Jeunes et engagé-e-s (2/2)
 : « Pas pris au sérieux »

La participation politique des jeunes est un sujet récurrent au Luxembourg. Pourtant, tous les jeunes n’estiment pas être pris aux sérieux.

Faire comme les vieux ou faire autrement ? Deux jeunes « parlementaires » lors d’une session du « European Youth Parliament ». (Photo : European Youth Parliament)

Faire comme les vieux ou faire autrement ? Deux jeunes « parlementaires » lors d’une session du « European Youth Parliament ». (Photo : European Youth Parliament)

Le monde est dirigé par de vieux hommes blancs et privilégiés. Le Luxembourg aussi. Seul 3,3 pour cent des parlementaires luxembourgeois ont moins de 30 ans, et la Chambre des député-e-s ne compte que 28,3 pour cent de femme. Et ce, alors qu’une grande partie des sujets d’actualité – précarité, chômage, logement, éducation – concernent avant tout des jeunes. Alors, sans surprise, l’insatisfaction avec le fonctionnement de la démocratie est la plus importante auprès des jeunes (woxx 1365).

Néanmoins, la participation politique des jeunes occupe une place importante sur l’agenda politique. Depuis la « loi jeunesse » de 2008, la promotion de la participation politique des jeunes est l’un des buts déclarés des gouvernements successifs, le « pacte jeunesse » de 2012-2014 en faisait même un de ses quatre piliers. Lors de la présentation du « rapport national sur la situation de la jeunesse 2015 » en février 2016, le ministre de l’Éducation et de la Jeunesse Claude Meisch a d’ailleurs promis l’élaboration d’un « plan d’action jeunesse » après consultation de tous les acteurs.

Ils sont nombreux, les acteurs : de la Cnel (Conférence nationale des élèves du Luxembourg) au « Jugendparlament » (« parlement des jeunes »), en passant par le SNJ (Service national de la jeunesse) ou encore la CGJL (Conférence générale de la jeunesse du Luxembourg). Des institutions qu’on peut qualifier de « conventionnelles », mises en place par la politique et destinées aux jeunes, qui connaissent un succès mitigé auprès du public cible.

« Les jeunes peuvent être force motrice derrière des transformations sociétales fondamentales. »

Le « Jugendparlament » par exemple, a été créé par la « loi jeunesse » de 2008 dans l’optique « de favoriser l’engagement des jeunes dans notre société et de rapprocher les jeunes et le monde politique, à travers l’élaboration d’avis et de résolutions transmis aux acteurs politiques concernés ». « C’est une structure dont le but est de renforcer les jeunes dans leurs démarches, de leur faire connaître le monde politique », explique Djuna Bernard, présidente de la CGJL.

Ouvert à tout jeune entre 14 et 24 ans, le « parlement des jeunes » n’est pas tout à fait une reproduction du « parlement des vieux ». Ainsi, pas de partis ou fractions en son sein, que des individus. En théorie, du moins. Car en pratique, le « Jugendparlament » regroupe bien de nombreux membres des organisations de jeunesse de partis.

En 2014, une « affaire » a éclaté au sein du « Jugendparlament » : son président, Patrick Weymerskirch, membre des Jeunesses socialistes (JSL), a été démis de ses fonctions par la CGJL, responsable pour le projet (woxx 1267). Il aurait, contrairement aux règles du « Jugendparlament », émis des positions politiques à l’extérieur, et ce sans l’accord du bureau exécutif. De quoi se poser des questions sur les limites entre le parlement « miniature » et l’engagement politique d’un certain nombre de ses membres.

« Le parlement des jeunes sert surtout de plateforme de recrutement aux organisations de jeunesse des partis » affirme un ancien membre. Sveinn Graas, jeune politologue et membre autant de Jonk Lénk que de déi Lénk, va plus loin dans sa critique : « En général, les jeunes ont un potentiel radical énorme et peuvent être une force motrice derrière des transformations sociétales fondamentales. Des institutions comme le Jugendparlament, non élues et donc sujettes à toutes sortes de tentatives d’infiltration, servent, peut-être plus encore que de recruter de jeunes membres pour les grands partis, à canaliser ce potentiel », s’énerve-t-il.

D’un autre côté, le parlement des jeunes permet aux jeunes intéressés par la politique de « se faire entendre », comme le formule Djuna Bernard. Mais pas trop non plus : « Pouvoir s’exprimer ne veut pas forcément dire se faire prendre au sérieux », juge Pol Reuter, porte-parole de l’Unel, avec un clin d’œil.

Un reproche qui est récurrent : Outre le parlement des jeunes, la CGJL a aussi mis en place des « hearings » (auditions) de jeunes à la Chambre des députés. Régulièrement, des délégations composées par les différentes organisations membres de la CGJL ont ainsi la possibilité de s’exprimer sur certains sujets devant les députés.

« Il est quasiment impossible de s’engager en dehors des organisations traditionnelles. »

Pour Djuna Bernard, ces auditions permettent « aux jeunes d’avoir des retours » et « mettent en valeur » leur engagement, tout en « montrant aux députés que les jeunes s’intéressent à la politique ». Une situation « gagnant-gagnant » pour la présidente de la CGJL.

Pour d’autres, c’est tout le contraire… Ainsi, Milena Steinmetzer, membre de l’Unel et de Jonk Lénk, n’est pas vraiment fan de ces auditions: « Souvent, un vrai débat n’est pas possible. Dès qu’on exprime des idées plus radicales, on est qualifié d’‘extrémiste’ », dit-elle. « Il y a peut-être une bonne intention… », réfléchit Gina Árvai, membre des Jonk Gréng et de diverses associations de la société civile, « …mais il n’y a, de la part des députés, aucune volonté à vraiment débattre avec les jeunes. Souvent, c’est juste un enchaînement de prises de position. »

« On fait croire aux jeunes qu’ils sont pris au sérieux, mais ils ne le sont pas », dit Steinmetzer, qui a participé à quelques-uns de ces « hearings ». « Dans les réactions des députés, on entend très bien qu’ils n’ont aucune envie de réfléchir sérieusement à ce qui leur a été dit. » Plutôt que de réellement débattre de sujets importants avec un public qui, souvent, est parmi les premiers concernés, les auditions au parlement serviraient à conférer une bonne conscience aux députés. Qui, la plupart du temps, ne seraient pas non plus des masses à se déplacer. « Nous avons fait des progrès sur ça », explique néanmoins Djuna Bernard. « Avant, à certaines auditions il n’y avait pas plus de cinq députés. Aujourd’hui, il y en a quand même une vingtaine à chaque fois. »

« Approuvez-vous l’idée que les Luxembourgeois âgés entre seize et dix-huit ans aient le droit de s’inscrire de manière facultative sur les listes électorales en vue de participer comme électeurs aux élections à la Chambre des députés, aux élections européennes et communales ainsi qu’aux référendums ? » C’était l’une des trois questions posées lors du référendum de juin 2015. « Non », était la réponse de plus de 80 pour cent des électeurs.

« Les jeunes ne sont politiquement pas assez instruits » était l’argument phare des adversaires de cet élargissement du droit de vote. La réaction du gouvernement luxembourgeois face à ce reproche : il faut promouvoir davantage l’instruction politique, surtout au sein du système éducatif. Un « centre de formation politique » devrait voir le jour avant la fin de la période de législature, a promis Claude Meisch.

« Souvent, un vrai débat n’est pas possible. »

« L’éducation politique est totalement délaissée dans notre système éducatif », estime Pol Reuter. « Ici, on ne parle pas politique à l’école, et les cours sont organisés de façon très traditionnelle, frontale, ce qui laisse peu de place aux discussions. » Alors, forcément, la plupart des structures de participation au sein de l’école – délégués de classe, comités d’élèves, Cnel – s’occuperaient plus de l’organisation de la prochaine fête scolaire que des droits des élèves ou de politique.

« Au sein de nos écoles, il y a une manque fondamental de culture du débat politique », juge Reuter. Certes, la Cnel aurait connu des périodes plus « militantes », notamment lors des débats autour de la réforme scolaire préparée sous la ministre Mady Delvaux. Mais elle aussi serait encline à la récupération politique et beaucoup de ses membres seraient également affiliés à des partis.

C’est qu’au Luxembourg, la participation politique des jeunes se limite souvent aux organisations de jeunesse des partis. C’est ce que constate Joël Adami, animateur de l’émission « Angscht a Schrecken zu Lëtzebuerg » sur Radio Ara : « Tout engagement est immédiatement ramené aux partis politiques. Il est quasiment impossible de s’engager en dehors des organisations traditionnelles. »

Il y a une besoin réel d’espaces où des jeunes pourraient se rencontrer de façon informelle, pour discuter politique, préparer des actions ou tout simplement boire un verre. Il y a les maisons de jeunes, certes. Mais un endroit où les jeunes sont « décideurs » bien plus que « consommateurs » ? Pas pour le moment.

Pour Gina Árvai, le centre culturel « Hariko » à Bonnevoie (woxx 1348), qui a ouvert ses portes en septembre 2015, est l’endroit qui s’en rapproche le plus. Activités culturelles et artistiques plus ou moins autogérées, une forte présence de jeunes réfugiés et une ambiance décontractée en font un lieu de prédilection pour ceux qui ne se retrouvent pas dans les structures plus conventionnelles. Mais pas tout à fait autogéré…ce qui pousserait d’ailleurs certains jeunes à envisager une occupation d’immeuble.

Au moment où, partout en France, des jeunes – et des moins jeunes – ont décidé d’investir l’espace public pour se réunir et discuter politique – les « Nuit Debout » qui se répandent en France et dont le modèle se rapproche des occupations de place des « Indignados » espagnols ou du mouvement « Gezi » turc -, au Luxembourg, rien de tel ne semble se dessiner à l’horizon. Mais, nous l’avons dit (woxx 1365), la spontanéité fait partie des caractéristiques de la jeunesse…

Une spontanéité qui, au grand-duché, semble trop souvent être victime d’une offre bien trop conventionnelle. Plutôt que de laisser de l’espace pour le débat, les idées et l’auto-organisation, on préfère canaliser, restreindre et, à force, étouffer. Jusqu’au jour où ce sont les jeunes eux-mêmes qui occupent l’espace dont ils ont besoin.


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