Jacques Audiard
 : Vanakkam, Cannes !


On ne peut pas reprocher à Jacques Audiard de céder à la facilité : il fallait en effet oser le faire, ce film français tourné en grande partie en tamoul sur l’intégration d’un ex-combattant indépendantiste. Et l’exigence cinématographique a payé, avec la Palme d’or à Cannes cette année.

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Après « Dheepan », on change forcément son regard sur les vendeurs à la sauvette… (Photo : Paul Arnaud – Why Not Productions)

C’est une guerre civile atroce qui a fait des dizaines de milliers de morts. Pourtant, elle n’avait pas encore été évoquée dans le cinéma occidental. Un défi à relever pour Jacques Audiard, qui a déclaré récemment dans une interview sur France Inter que l’absence de film sur le sujet a fortement amplifié son envie de le traiter. À la clé, la possibilité pour le cinéaste d’exploiter un manque de repères du spectateur à propos de ce conflit qui a opposé ouvertement au Sri Lanka, jusqu’en 2009, les Tigres de la minorité tamoule à l’armée sri-lankaise tenue par la majorité cinghalaise.

Audiard ne prendra donc parti ni pour les Tigres tamouls, recruteurs d’enfants soldats et encore sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne, ni pour les forces de l’armée régulière, qui ont perpétré leur lot d’actions innommables. Son propos est tout autre, et il préfère nous gratifier d’emblée d’une superbe scène d’introduction des enjeux. À la défaite des Tigres en 2009, un ancien soldat dont la famille a été tuée se réfugie en France en compagnie d’une femme et d’une jeune fille qu’il doit faire passer pour sa famille. Dans les quelques scènes où ce trio improbable se forme, on sent les difficultés à venir, qu’elles soient de l’ordre de la difficile intégration dans un pays étranger, mais aussi de celui des relations entre personnages sans lien de parenté mais forcés de simuler un foyer.

Des relations d’abord tendues : la fuite vers un avenir meilleur devrait rapprocher les personnages, mais leur passé persiste à les opposer. Comment un ex-combattant, aux idéaux les plus purs, pourrait-il s’accommoder d’une civile dont il ne peut que mépriser la passivité ? Autant dire que l’aventure de l’intégration en France n’est pas gagnée pour la famille de fortune. Alors Dheepan, c’est le nom que le héros a emprunté à un combattant mort, paye de sa personne pour faire vivre Yalini, la femme, et Illayaal, la fillette. Il commence par vendre à la sauvette puis, à la faveur d’une demande d’asile acceptée, commence un travail de gardien dans une cité de la banlieue parisienne.

C’est là que les choses se compliquent, et pour le héros et pour le film. La cité en question est un repère de dealers et se trouve en proie à une violence endémique. D’abord réservé et faisant son boulot sans trop provoquer de vagues, Dheepan doit, à son corps défendant, entrer dans la spirale de la violence. Dans un paroxysme de cinéma d’action, le spectateur médusé voit un ex-Tigre tamoul surentraîné régler le compte de ces petits dealers de banlieue qui ne font franchement pas le poids. Sommes-nous encore dans un film de Jacques Audiard, ce fin analyste des travers humains ?

De fait, le propos du film est bien plus universel : c’est précisément ce qui se passe avant cet épisode violent qui intéressait au plus haut point le réalisateur. Comment cette fausse famille va en devenir une vraie ; comment « on a besoin d’être une famille, un couple, dans un but utilitaire, pour rentrer dans une société, et à la fin on se prend sauvagement sur le canapé », écrit-il dans le dossier de presse. La banlieue française en flammes, la guerre civile au Sri Lanka, l’épisode un peu sirupeux de la fin dans une Angleterre à la paix idyllique, des prétextes pour une simple histoire d’amour ? Oui, à en croire Audiard. Mais d’un champion de la forme tel que lui on a du mal à y croire et à ne pas voir en filigrane une critique du modèle d’intégration à la française, un peu simpliste pourtant.

Et puis que dire du personnage de la fille, parangon d’intégration, qui ne reste qu’esquissé ? Et de celui du colonel des Tigres qui tabasse Dheepan pour le forcer à payer un tribut, pour ensuite disparaître de l’histoire sans aucune conséquence ? On attendait donc beaucoup d’une Palme d’or d’Audiard. Alors, même si le film a d’immenses qualités, et parmi celles-ci trois acteurs tamouls ou d’origine tamoule formidables, on ressort forcément un peu déçu. Mais probablement plus intelligent.

À l’Utopia.

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