light avec un « arty touch », si l’on veut.

Néanmoins, le succès de 1535° est indéniable et contribue au changement de population envisagé par la politique communale. Une politique qui a peu changé avec la reprise en main des responsabilités par le maire Déi Gréng Roberto Traversini (que nous avons d’ailleurs contacté en vue de cet article, une demande restée sans réponse). Selon le conseiller communal Déi Lénk Gary Diderich, qui a vécu la transition Meisch-Traversini, les différences se situeraient à des niveaux plutôt personnels : « Traversini n’a pas la même présence rhétorique que Meisch. Cela veut dire qu’il vous coupe moins la parole, mais aussi qu’il n’est pas un si brillant orateur », constate-t-il. Et d’ajouter que selon ses informations, le contact avec le personnel de la mairie ne se passerait pas de la meilleure façon non plus.

Ce qui n’est guère étonnant, vu que la politisation des employés communaux est un secret de polichinelle. Mais ce qui inquiète le plus le conseiller de la gauche, c’est l’absence de prise de conscience des décideurs politiques concernant le manque de logements abordables, surtout dans le centre de la ville presque entièrement retapé. « Même si je dois admettre que maintenant, il y a beaucoup plus de vie dans le centre-ville que pendant mon enfance, cela ne plaît pas forcément à tout le monde. Pourtant, je ne parlerais pas de cette époque comme celle d’une ‘ville morte’. Il y avait de la vie, mais elle s’exprimait autrement. Par exemple par le biais du secteur associatif, ce qui est moins le cas de nos jours. Je ne nie pas que la politique a réussi au cours de la dernière décennie à rendre Differdange plus attractive – et je ne m’oppose pas à cette évolution, tout au contraire. Mais si on attire des gens nouveaux, il faut aussi prévoir que les loyers vont augmenter et que cela provoquera des changements dramatiques pour certains foyers. Le centre-ville se vide des personnes qui ne peuvent plus se permettre d’y vivre », se plaint-il. Pour Diderich, il faudrait du moins prévoir une taxe efficace sur les logements vides et investir massivement dans des logements abordables – que ce soit pour l’achat ou pour la location.

Les PPP posent problème

Mais ce n’est pas la seule tare qu’il voit dans les développements de sa ville. Ainsi, les « partenariats public-privé » – ou PPP – qui ont été signés (avec deux compagnies différentes) pour construire le nouveau stade, un parking et refaire la piscine ouverte, désormais « Aquasud », sont, et pas uniquement aux yeux de Diderich, problématiques : « Nous avons une équipe de football qui ne se sent plus à la maison dans son propre stade – vu que de fait ce dernier ne lui appartient plus. Quant à l’Aquasud, depuis qu’il est géré par une société privée, qui emploie des intérimaires de préférence, il reste très souvent fermé dès que les prévisions météo ne s’annoncent pas totalement clémentes. Ce qui frustre beaucoup de gens. » Cela dit, Diderich ne croit pas qu’il soit possible de recommunaliser la piscine ouverte. Plus intéressant encore, le conseiller Déi Lénk montre de la compréhension pour le principe du PPP : « Je comprends qu’une telle approche puisse a priori délester les budgets de la commune et lui permettre d’avancer dans d’autres dossiers », admet-il. « Et il faut aussi voir que les prévisions budgétaires et les temps de construction ont été respectés – ce qui n’arrive que rarement quand le secteur public ou communal se lance dans la construction d’infrastructures d’une telle envergure. »

À part ça, Diderich critique aussi la culture de participation affichée par les édiles communaux, qui serait réduite à un effet de façade. Ce qui n’empêche pas que ce problème vaut pour presque toutes les campagnes participatives, y compris au niveau national – on invite les gens à exprimer leurs opinions, on fait quelques selfies lors des réunions pour les réseaux sociaux et puis on passe outre.

Tout cela fait que la situation à Differdange reste complexe : un maire qui n’est au pouvoir que depuis deux ans et dont le style ne semble pas séduire tout le monde, avec une coalition qui pourrait en plus à chaque moment se retourner contre lui au gré des circonstances politiques. Et puis dans l’opposition, on ne trouve pas que Déi Lénk et le KPL, mais aussi le DP assoiffé de vengeance. Pas sûr que l’idée de celui-ci de mettre le frère de Claude Meisch – François, qui a dirigé le service culturel de la ville pendant un certain temps – soit aussi la meilleure idée.

Les jeux sont loin d’être faits et pourtant des dossiers brûlants attendent. Comme celui des éoliennes qui devraient être installées et qui divisent les protecteurs de la nature, les voisins (elles seraient en effet les plus proches d’une ville au grand-duché) et certains responsables communaux. Comme quoi, la personne qui remportera la bataille pourra directement endosser un costume de Don Quichotte et se battre contre les prochains moulins à vent…


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