Fabriques d’église : Enfin un peu de Kulturkampf !

Le conflit entre le Syfel (Syndicat des fabriques d’église), le ministère de l’Intérieur et l’Archevêché risque de se terminer dans un cul-de-sac, pour le bonheur des uns et au grand dam des autres.

Merci pour le cadeau, Napoléon Bonaparte ! (Photo : Wikimedia)

Merci pour le cadeau, Napoléon Bonaparte ! (Photos : Wikimedia)

Quand, en 1809, les fabriques d’église sont créées par décret sous le règne de Napoléon, ces structures font partie d’un plan d’apaisement et d’intégration à l’Empire alors en pleine consolidation. À l’époque, les pillages des biens ecclésiastiques commis sous l’influence de la Révolution française de 1789 étaient encore de fraîche mémoire, et le pouvoir politique et social de l’Église catholique était toujours prépondérant, surtout dans les provinces éloignées comme le Luxembourg, dans le département des Forêts. Un geste d’apaisement et une stratégie politique visant à sauvegarder l’hégémonie française sont donc à l’origine des fabriques d’église – et non pas une volonté de la société luxembourgeoise. Six ans plus tard, Napoléon est battu. Mais son invention continue à vivre plus de 200 ans plus tard.

Les fabriques d’église sont des structures très peu démocratiques : elles sont composées de « notables » – entendez par là les personnes ayant le droit de vote et sachant lire et écrire – et du bourgmestre, à condition qu’il soit de confession catholique. L’appartenance à ce petit cercle opaque se transmettait souvent de génération en génération. Une sorte de féodalité catholique qui a survécu dans l’ombre jusqu’au 21e siècle.

Pas étonnant donc que le gouvernement actuel veuille en finir une fois pour toutes avec les fabriques d’église, d’autant plus que les conservateurs ont été les premiers à mettre le feu aux poudres. Dans le rapport commandé en 2012 à un comité d’experts sur le futur des relations entre État et Église(s) par l’alors ministre des Cultes François Biltgen du CSV, le sort des fabriques d’église est déjà réglé. Ainsi, en octobre 2012, un an avant que le gouvernement conservateur et socialiste ne tombe, les experts constataient « une application confuse du décret de 1809 et une inégalité de traitement entre le culte catholique et les autres cultes conventionnés ». Pour y remédier, ils proposaient deux solutions : réformer le décret afin de le clarifier et étendre le texte à « tous les cultes », ou la suppression de ces structures.

Chacun pour sa poire.

Pour Marc Linden, le président du Syfel, la première solution reste toujours envisageable : « Et pourquoi pas l’étendre aux autres cultes conventionnés ? Ce serait une solution adéquate pour nos fabriques qui ont grandi historiquement, et un moyen d’intégration des autres cultes. » Il n’a pas peur qu’un tel financement, par exemple d’une mosquée, ou le logement des imams ne suscite une fronde populaire, et pense au contraire que le plan du ministre de l’Intérieur Dan Kersch est un leurre. « Certes, le fait de recenser les propriétés et de les partager entre l’Église et les communes est une bonne chose. Mais le délai est illusoire. Il nous faudra bien plus de temps – plus ou moins cinq ans – pour clarifier les choses », explique Linden.

Seulement, la probabilité que les conservateurs aient repris la barre gouvernementale dans cinq ans est très haute. Et ces derniers sont déjà revenus sur leurs positions d’avant le rapport commandé par leur ex-ministre. Contactée par le woxx pour expliquer la position de son parti sur la polémique qui entoure les fabriques d’église, la députée CSV Diane Adehm n’a pas daigné nous répondre.

Pour Linden les choses sont pourtant claires : si la loi passe le 1er janvier 2017, les fabriques d’église sont prêtes à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Reste à savoir au nom de qui elles y iront, vu qu’en pratique, une fois la loi adoptée, elles n’existeront plus.

1389stoosLe Syfel, en représentant le noyau plus radical de la base catholique, qui ne veut rien entendre des réformes lancées par le gouvernement et surtout des nouvelles conventions signées avec l’Archevêché, met aussi dans l’embarras ce dernier. Selon le vicaire général Leo Wagener, « le Syfel est sur un autre discours que l’Église luxembourgeoise. Il représente l’opposition virulente à la création du fonds de gestion des édifices religieux et à l’abrogation des fabriques d’église ». Pour lui, l’Archevêché se doit de rester cohérent. « Il s’agit de transposer un accord politique auquel nous avons donné notre signature – rien de plus, rien de moins. » Pourtant, le vicaire général voit aussi deux bémols : l’interdiction pour les communes de subventionner les bâtiments qui vont appartenir au fonds et l’interdiction pour ce dernier d’accepter de l’argent des communes. Pour Wagener, ces dispositions seraient contraires à l’autonomie communale. Un argument repris aussi par le Syfel – qui comme l’Église espère que le Conseil d’État va retoquer la loi au moins sur ce point.

Expropriation de l’État ?

Mais quand on examine les textes législatifs de ces dernières décennies, on doit constater que l’autonomie communale n’est pas sacro-sainte et intouchable. Tout au contraire : qu’il s’agisse des plans d’aménagement, des taxes communales ou des enseignants, beaucoup de compétences sont passées des communes à l’administration étatique, sans que la haute autorité du Conseil d’État ne l’empêche. Alors pourquoi en serait-il autrement sur cette question ?

C’est en tout cas une possibilité qui expliquerait l’optimisme du ministre Dan Kersch sur cette question. « Je ne vois pas pourquoi ma loi diminuerait l’autonomie communale », explique-t-il. « Ces 200 dernières années, l’autonomie communale en matière de financement des églises et des curés n’existait pas. Tout ce que je veux, c’est la clarification de la situation actuelle. Les communes auront le choix et l’autonomie de restaurer et d’entretenir les églises qu’elles veulent garder. »

La question est de savoir comment va se faire la répartition entre les communes et l’Église, et quels enjeux se cachent derrière ces choix, qui vont influencer sûrement et pour longtemps le vivre-ensemble entre autorités et communautés religieuses au grand-duché. Quels sont les intérêts de l’Église catholique ? Pour Leo Wagener, il est primordial que la couverture pastorale soit maintenue partout dans le pays. Le vicaire général, qui d’ailleurs ne croit pas non plus que la loi entrera en vigueur dès janvier 2017, veut empêcher « les communes de désacraliser toutes les églises leur appartenant. Si l’archevêque s’y oppose, le fonds de gestion des édifices religieux doit racheter le bâtiment à la commune, c’est tout ».

1389regards_themaOr il y en a qui l’entendent d’une autre oreille. Par exemple le député Déi Lénk Marc Baum, pour qui le partage entre les communes et l’Église risque d’engendrer une expropriation massive de terrains et de bâtiments appartenant à l’État. « En fait, si on suit la logique de la troisième annexe du projet de loi, on se rend compte que finalement l’Église pourra décider de tout. Elle pourra garder les bâtiments qui l’intéressent sans que les communes ne puissent s’y opposer. Ce qui revient de facto à une expropriation par la loi. »

Certes, ni le ministre, ni le vicaire général ne partagent cette analyse du texte. Mais probablement pour des raisons différentes. Alors que la stratégie ministérielle semble être de vouloir laisser au fonds un maximum de bâtiments, dans la perspective d’alléger les budgets des communes, l’Église, elle, veut garder le plus d’influence possible sur ce qu’elle considère lui appartenant.

Ainsi, le conflit entre les trois instances – le Syfel, l’Archevêché et le ministère – montre des intérêts divergents qui expliquent aussi le ton polémique et la confusion qui dominent dans cet épineux dossier. Pour le Syfel, il en va de son existence même. Pour l’Archevêché, il s’agit d’un côté d’honorer les accords passés avec le gouvernement, tout en gardant de l’autre le maximum de biens dans son giron et en essayant de calmer le conflit avec les fabriques d’église. Et pour le gouvernement, c’est tout simplement la dernière chance de vraiment faire bouger les lignes dans la « séparation entre Église et État » – histoire de faire au moins une réforme claire et nette dans ce domaine.


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