Intermittents : Mise en règle

En adoptant le projet de loi sur les intermittents du spectacle, le gouvernement n’a pas fait dans le progrès social, mais s’est juste conformé à un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne.

(Photo : Wikimedia)

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On l’avait remarqué par le passé déjà plusieurs fois. La coalition au pouvoir et surtout les libéraux qui tiennent le ministère de la Culture entretiennent une grande méfiance envers les créatifs et les travailleurs de la scène culturelle, qu’ils soupçonnent de vouloir profiter des largesses étatiques afin de pouvoir mener une vie faite de lucre et d’un peu d’art. La réforme du statut d’artiste et de celui d’intermittent entamée déjà sous la ministre Maggy Nagel en disait long sur la volonté d’enfin apporter un peu de vent néolibéral chez celles et ceux qu’ils considèrent – à tort – comme des fainéants.

À l’époque, la ministre Nagel voulait surtout humilier les gens travaillant dans le secteur en leur enlevant de facto le « statut d’artiste », qui fut remplacé dans l’intitulé par « mesures sociales au bénéfice des artistes professionnels indépendants et des intermittents du spectacle » – une mesure certes symbolique, mais qui signifie un mépris politique. Car, au-delà, les conditions de vie de celles et ceux qui ont fait le choix de – tenter de – vivre de leur art ne se sont guère améliorées (woxx 1278).

Car vivre volontairement d’aides sociales tout en ne comptant pas ses heures de travail implique un dévouement à l’art qui dépasse probablement l’imagination de la classe politique et de la mentalité luxembourgeoise en général. Les conditions sont plutôt rudes pour les intermittents. Pour accéder au régime, il leur faut d’abord travailler au moins 80 jours par an de telle manière qu’« une activité a été exercée soit pour le compte d’une entreprise ou de tout autre organisateur de spectacle, soit dans le cadre d’une production cinématographique, audiovisuelle, théâtrale ou musicale, ceci endéans la période de 365 jours de calendrier précédant la demande d’ouverture des droits en indemnisation ». Certes, les jours travaillés en réalité excèdent cette barre minimale ; toujours est-il qu’en temps de disette économique, cette disposition peut fragiliser davantage un corps de métier déjà précaire. Surtout qu’en plus, les intermittents doivent garantir que cette activité minimale leur rapporte au moins quatre fois le salaire minimum social mensuel, et qu’ils doivent payer leur affiliation auprès d’un régime d’assurance pension – donc les cotisations sociales patronales – de leur poche. Et bien sûr, pas question de toucher une indemnité de chômage, ni un revenu minimum garanti en même temps.

Des conditions dures pour prévenir un raz-de-marée ?

Pour motiver ce nivellement vers le bas, des arguments comme : « Nous voulons éviter que des jeunes diplômés s’inscrivent durablement dans la précarité en acceptant des aides sociales » ont été entendus – mais c’est plutôt bidon, face à une réalité sur le terrain qui parle une tout autre langue. Premièrement, les artistes et techniciens qui profitent du régime d’artiste professionnel indépendant (anciennement statut d’artiste) ou du régime d’intermittent sont au nombre de 230. Ce qui n’est pas exactement un raz-de-marée, et même très peu quand on le compare aux employés ou fonctionnaires qui bossent dans le secteur culturel. C’est donc une minorité sur le dos de laquelle on a voulu légiférer pour l’exemple. Et cela alors que les intermittents du spectacle luxembourgeois ne sont pas, de loin, aussi combatifs que leurs camarades français par exemple – qui sont devenus la hantise des festivals d’été dans l’Hexagone. En d’autres mots, le Luxembourg culturel n’a pas conscience de l’importance de ces chevilles ouvrières qui lui garantissent non seulement le bon déroulement de ses spectacles, mais aussi leur contenu.

Que le gouvernement ait consenti à revoir les conditions de travail des intermittents du spectacle n’est d’ailleurs dû qu’au fait que la Cour de justice de l’Union européenne l’y a contraint. Dans son jugement de février 2015, elle constate que le Luxembourg ne dispose pas d’une définition contraignante pour les intermittents du spectacle et que les dispositions sur les CDD à répétition ne mettent pas les intermittents à l’abri d’éventuels abus. Ces deux points sont désormais réglés, et une nouvelle disposition concernant les congés de maternité et les congés parentaux a été prise. Désormais, le statut peut être « gelé » quand les intermittents profitent de ces mesures.

Une nette amélioration, qui réjouit notamment la metteuse en scène, intermittente et nouvelle présidente de la « Theater Federatioun », Carole Lorang. Pour elle, le tableau n’est ni noir ni blanc. Il y a des points qu’on pourrait encore améliorer, surtout par rapport aux collègues français et belges : « La grande différence entre les intermittents français et belges et les luxembourgeois est qu’ici on est sous le statut indépendant, tandis que chez nos voisins les intermittents sont tous des salariés », explique-t-elle. Ce qui implique, on l’a vu, que les intermittents au grand-duché doivent payer les cotisations sociales patronales, qui peuvent être très lourdes. Pour Lorang, il faudra se concentrer sur cette problématique à l’avenir, car ces charges pèsent lourdement sur des budgets déjà précaires.

Un autre point qui diffère d’avec nos voisins, c’est le degré d’organisation des intermittents, qui est proche de zéro au Luxembourg, même si des discussions seraient en cours pour faire entrer des délégués intermittents dans la « Theater Federatioun », afin que cette dernière puisse aussi les représenter. Quant à la question des contrats de travail, la nouvelle présidente constate que celle-ci est traitée très différemment dans le secteur. Dans le domaine du théâtre, les intermittents ne seraient pas tellement intéressés par des CDD, mais préféraient travailler de façon plus libre. Ce qui ne s’applique pas au secteur cinématographique – autre vivier important d’intermittents au grand-duché -, où les préférences pour un emploi en CDD seraient plus marquées. Certes, il est difficile de créer une loi omnibus qui encadre des besoins aussi diversifiés – car regroupant de nombreux métiers -, mais c’est sûrement un des défis des futurs législateurs, un secteur culturel professionnalisé impliquant aussi une législation à la hauteur.

Finalement, Carole Lorang estime quand même que tout ce qui a été fait avec ce projet de loi – qui a d’ailleurs été voté à l’unanimité – va dans le sens d’une amélioration. Selon elle, ce fait se ressentirait même sur le terrain : « Dans mes échanges avec les fonctionnaires en charge de mon statut d’intermittent au ministère de la Culture, je constate qu’on fait tout pour agir dans le meilleur intérêt des artistes. » Du moins, on ne les chicane pas en plus avec des écueils bureaucratiques, ce qui est déjà une bonne nouvelle.


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