Un hasard peut-être, une coïncidence sans doute pas. La plupart des artistes de l’exposition « Sensibility as Media », actuellement au Konschthaus beim Engel, sont des femmes, et ce n’est même pas voulu. Mais le thème choisi et les affinités de la curatrice et artiste Suzan Noesen ont imposé cette collaboration très féminine.
La sensibilité n’est-elle qu’une partie de nous ou peut-on la voir comme un moyen de transmission et de communication ? C’est cette question que se sont posée les artistes réunis dans le projet « Sensibility as Media ».
« Avec deux amies, nous voulions faire une exposition commune », note la curatrice Suzan Noesen. « Une longue réflexion collective nous a permis de trouver des axes qui se rejoignent dans nos œuvres. » Ines Brands, Lydia Wahrig et Suzan Noesen ont lancé le projet en juillet dernier, avant de l’étendre à d’autres créateurs. « La sensibilité n’est pas un concept très précis. Pour moi, il est politique, pour d’autres beaucoup moins », continue Suzan Noesen. Cela se voit, dans une exposition hétéroclite… et sensible.
Elle débute par un enregistrement des discussions à bâtons rompus des artistes autour du concept de sensibilité. Près de six minutes qui partent dans tous les sens pour accoucher du titre finalement retenu. Ou quand la réflexion sur l’art devient art.
Suivent deux étranges paires de mains qui s’agitent sur des écrans, sur fond noir. Elles nous renvoient l’image de nos gestes sur les écrans tactiles de notre quotidien. La seule part de masculin de l’exposition, puisque cette installation, « Utterance », a été réalisée par Amel Ali-Bey et Alexander Stephan.
Derrière les écrans, les peintures de Suzan Noesen interrogent des gestes simples. Comme cette « Dike Signing » dans laquelle elle tente de saisir l’émotion qui peut naître d’actes politiques. Les politiques, animaux à sang froid ou emprunts d’émotion ? Au visiteur de juger. À côté, « The Authors » est une série d’autoportraits fictifs, à l’impression de déjà-vu troublante.
Lydia Wahrig choisit, elle, la distorsion de couvertures de romans à l’eau de rose. Ces couples exemplaires se fissurent sous le regard de l’artiste allemande. Quand la sensibilité devient malsaine. Toujours prompte à tordre le réel, elle s’inspire, dans « Lavendel », d’un emballage d’essence de bain pour en tirer une peinture abstraite.
La Hollandaise Machteld Rullens interroge de son côté les sens et comment ils servent à acquérir de la connaissance, tandis que Nina Naußed choisit un matériau ô combien fragile, la porcelaine, pour l’exposer sans protection au visiteur. Entre récup et création, elle mélange pour mieux perdre les regards.
La récupération est aussi au cœur de l’œuvre de Tina Mamczur, qui aime à utiliser toutes les matières pour composer ses installations. Dans « Transforming Sensibility », elle cherche à atteindre le cœur des choses pour mieux égratigner leur surface.
Fanny Oehmichen travaille les qualités tactiles des matières. On découvre ainsi un étrange doigt, un peu monstrueux, fait de céramique, silicone et acrylique. Elle va même jusqu’à exposer les moules, qui deviennent ainsi œuvres après n’avoir été qu’objets de création.
Dernier travail, celui d’Ines Brands, qui répond au théoricien de la critique Theodor Adorno. Dans « Negative Dialectic », elle tente de combiner la beauté des livres et celle de la peinture, une mise en abîme qui questionne la sensibilité de chacun devant une œuvre d’art. Et c’est sans doute, au fond, le fil conducteur de cette exposition.