État de l’Union : Juncker trop habile

Sécurité et identité, croissance par la libéralisation, voilà les politiques supposées sauver l’Europe. En délaissant ainsi le progrès social, elles signent son arrêt de mort.

(Photo : www.kremlin.ru)

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Jean-Claude Juncker est un homme intègre, mais que le courage a lâché à mi-chemin. C’est l’impression laissée par son discours sur l’état de l’Union de mercredi dernier. Dès l’introduction, cela a été apparent : « L’Union est dans une crise existentielle », aurait-il pu asséner. Le président de la Commission européenne a préféré constater prudemment qu’elle « traverse, du moins en partie, une crise existentielle ». Sur la forme, il a péché par excès de circonspection.

Sur le contenu, même problème. Oui, il y a eu bien plus d’annonces positives que le seul wifi sur les places publiques. Ainsi, Juncker a annoncé le renforcement du plan d’investissement européen, une idée dérivée du keynésianisme, même si elle est dévoyée du fait du partenariat avec les capitaux privés. Le progressiste qu’il a toujours été a promis de combattre le dumping social et de protéger les réfugiés mineurs non accompagnés. Et face à l’afflux de réfugiés, il a insisté sur les efforts pour la paix en Syrie et le développement en Afrique.

La gauche devrait choisir la solidarité aux dépens du marché, la confrontation plutôt que la grande coalition.

Le problème, c’est que l’essentiel du discours relevait de positionnements politiques contraires au progressisme : la priorité à la sécurité et à l’identité d’une part, la croissance par la libéralisation de l’autre. Juncker a-t-il jamais songé à relancer le projet européen en le fondant sur le progrès social, voire sur un « Green New Deal » ? Apparemment non.

En effet, faire de cela une priorité impliquerait de refuser les tentations du sécuritaire et des marchés. Le président de la Commission a au contraire fait miroiter une plus grande efficacité contre le terrorisme, arguant que la préservation d’une valeur comme la tolérance « ne peut se faire au détriment de notre sécurité ». Et, plutôt que de couper le cordon avec l’orthodoxie libérale qui a amené l’Europe au bord du gouffre, il a réitéré son soutien aux deux accords de libre-échange transatlantiques. Le choix d’une orientation sécuritaire et libérale, plutôt que sociale, peut passer pour une tactique habile maximisant les chances de rassembler les États membres lors du sommet européen du 16 septembre. Hélas, stratégiquement parlant, cela risque d’être désastreux.

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(Photo : Wikimedia_Ewkaa_CC BY-SA 3.0)

Car que peuvent faire à présent les forces de gauche européennes ? Pour espérer imposer une relance de l’Europe sociale, il leur faudrait le soutien des chrétiens-sociaux, dont Juncker constitue la figure de proue. Or ils ne sont même pas certains de rallier leur propre camp. En effet, à défaut de politiques structurelles conséquentes, le « dumping social » demeure le meilleur atout économique des pays d’Europe de l’Est. La politique des petits pas, tels que la réforme de la directive sur les travailleurs détachés, est condamnée à l’échec tant qu’on ne change pas l’orientation générale des politiques. La gauche devra se résoudre à choisir la solidarité aux dépens du marché, la confrontation avec la droite plutôt que la grande coalition au Parlement européen. Car à défaut d’avancées sociales décisives, l’idée de l’Union comme un possible projet progressiste perdra toute crédibilité.

Juncker et les proeuropéens de droite peuvent-ils se passer de ce soutien ? En apparence, promouvoir sécurité et identité leur assurera dans l’immédiat le soutien d’une majorité de dirigeants et, sans doute, de citoyens. Mais à moyen terme, ce discours fait le lit des droites nationalistes, qui finiront par se retourner contre l’Europe. Et ce jour-là, ceux qui resteront, les apôtres de la paix et du marché, les héritiers de Juncker et Bolkenstein, seront trop peu pour la sauver.


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