Leçons de Grèce : Mort à l’euro !

En s’attaquant à l’Union monétaire, la gauche radicale – enragée par la crise grecque – se trompe de cible.

(www.captaineuro.com)

(www.captaineuro.eu)

« L’euro interdit radicalement toute politique progressiste possible. » C’était la première conclusion que tirait sur son blog l’économiste Frédéric Lordon quelques jours après le désastreux accord imposé au gouvernement Syriza à la mi-juillet. Ce type de constat s’est alors répandu comme une traînée de poudre parmi les militants de la gauche radicale à travers les réseaux sociaux. Lordon enchaînait en proclamant l’échec définitif des stratégies visant à « réformer l’euro ». Laisser la seule extrême droite développer l’idée d’une sortie de l’euro serait « une faute politique qui condamne les gauches européennes à l’impuissance indéfinie ».

Que la gauche radicale entonne le cri de guerre de « Mort à l’euro ! » est fort compréhensible. Aussi bien les militants qui ont cru en la stratégie de négociation de Syriza que ceux qui étaient sceptiques constatent a posteriori son échec : les dirigeants européens n’ont guère cherché à faire autre chose que briser cette résistance considérée comme malvenue et continuer de soumettre la Grèce à une austérité draconienne (woxx 1328). Faut-il réagir à ce rejet par un contre-rejet ?

« Une argumentation purement technique contre l’euro nie la dimension politique du débat. »

Clairement, le cadre réglementaire de l’euro et son application, notamment dans le cas de la Grèce, sont actuellement néfastes pour le tissu économique et plus encore pour les tentatives de mener des politiques de gauche. Mais un des arguments les plus prisés des militants de gauche est celui de dire qu’une union monétaire européenne ne pouvait de toute façon pas fonctionner. Elle serait surtout utile au capitalisme international afin d’empêcher l’émergence de gouvernements socialistes, comme en Grèce. Un parti de gauche victorieux aux élections serait donc obligé de quitter l’euro pour réaliser son programme politique.

Est-ce le retour du projet d’un « socialisme dans un seul pays » ? Ce serait inquiétant. Certes, une relocalisation conséquente de nos économies constitue une nécessité écologique et peut amener un surplus de démocratie. Mais de nombreux problèmes environnementaux et sociaux doivent être réglés à l’échelle de grandes régions, de continents et de la planète tout entière. Des entités supranationales puissantes – mais démocratiques – font partie intégrante de tout projet de gauche du 21e siècle.

Face à cela, une argumentation purement technique contre l’entité « zone euro » rapproche la gauche non pas de l’extrême droite, mais de technocrates qui doutent de l’euro tels Paul Krugman et Wolfgang Schäuble. Comme eux, la gauche anti-euro nie la dimension politique du débat sur l’Union monétaire. « Comment imaginer (…) que la monnaie unique puisse s’accommoder un jour d’une politique de progrès social après avoir lu la feuille de route que les États de l’Eurogroupe, unanimes, ont envoyée à M. Tsipras (…) ?», s’interroge Serge Halimi dans le Diplo d’août.

C’est sûr qu’il en faut, de l’imagination. Lors de la création de l’euro, les décideurs s’étaient promis que des avancées politiques suivraient les avancées économiques. Promesse non tenue jusqu’en 2009, puis réalisée dans la variante cauchemardesque du pacte de stabilité « amélioré ». Le résultat est un désastre – un désastre non pas lié à l’euro, mais bien à l’Union européenne. Celle-ci, excessivement libérale dès les années 1980, de plus en plus marquée par les égoïsmes nationaux, en crise de légitimité démocratique, a échoué à faire de l’Union monétaire une success story.

Si l’on croit que la bataille autour de l’Union européenne n’est pas perdue pour la gauche, il n’y a pas de raison d’abandonner celle pour une Union monétaire approfondie et basée sur la solidarité et surtout sur le simple bon sens. Si, au contraire, on croit la partie perdue côté monétaire, elle l’est sans doute aussi côté politique. Alors, au lieu de hurler « Mort à l’euro ! », il convient de dire haut et fort : « Mort à cette Europe ! »


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