Liberté de la presse : Méprises

La perquisition cette semaine à la radio publique 100,7 révèle que nos autorités ont une conception erronée de la liberté des médias.

(Photo : © flickr)

Par deux fois dans le passé, l’expérience s’est soldée par un fiasco pour l’État luxembourgeois : en 1999 au Journal et en 2009 au Contacto, des perquisitions avaient été menées et la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg avait arrêté dans les deux cas qu’elles enfreignaient les droits de l’homme. Ce qui n’a pas empêché le juge d’instruction Ernest Nilles de retenter l’expérience en envoyant ses hommes dans les locaux de la radio publique.

Même si cette fois, les policiers sont repartis bredouilles après qu’on leur a expliqué que les données issues du fameux « Chamberleak » avaient été supprimées, cela ne change rien au principe. Pour les autorités judiciaires tout comme pour la Chambre des députés, les fautifs ne sont pas les membres du service informatique du parlement, mais bien les journalistes qui ont découvert et bien sûr – c’est leur boulot – exploité la fuite. Alors que les premiers ne sont même pas inquiétés par l’enquête judiciaire.

Au mépris du journalisme s’ajoute le mépris de la loi.

Pourquoi un tel acharnement sur les médias ? Comme l’a remarqué un internaute en se référant à cette dernière perquisition, c’est parce que les médias ont joué leur rôle et échappé au pouvoir politique. Ce pouvoir, qui a besoin des médias pour exister, ne goûte guère quand les journalistes se mettent à dépasser leur rôle de communicants de bonnes nouvelles et dévoilent, après enquête, des faits qu’ils n’étaient pas censés voir.

Cette attitude, celle de la justice comme du président du parlement Mars Di Bartolomeo, exprime un certain mépris pour la fonction du quatrième pouvoir. Si les médias se contentent de résumer et de paraphraser des conférences ou des communiqués de presse, tout va bien ; quand ils se posent des questions et font des analyses, passe encore ; mais quand ils enquêtent et dévoilent des informations non destinées au public ou tout simplement gênantes pour le pouvoir en place, c’est intenable. Et pourtant, questionner le pouvoir en place, rechercher et dévoiler des informations, c’est l’essence même du métier de journaliste, c’est sa fonction dans l’agora – celle d’un contrôleur des pouvoirs.

(Photo : Pexels)

Au mépris du journalisme s’ajoute le mépris de la loi. Comme l’a rappelé le Conseil de presse, l’article 7a de la loi sur la liberté d’expression requiert la présence du président du Conseil de presse (ou du vice-président, voire d’un membre mandaté) dans le cas d’une perquisition : en tant qu’instance de contrôle. Mais comme les fois précédentes, la justice n’en a pas eu cure et n’a pas daigné informer l’organe de contrôle que les médias se sont donné eux-mêmes. Ce faisant, le juge d’instruction a aussi pris le risque de faire exécuter une perquisition techniquement illégale.

Et cela dans le contexte d’un climat délétère en Europe et dans le monde en ce qui concerne la liberté de la presse. Tandis qu’un Jean Asselborn fulmine à juste titre contre les autocrates en Hongrie, Slovaquie ou en Pologne, le grand-duché de Luxembourg, son pays, s’assied sur ses propres lois et tolère qu’une justice unilatérale use de son autorité pour intimider des journalistes qui – répétons-le encore une fois – n’ont fait que leur boulot. Mais cela ne semble malheureusement pas intéresser grand monde : Déi Lénk et les Pirates mis à part, cette offense à la liberté de la presse n’a pas provoqué de réaction dans les partis politiques, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition. Ils doivent savoir pourquoi.

L’auteur est membre du bureau exécutif du Conseil de presse et président de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels.

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