Immigration capverdienne
 : En proie aux inégalités

Une étude récente explore la question de l’immigration capverdienne au Luxembourg. Et révèle les inégalités éclatantes dont pâtit cette communauté.

Ils et elles fuient la pauvreté pour la plupart… pour se retrouver confronté-e-s à des inégalités sociales importantes au Luxembourg : 
les Capverdien-ne-s. (Photo : © imke.sta/flickr)

Elle comporte entre 8.000 et 9.000 personnes. Elle est le deuxième groupe le plus important de personnes originaires d’un pays hors de l’Union européenne, après celles originaires d’ex-Yougoslavie. Elle est présente au Luxembourg depuis le début des années 1960. On parle de la communauté capverdienne du grand-duché, comprenant aussi bien les personnes d’origine capverdienne que celles en ayant la nationalité.

Issue d’un pays à forte tradition migratoire, dont plus de ressortissants vivent à l’étranger que dans le pays même, la communauté capverdienne du Luxembourg continue de croître année après année. Constituée d’une population très jeune par rapport à d’autres communautés, elle pâtit aussi particulièrement des injustices sociales et des inégalités.

C’est l’un des points clés relevés par une nouvelle étude, présentée par le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (Cefis) il y a deux semaines. « ‚Diaspora capverdienne‘ au Luxembourg. Panorama socio-économique, rôles dans les mouvements migratoires et solidarité avec le pays d’origine » est intitulée l’étude, préfacée par le ministre de l’Immigration Jean Asselborn.

« Cette étude sur l’immigration capverdienne cherche à explorer différentes facettes de l’immigration capverdienne au Luxembourg », écrit Asselborn. « De ce fait, elle intervient à un moment important alors que les défis actuels en matière de migration ne peuvent être relevés que sur base sur des expériences antérieures et des leçons tirées. »

S’il fait les louanges du modèle d’intégration à la luxembourgeoise – qui met l’accent, notamment, sur les liens de coopération avec les pays d’origine comme le Cap-Vert –, Asselborn ne mentionne pas explicitement les difficultés auxquelles font face, même cinquante ans après la première vague d’immigration capverdienne, les ressortissant-e-s de l’archipel africain.

Ainsi, le taux de chômage parmi la population de nationalité capverdienne est d’environ 19 pour cent, presque le triple de la moyenne nationale. Alors qu’ils/elles ne représentent que 0,5 pour cent de la population, ils/elles représentent 1,8 pour cent des chômeurs/chômeuses au Luxembourg.

Un taux de chômage 
trois fois plus haut

Et ça ne s’arrête pas là : en 2015, quasiment la moitié de la population capverdienne du Luxembourg était située dans une tranche de revenus voisine du salaire social minimum. Le salaire horaire moyen d’un travailleur/d’une travailleuse capverdien-ne était de 12 euros, tandis qu’il était de 15 euros pour les Portugais-es et de 24 euros pour les Luxembourgeois-es.

En cause, entre autres : le niveau de qualification particulièrement faible des immigré-e-s capverdien-ne-s. Un quart d’entre eux a un niveau d’études correspondant à l’enseignement primaire. Même pas un pour cent des personnes de nationalité capverdienne au Luxembourg ne possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur. Environ la moitié des ressortissant-e-s capverdien-ne-s sont considéré-e-s comme des ouvriers/ouvrières non qualifié-e-s.

« La première vague migratoire capverdienne au Luxembourg est en grande majorité composée de personnes de catégorie socio-économique inférieure, souvent des agriculteurs », explique un retraité capverdien dans une interview qualitative pour les besoins de l’étude. « Les enfants arrivés avec leurs parents souhaitent s’insérer sur le marché de l’emploi, sans nécessairement poursuivre leurs études. La conséquence est la sous-qualification en immigration. Dans les vagues d’immigration qui ont suivi, on ne voit pas les parents se consacrer à la formation des enfants : [ceux-ci] vont faire l’école fondamentale, puis, tout de suite, ils vont vouloir se présenter sur le marché du travail. »

Si, pour ce représentant de la fédération des associations capverdiennes, les parents sont en cause, l’étude montre pourtant aussi d’autres raisons au faible niveau de qualification des personnes issues de l’immigration capverdienne. Ainsi la répartition des élèves capverdien-ne-s dans l’enseignement montre « une forte concentration dans les lycées techniques, puis à l’intérieur de l’enseignement technique dans les voies de formation et filières les plus courtes et les moins valorisantes ».

Plus de redoublements, 
plus de décrochage

Sur 333 élèves capverdien-ne-s répertoriés actuellement dans l’enseignement post-primaire, seul-e-s dix suivent le secondaire classique. Pour les auteur-e-s, « le fait d’être concentré dans certains régimes ou filières courtes réduit fortement les chances d’accéder à une longue carrière scolaire ou à certains types d’emplois qualifiés ».

Outre le fait d’être concentré-e-s dans des régimes scolaires « inférieurs », les jeunes capverdien-ne-s sont plus en proie au redoublement, ainsi qu’au décrochage scolaire. Dans les entretiens qualitatifs menés par les auteur-e-s, le multilinguisme luxembourgeois est un sujet récurrent : pour beaucoup, le fait que des enfants d’immigré-e-s, et plus spécifiquement les enfants d’immigré-e-s capverdien-ne-s soient particulièrement confronté-e-s à l’échec scolaire est aussi et surtout dû à l’importance accordée aux langues et à leur nombre.

« Effectivement, au Luxembourg, on a un problème avec l’enseignement des langues, et surtout de l’allemand, donc c’est sûr que c’est déjà un constat à l’école primaire. Les enfants, que ce soit des Capverdiens, des Portugais ou autres, qui ne sont pas Luxembourgeois, qui n’ont pas la langue allemande à la maison, à part la télévision, ont des difficultés et sont découragés. Les enfants luxembourgeois ont automatiquement un avantage », explique ainsi la directrice d’un lycée technique.

Sur le marché du logement aussi, les personnes originaires du Cap-Vert sont largement défavorisées. Alors que 80 pour cent des Luxembourgeois-es sont propriétaires, seuls 40 pour cent des Capverdien-ne-s le sont. Et tandis que la surface de logement dont dispose un individu de nationalité luxembourgeoise est de 73 m2, elle n’est que de 32 m2 pour les personnes de nationalité capverdienne.

Sentiments de discrimination

Fait intéressant : contrairement à ce que l’on pourrait être amené à croire, la position socialement particulièrement défavorisée de bon nombre de Capverdien-ne-s au Luxembourg ne se répercute a priori pas sur la participation politique locale de cette communauté. Ainsi, à l’occasion des élections communales de 2011, le taux d’inscription des personnes de nationalité capverdienne sur les listes électorales était de 13 pour cent, dépassant ainsi le taux global d’inscription moyen des ressortissant-e-s non communautaires (11 pour cent).

Dans leur conclusion, les auteur-e-s de l’étude soulignent que la « scolarité problématique » des enfants issus de l’immigration capverdienne est « l’un des points les plus urgents mis en lumière » par leur recherche. Pourtant, le point serait peu étudié, « du moins du point de vue des remèdes à appliquer par le système scolaire, comme une meilleure compréhension et coopération entre parents et écoles, ainsi qu’une meilleure transition école/emploi et la lutte contre le décrochage scolaire ».

Par ailleurs, « des sentiments de discrimination », tant en matière d’orientation scolaire qu’en matière d’obtention de logement ou d’insertion professionnelle, seraient régulièrement exprimés par des ressortissant-e-s capverdien-ne-s à l’occasion d’entretiens qualitatifs.

Cinquante ans après les débuts de l’immigration capverdienne au Luxembourg, les ressortissant-e-s capverdien-ne-s pâtissent toujours d’importantes inégalités sociales par rapport à la société d’accueil. Si l’immigration capverdienne est traditionnellement une immigration « pauvre » – 61 pour cent des Capverdien-ne-s du Luxembourg indiquent la pauvreté et le chômage comme raisons de leur départ –, l’étude du Cefis met néanmoins le doigt sur la plaie : la mobilité sociale est très réduite, au Luxembourg, pour les personnes issues de l’immigration, les trajectoires sont quasiment prédéfinies. Face à ce défi, les différents acteurs, du ministère de l’Éducation au monde associatif, devraient redoubler d’efforts – au moins.

L’étude complète peut être téléchargée sous www.cefis.lu

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