Frédérique Buck
 : Tac au tac

« Grand H », documentaire sur la question de l’accueil des réfugié-e-s, brise avec les conventions du genre : au lieu d’images spectaculaires, le choix de la sobriété permet de dédramatiser un discours souvent trop émotionnel de tous côtés.

Jean Asselborn, l’un des rares ministres de l’Immigration qui cherchent le dialogue avec la société civile. (Photos : grandh.net)

Encore un documentaire sur les réfugié-e-s ! Comme si depuis 2015, cette thématique n’avait pas été omniprésente sur nos télés, radios et réseaux sociaux, comme si elle n’avait pas été le centre des débats politiques, de comptoir ou de fin de repas familiaux arrosés. Pourtant, « Grand H » est différent. Ici, pas de misérabilisme avec des images chocs des camps d’accueil en Grèce. On vous épargne aussi les témoignages sur les drames humains de personnes confrontées à la rétention ou la reconduction dans leurs pays d’origine, ou les discours moches d’identitaires ou d’extrémistes de droite qui polluent la sphère politique.

Au contraire, le choix de la réalisatrice Frédérique Buck est celui de la sobriété, une façon de ramener le calme dans une discussion qui se noie trop souvent dans les passions. Sans pour autant – et c’est ça qui est bien – esquiver les nombreux paradoxes au centre de cette problématique ressemblant de plus en plus à un Rubik’s Cube insolvable.

Assis-e-s sur une simple chaise en bois sur un fond bleu ciel, plus d’une douzaine d’intervenant-e-s se relaient, donnant l’impression d’un dialogue. Certes, Frédérique Buck n’a pas interviewé des opposant-e-s strict-e-s à toute immigration, mais les points de vue diffèrent assez pour donner une idée de la vastitude du champ d’action. Il y a par exemple Dolfie Fischbach, une mère de famille qui par le biais de l’ONG Open Home a accueilli deux jeunes mineurs afghans dans sa famille. Son témoignage à fleur de peau met en évidence les phases par lesquelles passe cet accueil : son sentiment de responsabilité envers ces deux jeunes, son attachement qui dépasse les limites du raisonnable mais contre lequel elle ne peut ni ne veut se défendre. Et surtout son agacement face aux autorités, qui souvent traînent des pieds, engendrant une grande souffrance émotionnelle chez les demandeurs-euses d’asile – souffrance qui par rebond atteint aussi celles et ceux qui leur ont ouvert non seulement leurs maisons, mais aussi leurs cœurs.

Plus réservée, car certainement plus endurcie face aux choix difficiles que doivent faire tout-e-s celles et ceux qui se confrontent à cette problématique, la cofondatrice d’Open House et du Hariko Marianne Donven évoque aussi l’État de droit et ses limites. Pourtant, elle admet déjà avoir un peu aidé au-delà de ces frontières légales – quand elles risquaient de produire encore plus de misère de façon gratuite. S’y ajoutent les témoignages de Cassie Adélaïde, aussi coordinatrice chez l’asbl Passerell qui a créé Pink Paper, une cellule d’action juridique en faveur des demandeurs-euses d’asile. Elle témoigne des rencontres émotionnelles et des différences d’appréciation lors des rendez-vous entre les réfugié-e-s et les autorités, qui souvent soupçonnent ces derniers d’avoir un plan pour les convaincre, alors qu’en réalité beaucoup sont simplement désemparé-e-s devant une bureaucratie qu’ils n’arrivent guère à saisir.

Finalement, c’est la présence de Jean – « merde alors ! » – Asselborn qui couronne « Grand H ». Car rares seraient ses collègues européen-n-es qui s’aventureraient dans une telle situation. Alors certes, le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration doit jouer le rôle de celui qui défend les règles nationales et européennes, mais il démontre aussi qu’on peut le faire avec une certaine humanité sans être laxiste, et avec une certaine largesse sans faire tomber toutes les frontières.

En tout, un film et un document exceptionnel à voir de toute urgence – vu qu’il ne sera certainement plus programmé pour longtemps.

Dans une première version nous avions écrit que Cassie Adélaïde était avocate – or ce n’est pas le cas. Nous nous excusons de cette méprise. 

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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