John Carroll Lynch
 : Le chant du cygne


Étrange film que « Lucky », qui repose intégralement sur son interprète principal, Harry Dean Stanton. Il ne s’y passe au fond pas grand-chose, et pourtant cet hommage appuyé exerce une fascination quasi hypnotique.

Dans son dernier rôle, Harry Dean Stanton ne cherche pas à cacher sa vulnérabilité. (Photos : imdb.com)

Cela semble un rituel matinal bien établi : d’abord allumer une cigarette, ensuite faire sa toilette, enchaîner avec des exercices de yoga puis enfiler son stetson avant de partir à pied vers la bourgade voisine. Un café en faisant des mots croisés, et puis retour à la maison pour regarder les émissions de jeux à la télévision. Et les jours s’écoulent ainsi, tous semblables, pour Lucky, vieux cow-boy longiligne de quelque 90 ans, dans un décor désertique filmé en CinémaScope comme les westerns classiques de la grande époque du genre.

À ce stade, habituellement, un grain de sable vient troubler le fonctionnement de la machine bien huilée. Ici, c’est un accident sans gravité qui brise le rituel matinal et qui ramène Lucky à sa condition d’homme âgé, même si en excellente forme. Il serait exagéré de dire qu’il s’embarque alors dans une quête spirituelle, le film restant toujours mesuré et sans ostentation ; mais en tout cas, lui qui ne semble pas croire en un hypothétique au-delà commence à s’interroger sur l’ordre des choses, maintenant qu’il comprend qu’il n’est finalement pas éternel.

Avec « Lucky », le réalisateur John Carroll Lynch, dont c’est le premier long métrage, offre à Harry Dean Stanton un véritable film testament. Mêlant anecdotes biographiques réelles de son interprète et aventures fantasmées, il compose une partition resserrée autour de son acteur, sublimant les petits gestes du quotidien pour en faire autant d’hommages. Le scénario refuse les rebondissements ou les effets de surprise pour installer une ambiance pour le moins addictive. La lenteur de certains plans – après tout, ne voit-on pas au tout début une majestueuse tortue terrestre, animal lent par excellence –, les quelques notes d’harmonica distillées au compte-gouttes, les dialogues parfois excentriques – avec un excellent David Lynch en propriétaire de tortue éploré, justement –, tout donne au film une saveur de désert du sud des États-Unis où Stanton évolue avec le plus grand naturel. On aura en passant reconnu l’hommage à « Paris, Texas », l’un des longs métrages les plus marquants de la carrière de l’acteur.

Dans le petit coin d’Amérique où tourne John Carroll Lynch, la solidarité et la mixité d’origines restent de mise, comme si les provocations et l’huile sur le feu du président actuel n’avaient pas atteint cette région désertique. Il y a certes des menaces de coups de poing lors de soirées un peu arrosées au bar du coin, mais tout cela est rapidement oublié le lendemain ; les conversations entre vétérans sur la Seconde Guerre mondiale en soulignent l’absurdité. Oui, quel repos que ce « Lucky », lorsque l’on pense à certaines productions hyperactives et bellicistes venues d’outre-Atlantique.

Harry Dean Stanton est décédé en décembre 2017, et il n’aurait pas pu trouver meilleur hommage. Voir à l’écran une dernière fois ce grand acteur dans toute sa vulnérabilité de vieillard amaigri est un concentré d’émotions digne du meilleur cinéma. La caméra empathique de John Carroll Lynch le scrute, l’accompagne et le caresse tout au long de la petite heure et demie de projection. Et à la sortie de la salle, on conserve encore pendant longtemps la chaleur du désert texan, malgré les rigueurs actuelles de l’hiver.

À l’Utopia.
 Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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