L’accord UE-Turquie vu de Grèce : Exacerbation et solidarité


L’accord entre l’Union européenne et la Turquie s’avère désastreux pour les conditions de vie de milliers de réfugiés. Karolina Markiewicz, qui était en Grèce récemment, revient sur les conséquences humaines d’une politique du chiffre.

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Impressions du port du Pirée, où sont bloqués quelque 6.000 réfugiés. (Photos : Karolina Markiewicz / Pascal Piron)

Port du Pirée, à une quinzaine de kilomètres de l’Acropole et du Parthénon : ici, les touristes qui fréquentent habituellement le plus grand port maritime de Grèce et qui affluent par milliers ne sont plus seuls. De la « gate 1 » à la « gate 7 », un campement ouvert et sauvage s’est installé. Il héberge des réfugiés. Au 1er avril, ils étaient 5.800, dont la moitié composée d’enfants et d’adolescents.

Ils sont Syriens, Irakiens ou Libyens et sont arrivés de Turquie quelque temps auparavant. Les enfants gambadent entre des dizaines de tentes installées sur un parking, entre ces sacs qui contiennent tous les biens que leurs parents ont pu emmener. Ceux-ci ont-ils volontairement mis en péril la vie de leurs enfants, et pourquoi ? On pourrait se poser la question. Mais ça serait oublier que peu d’entre eux avaient le choix : risquer le naufrage en Méditerranée ou risquer de périr sous un obus ? Risquer de traverser clandestinement des frontières ou risquer le bombardement d’une école, les viols, risquer l’emprisonnement dans les geôles du régime syrien ?

« Risquer le naufrage en Méditerranée ou risquer de périr sous un obus ? »

Leur campement, ce sont des tentes collectées et redistribuées par des bénévoles, de vieux entrepôts délabrés, ou encore des conteneurs mis à disposition par les autorités locales. Les bénévoles sont omniprésents : ils distribuent des repas fournis par la Croix-Rouge locale et par l’armée, assurent un minimum d’aide sanitaire et médicale, font ce qu’ils peuvent.

Le 20 mars dernier, l’accord entre l’Union européenne et la Turquie est entré en vigueur. Monnayé à hauteur de six milliards d’euros – en faveur du gouvernement turc, afin de financer la création des structures adéquates -, il prévoit le renvoi en Turquie, par voie maritime, de tous les réfugiés arrivés sur le territoire Schengen clandestinement et dont la demande d’asile serait jugée infondée ou irrecevable. Il faut dire que, au vu du manque de voies légales d’accès en Europe, la quasi-totalité des réfugiés qui arrivent sont obligés d’entrer sur le territoire de façon illégale.

Chaque réfugié ainsi renvoyé est accompagné par un policier déployé par l’un des États membres de l’Union européenne qui l’accompagne. Depuis la Turquie, où se trouvent actuellement 2,7 millions de réfugiés syriens, sont alors « relocalisés » l’équivalent du nombre de réfugiés renvoyés auparavant. Remplacer l’immigration illégale par un plan de relocalisation, rendre la vie dure aux passeurs, ce sont les objectifs affichés de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie. Dans un premier temps, on parle de 72.000 réfugiés qui pourront ainsi être relocalisés. Voilà le plan, simple et efficace sur le papier.

Mais c’est là qu’intervient la réalité, bien plus compliquée : dès le premier renvoi – le 4 avril -, des erreurs ont été commises. Parmi le premier groupe renvoyé en Turquie, 13 personnes n’auraient pas dû l’être. Leur demande d’asile n’était ni irrecevable, ni infondée. Pourtant, on ne leur a pas accordé le droit de la déposer.

Un rapport d’Amnesty International publié le 1er avril fait état d’atteintes à la dignité humaine dont sont victimes des réfugiés en Turquie. Ainsi, au sud de ce pays, dans la province du Hatay, on procéderait à des expulsions quotidiennes et massives de réfugiés syriens vers… la Syrie. Un retour forcé vers la guerre qu’ils ont fuie, une pratique illégale si l’on se réfère au droit turc, européen ou international. La Turquie d’Erdoğan n’est pas un pays sûr pour tout le monde.

La Turquie est un élément clé, une zone stratégique si l’on veut tenter de résoudre les conflits du Moyen-Orient, nous explique-t-on. Le dialogue avec Erdoğan est indispensable et le traitement réservé aux Kurdes ou aux journalistes critiques, accessoire. Mais doit-on pour autant confier le pouvoir de choisir entre « bons » et « mauvais » demandeurs d’asile à ce gouvernement dont on se méfie ? Doit-on lui conférer le rôle de « gardien de l’Europe » ?

« La crise des réfugiés est avant tout un désastre humanitaire. »

1367RegardsGrece1De retour au Pirée : malgré les efforts des bénévoles, la situation sanitaire est abominable. Douches improvisées, bassines en plastique qui font office de baignoires, risques d’infection… Comme à Idomeni, à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, ou dans le camp fermé de Moria, sur l’île de Lesbos, le risque de propagation de la tuberculose est élevé. Enfants comme adultes souffrent de déshydratation et de fatigue, et certains se trouvent dans un état fiévreux.

Nous rencontrons Alexandros Alexandrakis à la « gate 1 » du port. Le médecin-psychiatre s’engage bénévolement ici, et ce depuis plus d’un an. Il soigne toutes sortes de maladies malgré les lacunes d’approvisionnement, grâce à des dons de médicaments de la population résidente. Pour Alexandrakis, la crise des réfugiés est avant tout un désastre humanitaire. Il compare l’afflux de réfugiés à un fleuve que tous les accords du monde ne sauront arrêter.

La Grèce, déjà mise à genoux par des politiques d’austérité imposées, a été abandonnée face à l’arrivée massive de réfugiés. Du Pirée à Idomeni, les conditions d’accueil y sont désastreuses et les drames personnels, quotidiens. À Idomeni, petit village frontalier devenu le symbole de l’échec de la politique d’asile européenne, la frontière vers la Macédoine est hermétiquement fermée, gardée par des cerbères incarnés par les forces de l’ordre macédoniennes.

Exacerbés par les conditions de vie sur place, désespérés par une attente devenue insoutenable, effrayés par les déportations massives vers la Turquie, des groupes de réfugiés bloqués à Idomeni ont tenté de forcer l’entrée en territoire macédonien, le 10 avril. Ils se sont attaqués aux grillages et aux barbelés érigés en mur antiréfugiés. La riposte des forces de l’ordre a été immédiate, repoussant les « assaillants » à coups de matraques, de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc. Trois enfants ont été grièvement blessés. Trois enfants. En Europe.

Au Pirée, les réfugiés rencontrés ont peur de parler à des inconnus. « Les frontières vont-elles bientôt être rouvertes ? » : voilà la question qu’ils posent tous. Comme s’il fallait le souligner, ils affirment être des humains comme nous. Et comme pour le prouver, ils témoignent de ces espoirs qu’ils gardent malgré tout. L’Europe pourrait leur refuser la protection ? Ils n’y croient pas une seconde.

« L’Europe pourrait leur refuser la protection ? Ils n’y croient pas une seconde. »

Dans le port, l’exacerbation est palpable, autant chez les réfugiés que chez les bénévoles. Aux tensions quotidiennes s’ajoute une insécurité grandissante : les volontaires craignent, en effet, des attaques de groupuscules d’extrême droite affiliés au parti Aube dorée. Le soir, sur ce paysage, à la limite du postapocalyptique, se couche le soleil grec, sublime. Des familles forment une file pour récupérer des fruits, des légumes, et parfois un repas chaud. Les bénévoles grecs, italiens ou espagnols, exemplaires, veillent sur eux.

Pepi Louzantou et Negia Milian, deux femmes de plus de 60 ans, exténuées mais souriantes, organisent les distributions. Elles répondent à toutes les questions et mettent en place des activités pour enfants. Des étudiants néerlandais en vacances improvisent des jeux de balle avec les plus petits, des enseignants suisses donnent des cours d’allemand à un groupe de jeunes Syriens et Irakiens, à même le sol. Si la vie est dure ici, l’entraide et la solidarité offrent un peu de répit à tous ces hommes, femmes et enfants en attente d’un avenir meilleur. Histoire de mieux pouvoir affronter les épreuves qui les attendent encore.


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