Le jour d’après : Onde de choc


Le référendum de dimanche a été un tremblement de terre politique : les électeurs se sont prononcés massivement contre les trois propositions du gouvernement. Un début d’analyse.

Les résultats de dimanche, expression d’un repli identitaire ?

Les résultats de dimanche, expression d’un repli identitaire ?

Sans aucun doute, personne ne s’était attendu à ça. Oui, il était probable que le non allait l’emporter. Oui, il était même probable qu’il allait l’emporter massivement. Mais 78 pour cent ? Les Luxembourgeois se sont décidés massivement contre le droit de vote pour les résidents étrangers, le droit de vote facultatif à partir de 16 ans et la limitation des mandats ministériels.

D’innombrables questions se posent maintenant : était-il trop tôt pour poser la question du droit de vote des étrangers ? La campagne officielle a-t-elle été trop courte ? Trop longue ? Les gens étaient-ils assez informés avant le référendum ? Mais aussi : les Luxembourgeois sont-ils en majorité xénophobes ?

Une chose est sûre : la campagne officielle, qui a débuté le 7 mai, n’a pas su convaincre – bien au contraire. Selon un sondage réalisé par TNS-Ilres entre le 23 avril et le 3 mai, 40 pour cent des Luxembourgeois étaient disposés à voter oui à la question du droit de vote des résidents étrangers, 53 pour cent à voter non. Sept pour cent étaient indécis. À la question du droit de vote à partir de 16 ans, 70 pour cent étaient décidés à répondre non. À la question de la limitation des mandats, ils étaient 58 pour cent à vouloir dire non. Dans le sondage réalisé pour RTL entre le 28 mai et le 5 juin, plus que 30 pour cent des Luxembourgeois disaient vouloir voter oui et 64 pour cent non. Cela confirme la tendance que l’on pouvait observer durant les derniers mois – avec chaque sondage, le pourcentage de ceux qui voulaient dire non augmentait.

Quelles causes ? La campagne n’y est certainement pas pour rien. Un manque d’engagement de la part des partis de la majorité, avec comme point culminant la gaffe du vice-premier ministre Étienne Schneider lors d’une table ronde organisée par la radio 100,7, peut certainement être avancé. Mais aussi la façon dont la campagne a été menée : si le débat a certainement été ramené à sa dimension émotionnelle par les partisans du non – faute d’arguments rationnels, probablement -, le côté du oui n’en a, surtout à la fin, pas fait moins. Finalement, il ne faut pas non plus sous-estimer l’effet boule de neige : plus on a l’impression que la majorité des gens autour de soi voteront non, plus on tend vers le non – ne serait-ce que pour ne pas être du côté des « vaincus » à la fin.

La campagne de « Nee 2015 » a réussi son pari : « dédiaboliser » le non, en s’autoproclamant représentant de la « Mëtt vun der Gesellschaft » (« Mir sinn déi politesch Mëtt ») et en répétant à l’envi que ce n’était pas parce qu’on votait non qu’on était raciste ou xénophobe. Mais aussi en construisant une opposition entre élites et peuple – tâche facile, au vu des alliances contre nature dans le camp du oui, réunissant aussi bien les syndicats, un grand nombre d’associations et le monde de la culture que l’Église, le patronat et la quasi-totalité des médias.

Si les sondages n’ont – et les résultats du référendum le montrent une fois de plus – qu’une valeur approximative, le sondage TNS-Ilres, réalisé pour RTL à quelques jours du 7 juin, peut apporter un début de réponse à la question : qui a voté non ?

Vote populaire ?

Premier constat : ce sont surtout les plus âgés qui semblent avoir voté non. Selon l’étude TNS-Ilres, à moins d’une semaine du référendum, 55 pour cent des personnes âgées entre 18 et 34 ans avaient l’intention de voter non. Entre 35 et 49 ans, ils étaient 63 pour cent, entre 50 et 64 ans, 65 pour cent, et au-dessus de 65 ans, 72 pour cent. Le niveau d’études semble, lui aussi, jouer un rôle considérable : plus on est diplômé, plus on avait de chances de dire oui au droit de vote des étrangers. Concernant le droit de vote à partir de 16 ans et la limitation des mandats, le constat est légèrement différent – les personnes ayant un bac +2 ou +3 ayant plus voté non que, par exemple, les personnes ayant juste un bac. Concernant les trois questions, les diplômés d’un bac +4, voire plus, sont ceux ayant voté le plus pour le oui – même si le non est toujours majoritaire.

Vote populaire, donc ? Autre indice, la corrélation entre les prix du loyer et le non. Ainsi, on peut observer que dans beaucoup des communes avec les loyers les plus bas la majorité du non était écrasante. À titre d’exemple, la commune de Wincrange, où, selon le Statec, les loyers sont des plus bas du pays, le non a atteint plus de 87 pour cent. À l’opposé, les communes ayant recensé le plus de « oui » à la question du droit de vote des étrangers sont, en général, celles avec les plus hauts loyers : Luxembourg-ville, Strassen, Bertrange, Niederanven…

Il semble aussi exister une corrélation – négative – entre la proportion d’étrangers dans une commune et le taux de « non ». En général, on peut constater que moins il y a d’étrangers dans une commune, plus on y a voté non. Ainsi, toujours à titre d’exemple, la commune de Wahl, avec moins de 25 pour cent d’étrangers selon le Statec, a voté non à plus de 86 pour cent. De l’autre côté, à Diekirch, où le taux d’étrangers s’élève à près de 40 pour cent, le non a « seulement » recueilli 76 pour cent des suffrages.

Difficile par contre de tirer des conclusions des intentions de vote selon la catégorie de revenus relevées par TNS-Ilres : si les catégories de revenus se trouvant au-delà de 8.000 euros par mois avaient le moins l’intention de voter non (48 pour cent), suivies par la catégorie située entre 5.000 et 6.000 euros par mois (62 pour cent), ceux qui gagnent entre 7.000 et 8.000 euros mensuels dérogent à la règle : ils avaient l’intention de dire non à 79 pour cent. En bas de l’échelle, ceux gagnant moins de 3.000 euros par mois ont indiqué vouloir voter non à 66 pour cent, tout comme ceux gagnant entre 4.000 et 5.000 euros mensuels.

« Opgepasst ! »

Les fonctionnaires d’État ou communaux – en 2010, 42 pour cent des Luxembourgeois exerçaient une activité dans le secteur public – n’y sont certainement pas pour rien : 68 pour cent de ceux qui travaillent dans le secteur public ont indiqué vouloir voter non. Pour rappel : selon ce sondage, 60 pour cent des Luxembourgeois avaient l’intention de dire non à la question du droit de vote des étrangers. Dans le secteur semi-public, ils n’étaient que 48 pour cent. Là aussi, le contact avec la population étrangère pourrait avoir fait la différence. La position de la CGFP, seul syndicat à s’être opposé à l’élargissement du droit de vote aux résidents étrangers, a certainement joué un rôle important dans le non massif des fonctionnaires, tout comme la peur de perdre des privilèges.

Difficile de réduire le résultat du référendum à un vote populaire cependant : la proportion des classes moyennes élevées dans le non massif semble contredire cette thèse. S’il y a certainement des éléments d’un non populaire, la dimension géographique n’est pas à sous-estimer. Ce sont surtout les communes rurales et les communes les plus éloignées de Luxembourg-ville qui ont voté le plus massivement non.

En gros, on peut constater trois tendances dans le non. Le non populaire, bien sûr, expression en partie d’un repli identitaire et porteur d’une certaine nostalgie, face à une mondialisation devenue incontrôlable et, somme toute, nuisible pour les couches populaires. Mais aussi le non des classes moyennes, soucieux de leurs acquis et – du moins pour une partie des fonctionnaires – de leurs privilèges. Ainsi, selon le sondage de TNS-Ilres réalisé pour RTL, 65 pour cent de ceux qui avaient l’intention de voter non n’étaient pas d’accord avec l’affirmation « Et verléiert jo keen eppes ». La campagne du CSV, qui avec son « Opgepasst ! » a joué précisément sur ces peurs, a pu jouer un rôle essentiel dans ce réflexe. Finalement, il y a aussi le non rural, le non de ceux ne pouvant plus se payer les loyers exorbitants en ville ou aux alentours des villes, contraints à se retirer de plus en plus au nord du pays, là où ils ont peu de contact avec la population étrangère.

Au sein de l’électorat des partis, ce sont les électeurs du CSV et de l’ADR qui ont joué leur rôle : 83 pour cent des électeurs du CSV ont affirmé vouloir dire non à la question du droit de vote des étrangers à quelques jours du référendum, ainsi que 100 pour cent des électeurs de l’ADR. Du côté des partis de la coalition, ce n’est pas le cas : 41 pour cent des électeurs du LSAP et 36 pour cent des électeurs du DP ont affirmé vouloir dire non. Chez les Verts, ils sont 35 pour cent. Mais le parti qui semble le moins avoir convaincu ses électeurs est Déi Lénk. 46 pour cent ont dit vouloir dire non, contre seulement 47 pour cent qui voulaient dire oui. Il y a, cependant, une dimension à ne pas sous-estimer en ce qui concerne Déi Lénk : le vote protestataire – ces gens qui votent pour le parti sans nécessairement souscrire à toutes ses idées, surtout celles d’ordre sociétal, mais aussi le rejet parfois radical des politiques gouvernementales parmi l’électorat du parti qui a pu jouer un rôle. Dans tous les cas, la part de nonistes parmi les électeurs de Déi Lénk semble conforter la thèse du vote populaire.

Les intentions de vote par parti confirment aussi en partie une autre hypothèse : les partis du camp du oui n’ont pas su convaincre leurs électeurs ; leurs campagnes respectives n’ont pas atteint leur propre base.

Plusieurs facteurs ont pu contribuer au rejet massif des trois propositions du gouvernement, à commencer par le rejet du gouvernement lui-même. Les réformes entreprises depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition ont été perçues comme des attaques dirigées contre ses intérêts par une partie des classes moyennes et populaires.

Crise de légitimité

Si les prochains mois promettent d’être difficiles pour le gouvernement alors que ses adversaires ont le vent en poupe, d’autres acteurs vivent, eux aussi, un début de crise de légitimation. Les syndicats, le patronat, l’Église, le monde de la culture, les médias, les associations n’ont pas réussi à convaincre. Il existe bel et bien un clivage, qui sépare peut-être moins les étrangers et les Luxembourgeois que les « forces vives de la nation » et la grande majorité de la population luxembourgeoise.

En quelque sorte, le non massif désavoue aussi toute une façon de faire de la politique – qui peut être résumée par le terme de « politique politicienne ». La manœuvre des partis de la majorité qui consistait à utiliser l’instrument du référendum en première ligne pour tenter de forcer la main au CSV, réticent vis-à-vis du droit de vote des étrangers, n’a pas marché. Pire : elle était trop transparente, trop facile à comprendre. Or, ce n’est pas en abusant des instruments de la démocratie participative à des fins stratégiques qu’on peut prétendre prendre les électeurs au sérieux, bien au contraire.

Si les résultats du référendum peuvent être interprétés comme l’expression du rejet de cette « politique politicienne », pas sûr que le CSV ou l’ADR pourront en profiter. Là aussi, les manœuvres « après-référendum » sont trop transparentes pour pouvoir porter leurs fruits. Pourquoi demander la démission du gouvernement maintenant, alors qu’avant le 7 juin tout le monde était d’accord pour ne pas lier questions de fond et questions personnelles ? Là aussi, on abuse de l’instrument de la démocratie semi-directe qu’est le référendum, en essayant de tirer profit de son résultat.

Que va alors apporter l’« après-référendum » ? Pour le gouvernement, une chose est claire : il faut passer à l’ordre du jour, à la présidence européenne, bref, à autre chose. « Nous avons compris le message », a déclaré Xavier Bettel. Pour les partis de la coalition, il semble suffire de ne pas intégrer les trois questions rejetées dans le projet d’une nouvelle Constitution. « Ce n’est pas le référendum qui a créé des clivages dans la société, les clivages étaient là avant », a affirmé Alex Bodry devant la Chambre des députés ce mardi. A priori, rien ne contredit cette affirmation. Le référendum a dévoilé au grand jour les clivages qui existent au sein de la société. Mais, dès lors, ne devrait-on pas commencer à en tirer les conséquences, à désamorcer les tensions ?

Les prochaines semaines et mois vont montrer si les résultats de dimanche vont entraîner une « droitisation » de la politique nationale. D’ores et déjà, les populistes sentent qu’ils ont le vent en poupe : à la droite du CSV, des individus comme Michel Wolter tentent déjà de tirer profit du référendum en demandant la démission du gouvernement et en passant à l’attaque vis-à-vis de Bettel. L’ADR aussi sent sa chance : pour Gast Gybérien, le vote de dimanche était un vote « pour le Luxembourg, pour notre souveraineté, pour notre nationalité, pour notre langue et notre identité ».


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