DAMIÁN SZIFRÓN: Le rire sauvage

« Relatos salvajes » est un film atypique : collection de courtes scènes qui ont en commun le passage à l’acte d’une personne débordée par la situation, c’est avant tout un festival de fous rires, malgré la violence de certaines scènes.

Derrière les plus belles apparences dort la barbarie…

Que ce soit la ville de Buenos Aires qui enlève pour la troisième fois de suite la voiture d’un ingénieur spécialisé dans le dynamitage, le mari qui avoue à sa femme, pendant la fête de leur mariage, qu’il l’a trompée ou deux chauffards qui s’affrontent dans la pampa argentine : « Relatos salvajes » unit ces personnages sur le thème de la vengeance personnelle et du passage à l’acte, celui de quelqu’un qui ne sait plus faire autrement qu’utiliser la violence pour se sortir d’une situation anxiogène.

Et cela avec des résultats très divers : tandis qu’un poseur de bombes devient un héros populaire, d’autres se transforment en meurtriers de masse ou périssent eux-mêmes des conséquences de leurs actes souvent irréfléchis.

C’est que Damián Szifrón, le metteur en scène, ne donne pas de leçons de morale dans son long métrage – qui est aussi en course pour l’Oscar du meilleur film étranger. Et pourtant, ces petits films dans le grand peignent un portrait au vitriol de la société argentine, meurtrie par les crises financières et à la merci de la corruption politique et administrative. Tout est dans la phrase de la cuisinière du deuxième épisode, appelé « Las ratas », qu’elle prononce juste avant de verser de la mort-aux-rats dans le plat d’un usurier corrompu : « Ce pays est plein de gens qui se plaignent d’être gouvernés par des fils de putes. Mais personne n’a le courage de les affronter. »

Ce que montre Szifrón, c’est que l’ambiance malsaine peut frapper tout le monde, les riches comme les pauvres. L’épisode « La propuesta » où un riche industriel tente de sauver son fils de la prison en offrant une coquette somme à son jardinier pour que ce dernier y aille à sa place le montre, tout comme la dernière partie, « Hasta que la muerte nos separe ». Dans celle-ci, la mariée cocufiée n’hésite pas à promettre l’enfer à la riche famille de son mari et à lui extorquer tous ses fonds secrets, se réservant de faire l’amour avec tous les hommes qui lui plairont un tant soit peu et cela juste sous ses yeux, histoire de l’humilier un peu plus.

Donc, Szifrón réussit à caricaturer la société tout en lui rendant hommage. Car, pendant la projection, vous ne rirez pas jaune pendant des heures ; il y aura aussi des moments très attendrissants où des gens se trouvent ou se retrouvent, où des personnages tombent amoureux et où finalement ils recouvrent leur humanité – juste après avoir dépassé la ligne rouge et fait un tour dans le monde joyeux de la barbarie.

Si on y ajoute une belle brochette d’acteurs – connus certes davantage du public sud-américain, ce qui ne les empêche pas d’être bons, comme Ricardo Darín dans le rôle de « Bombita », absolument époustouflant – et une bonne production assurée par Agustín et Pedro Almodóvar, on a devant soi un des meilleurs films de ce début d’année 2015. Et l’occasion de retrouver un tant soit peu le sourire.

A l’Utopia.


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