WIM WENDERS / JULIANO RIBEIRO SALGADO: Salé sucré

Réalisateur souvent inspiré et documentariste fréquemment sagace, Wim Wenders nous surprend dans « Le sel de la terre » avec une nouvelle facette de son talent… en se faisant hagiographe.

Une complicité évidente :
Wim Wenders et Sebastião Salgado. (Photo : Cinéart distribution)

Même sans avoir retenu le nom de Sebastião Salgado, difficile de ne pas connaître quelques-uns de ses clichés, tant la puissance évocatrice qu’ils contiennent a contribué à rendre palpables les pires souffrances humaines, des mines d’or du Brésil aux génocides africains. Par hasard, Wenders découvre dans une exposition un tirage qui le bouleverse, en déniche un autre dans les tiroirs du galeriste et les acquiert aussitôt. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard qu’il rencontrera le photographe, formant par la même occasion le projet de lui consacrer un documentaire.

Le réalisateur allemand, dans un noir et blanc aussi stylisé que les clichés de son sujet, propose donc un récit de la vie du Brésilien à travers l’évocation de ses nombreux projets. La chronologie stricte et l’esthétisme de ce récit ne sont brisés que par quelques interludes en couleur, filmés par le propre fils du photographe. Le coeur du film est donc là : dans cette « chambre noire » reconstituée, Salgado, seul à l’écran, commente son oeuvre et y apporte une touche d’humanité supplémentaire. Ce père qui tient un enfant dans les bras au seuil d’un désert, avec un chameau épuisé en arrière-plan, il nous en raconte l’histoire : après un long chemin, alors qu’il avait atteint le camp où une structure médicale était présente, l’homme a dû constater que son enfant était mort. L’émotion est palpable dans la voix du photographe, et gagne le spectateur. Certains clichés, déjà difficiles, deviennent presque insupportables à la lumière des anecdotes de leur auteur.

A une certaine époque, il a été beaucoup reproché à Salgado de scénariser et de retoucher ses photographies pour exacerber l’émotion qui s’en dégage. Mais n’est-il pas légitime d’utiliser avec de bonnes intentions certains procédés, qui certes servent aussi à la publicité aliénante, pour montrer l’horreur de certaines situations humaines ? Wenders se fait d’ailleurs l’ardent défenseur de son ami : les images de Salgado ne comportent aucun voyeurisme, car « [son] travail entre en profonde solidarité avec les gens placés en face de [lui] ».

Même si, dans ce cas, la remarque semble judicieuse, c’est pourtant une absence curieuse de regard critique qui dessert le film. Le réalisateur évite soigneusement les questions qu’on ne peut manquer de se poser : cette belle histoire d’amour avec Lélia connue à 17 ans, n’a-t-elle pas subi des difficultés lorsque le photographe arpentait le globe pendant des mois ? cet autre fils, mongolien, évoqué avec tendresse mais qui disparaît aussitôt du documentaire, qu’est-il devenu ? Lorsque Salgado revient dégoûté de son dernier voyage pour photographier la misère humaine, c’est dans le reboisement de la propriété familiale au Brésil qu’il trouve la force de se lancer dans un nouveau projet, « Genesis », qui veut montrer les splendeurs de notre planète. Mais n’est-ce pas là un renoncement à un travail éminemment politique qui était finalement l’oeuvre de sa vie, même si l’on peut comprendre que, à plus de soixante ans, il ait aussi eu envie de se poser ?

En choisissant d’oublier les aspérités du personnage, Wenders ne compose finalement qu’un métacatalogue de l’oeuvre de Salgado. La conclusion, forcée dans l’esprit du spectateur via des surtitres, relève de l’écologie non punitive compatible avec le libéralisme à la Yann Arthus-Bertrand : la Terre est si belle, et sauvera l’humanité malgré ses vicissitudes. « Santo subito ! », s’exclameront les inconditionnels à l’issue de la projection. Les autres auront (re)découvert une oeuvre attachante qu’il vaut mieux, finalement, voir dans une exposition.

À l’Utopia.


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