Lithographies
 : Faust selon Kantor

Le touche-à-tout Maxim Kantor est à l’honneur de la galerie Simoncini avec ses dernières peintures inspirées notamment par l’univers de Faust. Un étonnant voyage dans l’univers mental de l’artiste.

À elle seule, la vie de Maxim Kantor est un roman. Né dans l’URSS de Nikita Khrouchtchev, l’écrivain a vu l’empire s’effondrer et Vladimir Poutine s’accaparer la Russie moderne. C’est loin de sa Moscou natale, entre l’Allemagne et la France, qu’il peint et écrit aujourd’hui, en toute liberté. Démocrate convaincu, le représentant de la Russie à la Biennale de Venise en 1997 s’est ainsi écarté de ses racines qui par trop l’étranglaient.

Rien d’étonnant dès lors de retrouver dans l’exposition de la galerie Simoncini son cycle Faust, dans un livre d’artiste comme il aime les réaliser. Cette création succède à son précédent livre d’artiste, « The Ballads of Robin Hood », publié en 2014, et à celui consacré à Heinrich von Kleist, publié en 2013. Des objets uniques, impressionnants dans leur méticulosité.

Au fil de tableaux à l’huile et de lithographies qui interprètent le mythe dans une couleur très particulière, l’écrivain se mue ici en peintre et le peintre en écrivain. La noirceur faustienne se prête parfaitement au style âpre et oppressant de Kantor, qui aime à représenter des visages marqués, aux regards profonds et hypnotiques. L’optimisme n’est pas de mise, nécessairement, dans ces êtres déformés par la vie, en souffrance, qui rappellent que Faust est avant tout l’histoire d’un artiste en lutte avec lui-même et avec la difficulté de la création.

Figure de l’underground russe dans les années 1980, Maxim Kantor ne s’est jamais éloigné de ses modèles, et notamment de Jérôme Bosch, dont il reprend avec gourmandise la représentation d’une humanité coupable. Les corps sont décharnés, déformés par le péché originel. La joie absente et les yeux inquisiteurs, scrutateurs, des personnages mettent mal à l’aise. Ils rappellent aussi l’histoire de l’artiste, chantre de la liberté nouvelle des années Eltsine et aujourd’hui retiré de la Russie de Poutine.

Ce cycle Faust, commencé en 2015, est une œuvre monumentale qui parle autant du mythe cher à Goethe que de la Russie d’aujourd’hui, vendue aux oligarques et si loin des espoirs nés de la chute de l’URSS. Maxim Kantor prend ainsi le temps de s’engager, en filigrane, pour tenter de changer les choses. Et si Vladimir Poutine n’était qu’une des nombreuses incarnations de Méphistophélès ?

Après une période de création qu’il avait souhaitée apolitique, le Russe devenu Allemand affiche à nouveau ses idéaux qu’il considère menacés. En 2006, son pamphlet « Manuel de dessin » s’en prenait à la Russie postsoviétique et à ses excès ultralibéraux.

Impossible de ne pas y penser face à ces peintures faustiennes qui montrent un personnage asservi capable de vendre son âme au diable pour obtenir ce qu’il souhaite. À l’image de la Russie d’aujourd’hui.

Il est tout aussi passionnant de noter que Faust a inspiré, en 2011, le cinéaste russe Alexandre Sokourov. Comme si, du mythe allemand à la Russie contemporaine, l’âme damnée des hommes était à jamais condamnée à prendre les mauvaises décisions. L’indispensable Maxim Kantor distille ainsi, en quelques pages, les lignes fortes d’une époque qui a décidé de sacrifier ses idéaux sur l’autel de l’argent, un monde en crise qui ressemble, par bien des aspects, à ce Faust sombre et désespéré.

À la galerie Simoncini, jusqu’au 13 octobre.

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