La scène littéraire grand-ducale : Chez Lili


En ce moment, ça bouge sur la scène littéraire luxembourgeoise. Le woxx a donc décidé d’y consacrer une série d’articles qu’inaugure le café littéraire « Le Bovary ». Rencontre avec Lili Fouet, une gérante dynamique et passionnée.

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Une terrasse ensoleillée et des livres… un endroit dont avait rêvé Lili Fouet et qui est devenu réalité. (Photos : woxx)

Il n’y a pas si longtemps, c’était encore le café « Am Duerf » de Weimerskirch, un des plus anciens du grand-duché. Un café de village fréquenté par les habitants de longue date, littéralement à deux pas de l’église. D’ailleurs, Lili Fouet, qui a repris la gérance de l’établissement en novembre dernier, n’a pas enlevé l’enseigne : « Je ne voulais pas toucher à cette identité et me couper de la clientèle locale, même si mon projet est différent. »

Son projet ? « Un café littéraire, un endroit convivial où écouter des auteurs. Ici, au Luxembourg, on va souvent les entendre dans des centres culturels. De mon point de vue, l’atmosphère y est assez froide. Depuis toute petite, je sillonne les foires du livre et j’ai toujours apprécié le contact direct qu’on peut y nouer. J’aime la proximité qu’on ressent lorsqu’on s’assoit un moment avec un écrivain et qu’on discute à bâtons rompus. C’est cette magie-là que je voulais recréer. »

Après 20 années de labeur dans le secteur financier, elle n’avait plus vraiment de cœur à l’ouvrage. « Dans un certain sens, pas littéral évidemment, j’allais mourir si j’avais continué à exercer ce métier que je n’aimais plus. » Lili Fouet se lance alors dans l’aventure de la réalisation d’un projet personnel. Sans autre expérience du monde littéraire que sa passion pour la lecture et l’écriture – elle travaille à une autobiographie romancée -, mais avec une pugnacité qui rayonne dès qu’on la rencontre, elle peaufine son concept pendant deux ans.

Les obstacles ne tardent pas à se dresser : « Lorsque j’ai présenté mon projet à diverses personnes, elles m’ont découragée en prétendant que ce genre de lieu existait déjà. Certes, il y a des lectures et des cafés littéraires organisés un peu partout dans le pays, mais j’ai rétorqué que ceux-ci étaient ponctuels. Moi, je voulais une maison permanente où l’on puisse consulter des livres, les acheter et rencontrer leurs auteurs. »

Un café littéraire et local

Car, Lili Fouet en est persuadée, il existe un besoin qu’un tel endroit pourrait satisfaire. Alors elle se démène, cherche un local pendant un an puis tombe sur une annonce où la Ville de Luxembourg propose la gérance du café. Une aubaine : « J’ai eu le coup de foudre. La maison, les espaces, tout collait avec l’image que je m’étais faite du projet. » Mais la commune ne l’entend pas de la même oreille : « Au départ, la commission compétente n’était pas emballée. La localisation, à Weimerskirch, dans ce qui a toujours été un café de village, ne lui semblait pas appropriée. Elle la voyait plutôt un peu plus en ville, à Belair par exemple. J’ai mis des semaines à convaincre ses membres que j’étais capable de marier café littéraire et café de village. À la longue, ils ont été séduits par ma ténacité. Quand je veux quelque chose, je fonce ! »

Même si la Ville finit par donner son accord, elle l’assortit néanmoins d’un avertissement : il ne sera pas facile de monter le projet à cet endroit. « Il n’a pas été évident de me faire accepter par les habitués au début. Je ne suis pas du quartier et le concept est éloigné du café traditionnel qu’il a été depuis sa création. Mais si de rares ex-clients ne viennent plus du tout, la plupart des clubs et associations qui sont toujours venus prendre un verre continuent de fréquenter le café. En plus, ils commencent à feuilleter les livres. Je suis enchantée d’avoir réussi à garder les gens d’ici. C’était très important pour moi. »

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« Am Duerf » et « Bovary » à la fois, le café attire une clientèle locale et cosmopolite.

Un décor rétro, un accueil chaleureux, une atmosphère de cabinet de lecture des siècles passés… tout concorde à faire du Bovary un endroit cosy et agréable. Sans compter que, les beaux jours venus, la terrasse est parfaitement ensoleillée. Partout, des livres. Des livres à consulter, mais aussi à acheter si on le souhaite. Dans un coin, un piano. Et puis surtout, souvent, des écrivains qui partagent leurs textes avec un public attentif dans une atmosphère chaleureuse.

Comment Lili Fouet les a-t-elle motivés ? Sans véritable publicité, en croyant à la réalité du besoin qu’elle satisfait : « Le bouche-à-oreille a très bien fonctionné. De plus en plus d’auteurs me sollicitent. Je crois que le cadre un peu ‘grand-mère’ et la proximité avec le public les attirent particulièrement. » Les réseaux sociaux, où le microcosme littéraire luxembourgeois est évidemment connecté, ont fait passer le mot. Des musiciens aussi proposent leurs services, et il y a même un projet « de spectacles de café-théâtre, une chose qui n’abonde pas non plus au Luxembourg ».

On peut également se restaurer dans l’établissement. Mais attention, pas avec n’importe quelle nourriture : « Ce qui compte pour moi, c’est l’instant présent. L’instant magique partagé avec un auteur par exemple. La cuisine au Bovary est à cette image : pas de menu fixe et des plats selon l’inspiration du jour de ma cuisinière Franca. Évidemment, il y a toujours un choix végétarien ou végétalien, et si rien ne plaît on peut s’arranger, pour peu que le client ne soit pas trop pressé. Mais tout est frais et préparé à la demande. En fait, mon pari, c’est d’inviter les gens chez moi – même s’ils doivent payer, parce qu’il faut bien que je vive ! »

Un lieu qui a du cœur

Et ça marche : sondage informel à l’appui, il se trouve qu’on ne va pas au café « Am Duerf » ni au café littéraire « Le Bovary »… on va tout simplement chez Lili. Certains locaux qui n’avaient jamais mis les pieds au 1, rue de Laroche y pointent désormais leur nez, et y reviennent parce qu’ils s’y sentent bien : « Ici, tout le monde est le bienvenu. Pas besoin d’être attiré par la lecture. Évidemment, je caresse toujours l’espoir de convertir ceux qui ne le sont pas encore ! La clientèle est de plus en plus métissée tout en restant ancrée dans le quartier. Les mondes de la littérature et de la musique notamment commencent à fréquenter le café assidûment. Je crois que les gens sont à la recherche de lieux authentiques, moins industrialisés, moins tape-à-l’œil, qui leur font oublier les soucis. »

Authenticité, le mot est lâché. Peut-être un peu galvaudé ces derniers temps, et souvent récupéré par des sociétés commerciales qui n’ont d’authentiques que leurs vues sur les deniers de leurs clients, il trouve ici sa pleine acception. Les menus, peu nombreux, doivent se passer de table en table ; la vaisselle et le mobilier sont dépareillés ; les lectures n’ont pas encore trouvé leur configuration de croisière, entre celles et ceux qui écoutent et les autres qui veulent manger ; lors des coups de feu, l’inexpérience relative du service se ressent – tout comme l’enthousiasme communicatif. Bref, c’est justement un lieu humain, un lieu attachant non aseptisé. De quoi donner bon espoir d’une longue vie au premier café littéraire permanent au Luxembourg : « Je suis très optimiste pour l’avenir, parce qu’ici rien n’est parfait, rien n’est programmé à l’avance. Il y a du sentiment ici, il y a du cœur. » Assurément.

Café littéraire Le Bovary, 1, rue de Laroche, L-1918 Luxembourg (Weimerskirch). 
Pour être tenu au courant des événements, rejoindre la page Facebook de l’établissement… ou lire l’agenda du woxx.

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