Le Brexit vu de gauche
 : Entre deux maux…


… choisir le moindre. C’est ce que tente de faire la gauche britannique avant le référendum sur le Brexit. Mais quel que soit son choix, le 23 juin, il n’y aura rien à gagner pour elle.

Entre la position d’un David Cameron et celle d’un Nigel Farage, difficile de faire le bon choix… (Photo : David Holt/flickr)

Entre la position d’un David Cameron et celle d’un Nigel Farage, difficile de faire le bon choix… (Photo : David Holt/flickr)

« Damned if you leave, damned if you remain ». C’était le titre d’une tribune signée Bertie Russell dans le magazine britannique « Red Pepper ». « La réalité, c’est qu’il faut arrêter de prétendre qu’une des deux options ‘quitter’ ou ‘rester’ offrirait quelque chose de vaguement ressemblant à une perspective socialement ou écologiquement progressiste », y argumentait l’urbaniste. « Le référendum sur le Brexit est un choix entre deux options merdiques. »

Jeudi 23 juin, le Royaume-Uni choisira s’il veut continuer d’être un État membre de l’Union européenne (woxx 1319). À l’heure actuelle, les instituts de sondages indiquent une majorité pour les partisans du Brexit. Mais depuis que ces mêmes instituts ont prédit avant les dernières élections un coude-à-coude entre le premier ministre sortant David Cameron et le candidat du Labour Party de l’époque Ed Miliband, leur crédibilité est quelque peu entamée. Quoi qu’il en soit, les « pro-Brexit » semblent avoir le vent en poupe.

Sous la pression des populistes de droite et eurosceptiques de l’UKIP (UK Independence Party), c’est David Cameron lui-même qui a introduit, début 2013, l’idée d’un référendum sur une éventuelle sortie de l’Union européenne en cas de réélection. Réélu à la majorité absolue, il n’avait d’autre choix que de tenir parole. Dès le lendemain de sa victoire, il entame des négociations avec les instances européennes. Le but : un « statut spécial » pour le Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, favorisant ainsi un positionnement de Cameron en faveur du maintien dans l’Europe.

« Le référendum sur le Brexit est un choix entre deux options merdiques »

Exemption de l’« Union sans cesse plus étroite » telle que prévue par les traités, « mécanisme de sauvegarde » visant à suspendre les prestations sociales pour migrants européens en cas de « pression migratoire » exceptionnelle : « I have a deal ! », pouvait déclarer Cameron à l’issue de 24 heures de négociations intenses et parfois dramaturgiques, semblerait-il. Un « deal » qui ouvrait grand la porte à des chantages du même genre venant d’autres pays et qui entérinait un peu plus l’idée d’une Europe fédérale et toujours plus unie (woxx 1360). Mais aussi un « deal » qui permettait à Cameron de sauver la face tout en se prononçant contre le Brexit.

Mais croire dans le poids du positionnement de Cameron, c’était sans compter avec l’aile droite de son propre parti. « Il ne faut pas confondre les merveilles de l’Europe, les vacances en Europe, la nourriture fantastique, avec un projet politique qui est en marche depuis des décennies et menace maintenant d’échapper au contrôle démocratique », a déclaré, deux jours après l’obtention de l’accord, Boris Johnson, l’influent maire de Londres d’alors, choisissant le camp des « pro-Brexit ». Un revers pour le premier ministre qui, en cas de victoire du Brexit, devra probablement en tirer les « conséquences politiques ».

Un revers qui n’en est pas un pour le parti du premier ministre : en cas de victoire du camp « pro-Brexit », ce sont les Tories qui l’emportent ; en cas de victoire du camp « anti-Brexit », ce sont aussi les Tories qui l’emportent. Entre un bloc mené par le très néolibéral Cameron et un bloc mené par le pas moins néolibéral, mais un brin plus démagogue, Johnson – et soutenu par l’UKIP -, difficile pour la gauche britannique de s’y retrouver.

Surtout pour le leader du Labour Party Jeremy Corbyn : celui qui avait rejeté le traité de Maastricht en 1993 et qui, en juin 2015 encore, avait durement critiqué l’Union européenne au point de ne plus y voir d’avenir se prononce… contre le Brexit et pour le maintien dans l’Union européenne. « Stay in Europe to change Europe », voilà le mot d’ordre du Labour. Faute de mieux, il faut le dire.

« L’Union européenne n’est pas – et ne peut être – démocratique »

Car si l’Union européenne est perçue au sein d’une grande partie de la gauche antiaustéritaire – au-delà des frontières du Royaume-Uni – comme un projet néolibéral et antidémocratique de par ses racines, les alternatives, à l’heure actuelle, ne sont en rien plus excitantes. Un vote en faveur du Brexit dans les circonstances actuelles et alors que le débat dans le pays tourne largement autour de questions migratoires, argumentent les défenseurs du « Remain », favoriserait largement la droite populiste, et pas uniquement en Angleterre.

En effet, il pourrait déclencher un certain effet domino : enthousiasmés et encouragés par le modèle britannique, des partis de droite et d’extrême droite à travers l’Europe pourraient revendiquer des référendums similaires dans leurs pays respectifs, à l’image de ce que revendique déjà le Front national pour la France. Et ainsi accélérer considérablement le processus de décomposition de l’Union qui, semble-t-il, est engagé depuis le bras de fer entre le gouvernement grec et le Conseil européen ainsi que la « crise des migrants » de l’été 2015.

Au Royaume-Uni, une victoire du « Leave » favoriserait cette partie dure de la droite pour qui l’Union européenne est une entrave à la « liberté d’entreprendre », imposant un minimum de droits sociaux, en même temps qu’à travers le principe de liberté de circulation elle favorise le « tourisme social » et l’immigration. Libérée de ce carcan régulateur, la droite eurosceptique espère pouvoir imposer un peu plus son projet, néolibéral jusqu’à l’os et hostile à l’immigration. La stagnation de la croissance et la dévaluation de la livre sterling, prévisibles en cas de sortie de l’Union européenne, pourraient même pousser les Tories à renforcer un peu plus la politique austéritaire.

« Un gouvernement travailliste sous Corbyn devrait mettre en œuvre son programme à l’encontre du droit européen. »

Pour autant, les perspectives en cas de victoire du « Remain » ne sont pas vraiment plus enthousiasmantes. Une telle victoire serait en effet une victoire pour Cameron qui, en fait, défend un projet pas franchement différent de celui de ses adversaires. Coupes budgétaires, restrictions à la liberté de circulation, démantèlement du « National Health Service » (Système de santé publique) : en termes de thatchérisme, David Cameron n’a rien à envier à ses adversaires.

Au-delà, une victoire du camp « anti-Brexit » n’empêcherait pas forcément la décomposition rampante du projet européen. Tout au plus pourrait-elle la ralentir. Mais les concessions faites à Cameron lors des négociations de février constituent un précédent. Des gouvernements plus ou moins eurosceptiques pourraient être tentés, à leur tour, de forcer la main aux institutions européennes :  « Faites-nous des concessions ou nous aussi organiserons un référendum. » Le scénario d’une union purement économique se rapprocherait un peu plus.

Face au choix entre droite dure et thatchérisme décomplexé, le « remain to reform » d’un Jeremy Corbyn ne saurait vraiment persuader. Combien de temps restera-t-il pour « réformer de l’intérieur » avant que le rapport de force bascule complètement en faveur de la droite eurosceptique ? En même temps, le « Lexit » (pour « left exit », « sortie par la gauche ») tel que défendu par une partie de la gauche radicale semble plus loin que jamais.

« L’Union européenne n’est pas – et ne peut pas être – démocratique », écrit le journaliste Paul Mason dans les lignes du « Guardian ». « L’austérité que nous dénonçons en tant que choix politique en Grande-Bretagne fait figure d’obligation non négociable dans les traités européens. Tout comme les principes économiques de l’époque Thatcher. Un gouvernement travailliste sous Corbyn devrait mettre en œuvre son programme à l’encontre du droit européen. »

« Nous devrions cesser d’essayer de vendre une des deux options comme ‘progressiste’ »

Tout en constatant que la situation devient « de pire en pire », Mason estime qu’un bon nombre d’arguments en faveur du « Leave » sont réunis. Mais il y a, pour lui, une « raison pratique » pour les ignorer. « En deux mots : Boris Johnson. » En cas de victoire du Brexit, argumente Mason, Johnson et son acolyte Michael Grove seraient prêts à s’emparer du parti conservateur et à transformer le Royaume-Uni en une « neoliberal fantasy island ». « Voilà pourquoi j’ai refusé de militer en faveur du Brexit, voilà pourquoi je pourrais même m’abstenir le jour du référendum », explique le journaliste.

Face à un « choix merdique », la posture abstentionniste est tentante, écrit aussi Bertie Russell dans « Red Pepper ». Or, les conséquences sociales et économiques imprévisibles d’un Brexit « par la droite », mais aussi le renforcement – assez prévisible – de la droite populiste à travers l’Europe le poussent à favoriser le « Remain ».

« Même si l’une des deux options est légèrement moins mauvaise que l’autre, aucune des deux n’offre ni de l’espoir, ni un quelconque potentiel libérateur, ni une quelconque amélioration des conditions de vie et de travail, ni un ralentissement des émissions de CO2, ni plus de contrôle démocratique », détaille-t-il. « Aucune des deux n’offre quoi que ce soit de semblable à un début de société future désirable. »

Mais, pour lui, jeter de l’huile sur le feu de la droite populiste ne pourrait qu’empirer le rapport de forces et compliquer davantage la lutte pour une Europe sociale et progressiste. « Ainsi, alors que nous devons à regret voter pour rester dans l’Union européenne, nous devrions dans le même temps cesser d’essayer de vendre une des deux options comme ‘progressiste’, et commencer à nous concentrer sur la construction de mouvements politiques sérieux qui ne sont ni pour le ‘Remain’ ni pour le ‘Leave’, mais qui vont au-delà de cette Europe. »


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