DROITS POLITIQUES: État-nation, quand tu nous tiens…

Le droit de vote résidentiel, chimère ou nouvel horizon ? Lors d’un colloque international à la Chambre, les avis étaient divisés.

Au début du 20e siècle, le droit de vote faisait partie des revendications du nouveau parti social-démocrate. En 1919, le député socialiste Joseph Thorn s’exprima pour un suffrage véritablement universel. (Source: LSAP 1902-2002)

Le 8 mai 1919, dans le cadre de la grande réforme constitutionnelle, le droit de vote a été octroyé à toutes les femmes luxembourgeoises ainsi qu’aux hommes luxembourgeois qui, dans le système du cens, avaient été exclus parce qu’ils ne payaient pas assez d’impôts, c’est-à-dire essentiellement les ouvriers. Mais quelques semaines plus tôt, le 27 mars, le député socialiste Joseph Thorn avait déjà signalé à la tribune de la Chambre, que ce prétendu suffrage universel n’en était pas un. « Il est donc certain que ces ouvriers, commerçants italiens, allemands, belges, français, qui se trouvent dans le bassin minier, à Luxembourg-Ville, Luxembourg-Campagne, à Hollerich, constituent une partie de la richesse du pays. Il n’est donc que juste qu’ils soient représentés d’une façon indirecte, alors que le droit de vote ne leur est pas encore accordé. Je suis partisan de la Ligue des nations et j’espère qu’il n’y aura plus de frontières entre la France et l’Angleterre et les autres pays. Il n’y aura plus de Français, Italiens, Belges, Anglais, Allemands, il n’y aura que des humains et tous ceux qui habitent ici le territoire auront le droit de vote. C’est la Ligue des Nations comme je la comprends, où il n’y aura plus d’étrangers, mais il n’y aura partout que des humains. » À quoi ses collègues de la Droite répondirent : « Chimère ! »

C’est avec cette citation que le professeur de droit constitutionnel Luc Heuschling a introduit, vendredi dernier, le colloque sur le droit de vote organisé conjointement par la Chambre et l’Université du Luxembourg. La question de savoir si, aujourd’hui encore, il faut considérer la transposition complète du principe de l’égalité entre citoyen-ne-s comme une chimère ou s’il ne s’agit que de faire preuve d’esprit pionnier en introduisant le droit de vote résidentiel a occupé les débats pendant deux jours. Et à cette question est liée une seconde : allons-nous rester, a demandé Heuschling, dans le modèle de l’État-nation ?

Disons-le d’emblée : les deux interventions sur la France penchaient plutôt vers le côté « chimère » – ce qui ne doit pas trop étonner puisque, plus de 20 ans après Maastricht, la « Grande Nation » n’a pas encore ouvert aux personnes non européennes l’accès au droit de vote au niveau local. Si la politologue Dominique Schnapper a décrit les tendances exprimées par les associations d’étrangers en France à contester la citoyenneté classique, elle a caractérisé l’idée d’une nouvelle « citoyenneté-résidence » comme une conception fonctionnelle de la citoyenneté et comme une « substitution de la communauté historique par une communauté de production ». Le juriste Olivier Beaud, quant à lui, misait sur la naturalisation, même s’il critiquait le fait que le président Sarkozy en a durci les conditions. Beaud avançait même que, dans le cas des immigré-e-s de seconde génération, on pourrait assurer une représentation virtuelle des parents par les enfants. On n’est pas loin du droit de vote familial du 19e siècle… Les autres orateurs et oratrices invité-e-s ont cependant montré que l’esprit pionnier est à l’œuvre dans un certain nombre de pays, certes minoritaires, où un droit de vote élargi existe ou a existé au niveau national.

Avant-gardiste solitaire ?

Les exemples les plus proches de nous ont plutôt concerné le droit de vote dans un cadre fédéral. Christoph Schönberger, professeur de droit européen à Constance, a démontré, prenant pour exemple les Länder allemands et les cantons suisses, l’existence d’une « libre circulation politique ». En Suisse par exemple, dès 1848, l’accès aux droits politiques dans un canton fut ouvert à tous les hommes suisses des autres cantons. Il a souligné les parallélismes de cette logique avec le système de l’Union européenne. D’ores et déjà, la limitation du droit de vote aux « nationaux » des différents pays membres est critiquée comme une entrave au principe de la libre circulation, puisque des citoyens et citoyennes d’un pays perdent souvent leurs droits politiques lorsqu’ils vivent dans un autre pays membre. La libre circulation étant cependant réduite aux ressortissant-e-s de l’UE, la question des ressortissant-e-s de pays tiers reste hors jeu.

D’autres exemples montrent également que, souvent, le point de départ d’un élargissement du vote n’était pas l’égalité, mais le désir de lier un maximum de personnes au monarque – comme l’Empire britannique – ou à la nation – comme les États-Unis du 18e et 19e siècle -, comme l’a montré Claire Cuvelier de l’université de Lille dans son intervention. Le cas de la Nouvelle-Zélande trouve également ses sources dans l’histoire coloniale.

D’ailleurs, Caroline Sawyer de l’université de Wellington a souligné que, si le droit de vote résidentiel neozélandais est souvent présenté comme un exemple de démocratie, la Nouvelle-Zélande se caractérise par sa politique d’immigration très sélective. Ce qui a réjoui un des rares membres du parlement présents – Fernand Kartheiser de l’ADR – car, selon lui, l’État insulaire serait donc à rayer de la liste des pays précurseurs d’une démocratie non basée sur la communauté nationale.

Le seul cas d’un droit de vote élargi qui découle d’une logique plurinationale paraît être celui de Hong Kong, non présenté lors du colloque. Cependant, il comporte d’autres failles qui font que la cité-État asiatique, dominée d’ailleurs par Pékin, ne peut être considérée comme un exemple de démocratie. Le Luxembourg avance-t-il pour autant en tant qu’avant-gardiste solitaire sur une route dangereuse vers l’inconnu ?

Non, car le colloque a bien montré que les systèmes électoraux dans de nombreux États comportent déjà des expériences intéressantes et que leurs modèles constituent des boîtes à outils dans lesquelles on peut puiser. Mais il n’existe pas de solution toute faite dont le Luxembourg pourrait faire, comme de coutume en matière de réformes, un simple copier-coller.

Inversement, on peut constater que, mine de rien, le Luxembourg est déjà entré dans une position avant-gardiste. Bon gré mal gré, il fait partie des pays membres plus avancés en matière de système électoral au niveau communal. Comme on l’a suggéré lors du colloque, le grand-duché est un laboratoire de la cohabitation plurinationale en Europe, phénomène qui se reproduit avec un certain retard dans les autres pays. Pourquoi ne le serait-il pas en ce qui concerne un vivre ensemble plus démocratique ?


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